Tribune libre/Niger: Débat Bazoum-Issoufou ou la grenouille qui a voulu se faire bœuf

Afriquinfos Editeur
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Mahamadou Issoufou & Mohamed Bazoum (DR).

Niamey (© 2023 Afriquinfos)- Très pressé de marquer les esprits, Mohamed Bazoum a vite affiché les couleurs de ce que sera son mandat. Sa «Renaissance acte 3» s’est tout de suite placée sous le signe d’une comparaison avec la «Renaissance 1 et 2» de son prédécesseur Issoufou Mahamadou.

Deux mois à peine arrivé à la Présidence de la République, le cabinet Bazoum s’était lancé déjà dans des comparaisons avec le régime du Président sortant Issoufou Mahamadou. En deux mois seulement d’exercice du pouvoir, il s’était mis à se mesurer à son mentor.

Le malaise est tel dans l’entourage du PNDS-Tarayya que plusieurs voix se sont élevées dans les coulisses pour le rappeler à l’ordre. Le responsable cellule Communication du Président Bazoum, Waziri Dan Madaoua sera sacrifié, accusé d’être le seul coupable, alors que selon plusieurs témoignages, cette comparaison a été préparée par le Directeur de cabinet adjoint en second du Président Bazoum, Oumar Moussa qui, en tandem avec le Directeur de cabinet adjoint, Dany Takoubakoye, ont été les artificiers de la politique de Bazoum Mohamed.

C’est sur eux que va reposer le système Bazoum, un système déconnecté du directoire du PNDS-Tarayya et qui va même se poser en rival. Comment le système politique de Bazoum en était-il arrivé-là, au point de rentrer en collusion avec le PNDS-Tarayya, le parti qui a porté sa candidature à la Présidence de la République?

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La question d’ego et l’absence de courage politique

L’absence de courage politique de Bazoum ne serait pas étrangère au malaise qui va ronger de l’intérieur le PNDS-Tarayya. Élu en 2021 à la Présidence de la République, Bazoum va devoir composer avec une opposition virulente et très active dans la capitale Niamey où elle est majoritaire. Dès son investiture, les militants de l’opposition vont donner le ton de ce que seront leurs rapports avec le nouveau Président qu’ils ont contesté par une très violente manifestation, la veille de sa prestation de serment. Mais il faut surtout dire que l’hostilité de l’opposition était surtout liée à son ressentiment accumulé contre le PNDS-Tarayya et le Président Issoufou Mahamadou.

L’ascension fulgurante du PNDS dans le paysage politique nigérien, ses victoires et surtout le leadership du Président Issoufou Mahamadou qui lui a permis d’imposer le PNDS-Tarayya comme la plus forte formation politique, alors que tout autour, les partis politiques éclataient et se déchiraient, ont créé un climat d’animosité vis-à-vis du PNDS-Tarayya. Et de son coach Issoufou Mahamadou.

La lâcheté politique

L’absence de courage politique ou tout simplement la lâcheté politique va conduire Bazoum Mohamed à céder à la terreur de certains acteurs de l’opposition. Et c’est là où les Oumar Moussa et autres Dany Takoubakoye vont jouer un rôle crucial dans ce milieu de l’opposition où ils ont beaucoup évolué et où ils comptent encore beaucoup d’amis. Ils vont se mettre en bon ménage avec l’opposition en finançant beaucoup d’activistes proches de Lumana, et cela va faire naître un net décalage dans les critiques de l’opposition qui vont plus être orientées vers l’ancien Président Issoufou Mahamadou, alors que dans le même temps, Bazoum est épargné de toute attaque politique.

Mieux encore, des éléments de l’opposition vont jouer finement pour entretenir toujours ce jeu de la comparaison. Ils font toujours monter Bazoum Mohamed en vedette, comme meilleur Président par rapport à Issoufou Mahamadou. Même avec un bilan quasi-vierge, il est crédité de plus de popularité qu’Issoufou Mahamadou. Dans les milieux de l’opposition, ils ne tarissent plus dès lors d’éloges à l’égard de Mohamed Bazoum. Mais ce dernier ne mesurait pas le piège.

Pire, il va mordre au jeu et il finit par se targuer d’un «bilan élogieux» peaufiné par des acteurs de la Société civile proches de l’opposition, notamment le Lumana.

L’ivresse du succès éloigne pour ce faire Bazoum du PNDS-Tarayya. Selon des témoignages concordants, il aurait eu une rencontre de travail avec Hama Amadou à Paris, et cela à l’insu du parti. Cette démarche rentre dans le cadre de la recherche d’un apaisement du front de l’opposition qui l’avait effarouché à sa prise de pouvoir.

Désormais, il est de connivence avec l’opposition ou en tout cas certains milieux proches de l’opposition. Et pour davantage faire plaisir à l’opposition, il va choisir de s’attaquer à son parti qu’il va accabler de critiques. Parlant des malversations, il n’hésite plus à accuser les dirigeants du PNDS de toutes les malversations.

