Une demi-douzaine de Présidents africains ont salué ce 1er décembre la mémoire des Tirailleurs massacrés voici 80 ans jour pour jour

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Affiche officielle de commémoration du massacre de Thiaroye, 80 années après, au Sénégal.

Dakar (© 2024 Afriquinfos)- Une demi-douzaine de Chefs d’Etat africains ont pris part ce 1er décembre 2024 à la commémoration du 80è anniversaire du massacre de Thiaroye reconnu par la France ce 28 novembre 2024.

Après une brève cérémonie de dépôt de gerbes sur le site du «Cimetière national des Tirailleurs» de Thiaroye (à 15km de Dakar), Bassirou D. Diakhar Faye et cinq de ses pairs se sont transportés au «Camp Lieutenant Amadou Lindor Fall de Thiaroye» où s’est déroulé l’essentiel des activités officielles marquant la commémoration du 80è anniversaire du douloureux évènement éponyme.

Les tombes de tirailleurs sénégalais tués le 1er décembre 1944 par l’Armée française au cimetière militaire de Thiaroye à Dakar, le 26 novembre 2024.

Les Présidents des Comores, de la Gambie, de la Guinée-Bissau, de la Mauritanie et du Gabon ont effectué spécialement le déplacement sur Dakar, à la faveur de cette cérémonie.

Pr Mamadou Diouf (président du Comité d’organisation de cette commémoration), en ouvrant le bal des discours, a tenu à saluer tous les chercheurs qui se sont intéressés à l’histoire de Thiaroye sur divers continents. Il a rappelé que les «Tirailleurs sénégalais ont été recrutés pour la plupart par la force dans les Forces françaises, mais ont été braves au combat».

La revendication de ces Tirailleurs «portait sur plusieurs questions (…) La Libération de la France ne tient pas compte de la contribution des Tirailleurs africains (…) Thiaroye est un contexte particulier (…) Dans les jours qui ont suivi le massacre, les autorités françaises ont tout fait pour dissimuler les faits (…) Les estimations les plus crédibles font état de 300 à 400 morts par les historiens. Le nombre précis de morts demeure incertain, certaines archives ont disparu, sont incohérentes, ou dissimulées (…) Le Gouvernement du Sénégal a décidé de revenir sur ces faits en effaçant le territorialisation coloniale (…) L’intervention française était épouvantable, avait reconnu le Président Hollande, avant de conclure qu’il s’agit d’un massacre à la mitrailleuse (…)», a davantage indiqué Pr Diouf.

«En commémorant ce massacre, nous devons continuer à éprouver la mémoire des disparus, en actant une rupture avec des régimes précédents qui ont gardé un silence coupable et complice sur les faits de Thiaroye», a ajouté cet enseignant-chercheur sénégalais servant aux USA.

Place ensuite à trois lauréats du ‘Concours national de poésie’ autour de cette commémoration. Ils ont presté devant un public bigarré et international, en honorant les victimes de Thiaroye via des poèmes brefs et incisifs. Ils seront imités quelques minutes plus tard par le chanteur Didier Awadi à travers une chanson ad hoc.

Jean-Noël Barrot et le message d’E. Macron

«Les Tirailleurs sénégalais ont répondu à l’appel de la France lointaine en héros dans différentes parties de l’Hexagone. Plusieurs ont étalé des bravoures face aux coups de boutoir de l’ennemi, l’Allemagne nazie, malgré ses moyens matériels supérieurs (…) Goût amer de l’injustice, des héros africains déconsidérés par leurs chefs, la France qui refusa subitement son devoir d’égalité et de fraternité ont été les principales rebuffades qu’ils ont subies (…)», a admis et dénoncé l’actuel chef de la diplomatie française au nom de son Président (E. Macron).

«Seul un traitement de mémoire peut conduire à apaiser ce drame dans la justice et la vérité. La France se doit de reconnaître qu’un enchainement de faits a abouti à un massacre le 1er décembre 1944. Puisons dans ce travail de mémoire la grandeur d’âme et la dignité de ces hommes (…)», a encore recommandé J.-N. Barrot. «Inventons un nouveau dialogue juste et franc entre nos pays», a insisté E. Macron par la voix de son ministre des Affaires étrangères dans ce message de ce 1er décembre 2024.

Au nom de l’UA, son Président en exercice, le Mauritanien Mohamed El Ghazouani s’est adressé avec «honneur et émotion» à l’assistance. Et a salué l’association de plusieurs pays africains à cette commémoration. Thiaroye est une des «pages les plus sombres de notre histoire commune, avec des Tirailleurs qui ont affronté la mort en contribuant à la libération de la France et des Alliés. La mort les a attrapés par la traîtrise et l’ingratitude dans ce camp. Leur sacrifice ne sera jamais oublié. Aussi profondes que soient les injustices, le droit et la Justice triomphent toujours dans la dignité et la vérité», a commenté le dirigeant de la Mauritanie.

L’initiative d’E. Macron autour de la reconnaissance du massacre de Thiaroye est un «grand pas», a-t-il salué dans la foulée. Ce massacre symbolise «l’inébranlable détermination des Africains à défendre leur dignité, leur rôle dans le concert des Nations, dans l’effort de l’UA pour réaliser l’agenda 2063 de l’organisation», a-t-il davantage mis en avant.

En clôturant le bal des discours officiels et l’émouvante cérémonie de ce 1er décembre 1944, le Président B. D. D. Faye a remercié tous ses pairs qui ont effectué le déplacement de Dakar. «Votre présence remarquée à nos côtés est un témoin de l’histoire que nous partageons tous. 80 ans après ce crime de masse, le bilan est toujours assourdissant.

Sur cette terre résonnent encore des horreurs sifflant au bout des canons. Une chape de plomb était posée depuis trop longtemps autour de cette histoire. Ces Tirailleurs venaient de 17 ex-colonies. Ils ont tout sacrifié pour la liberté et la paix dans le monde. Malgré les pertes énormes sous les balles nazies, les faits d’armes des Tirailleurs africains sont éloquents. Ils méritent notre admiration, notre respect et notre admiration», a-t-il cité.

Le seul tort de ces Tirailleurs «a été de réclamer ce qui leur était dû, après avoir écrit dans le sang et la sueur la glorieuse histoire de la libération. Il est important de rappeler l’histoire, toute l’histoire, sans trou de mémoire (…)», a encore rappelé le Chef de l’exécutif sénégalais.

1er décembre 2024, date désormais à part dans l’histoire du Sénégal

Cette commémoration de 2024 «veut jeter les bases de la restauration sans ressentiment, haine, et colère pour nous acquitter d’une dette morale vis-