La question d’ego

L’autre dimension du problème, c’est aussi la question d’ego du Président Bazoum qui a toujours souffert de la tutelle d’Issoufou Mahamadou. Bazoum a toujours cherché à poser ses marques, même s’il n’a pas cherché à le faire dans la durée, mais dans la précipitation, en déconstruisant l’image d’Issoufou Mahamadou.

Diriger un parti politique qui a traversé une longue période d’opposition et sans aucune crise majeure, il faut le dire, cette dextérité est la marque d’un grand talent de meneur d’hommes, propre à Issoufou Mahamadou: le management des hommes et des alliances qui ont permis à Issoufou Mahamadou de surfer sur deux victoires électorales en 2011 et 2016. Mais le coup de génie, c’est cette habilité avec laquelle Issoufou Mahamadou a plié les barons de son parti sans les casser pour les amener à valider la candidature de Bazoum Mohamed, alors qu’elle était loin de faire l’unanimité.

Issoufou Mahamadou ne s’est pas arrêté-là; il va user en outre de bonnes relations avec des leaders politiques; il va là aussi réussir à leur vendre la candidature de Bazoum Mohamed. Ce qui était loin d’être évident, quand on connaît la qualité et les rangs des partis politiques qu’Issoufou Mahamadou a réussi à convaincre. D’un Seini Omarou du MNSD à Albadé Abouba du MPR Jamhuria ou encore le bouillant Ibrahim Yacouba de MPN Kishin Kassa entre autres, tous des candidats qui se voyaient jouer un rôle de premier plan sur le terrain politique, mais qu’Issoufou Mahamadou va arrimer à l’aventure Bazoum. Outre ce fulgurant succès de management des hommes, c’est aussi un vaste bilan de réalisations économiques que le Président Bazoum a voulu rattraper en l’espace de quelques mois de son magistère.

Brutus et la trahison du PNDS-Tarayya

Jusqu’à avant 2021, qui aurait parié sur l’avènement de Bazoum à la Présidence de la République du Niger? Lui-même n’y a jamais cru. En 2011, à l’élection d’Issoufou pour son premier mandat, Bazoum a fait presque un scandale quand il n’a pas été nommé Premier ministre. Il pensait que c’était la meilleure consécration politique qu’il pouvait atteindre. En 2016, au deuxième mandat, il a presque supplié pour être nommé président de l’Assemblée Nationale parce que pour lui, dans sa situation, c’était la plus haute fonction politique à laquelle il pouvait accéder.

Il était loin de savoir qu’Issoufou Mahamadou avait un autre projet pour lui, le porter à la Présidence de la République. Et on pourrait presque dire que c’était le plus grand coup de maître qu’Issoufou Mahamadou avait réussi de toute son action politique. Celui-là que Macron désignait comme un candidat issu de la minorité, c’est plutôt par le jeu de la démocratie et par le management d’Issoufou qu’il a pu accéder à la Présidence de la République.

Mais en politique, tous les coups sont permis, et Bazoum adulé et encensé par certains milieux de l’opposition, a glissé dans le rôle de Brutus. C’est presque toujours ainsi que se déroule la tragédie du pouvoir. Le fils qui tue le père. Sauf que Bazoum n’a pas eu tout le temps de savourer sa manœuvre de palinodie pour matérialiser sa rupture avec Issoufou Mahamadou, et voler de ses propres ailes. Selon des sources tangibles, un projet de création d’un nouveau parti était en gestation dans l’entourage de Bazoum et le putsch du 26 juillet 2023 a mis au grand jour le climat politique déjà très explosif entre les deux responsables politiques.

Quand, au sein du Cabinet Bazoum et dans les cercles de certains membres de sa famille, on a, dès les premiers instants après le 26 juillet, crié à la trahison, c’était pour faire beaucoup de bruit et détourner l’attention de la vraie trahison. Quels arguments ont-ils? «Que le général Tiani a été commandant de la Garde présidentielle sous Issoufou, et que l’enfant d’Issoufou, Mahamadou, est dans le Gouvernement et voudrait prendre beaucoup de privilèges. C’est tout».

Ils n’ont pas vu tout ce qu’Issoufou Mahamadou a fait pour Bazoum. Et ils ne mesurent pas à quel point ils se sont éloignés ou se sont mis en opposition avec le PNDS-Tarayya et Issoufou Mahamadou. Leurs autres arguments indiquant que Bazoum a été trahi, c’est quand Issoufou Mahamadou s’est prononcé contre une intervention militaire au Niger, alors qu’eux l’attendaient impatiemment sur ce terrain, en dépit des corollaires nationaux d’une telle initiative…

Ibrahim Elhadji dit Hima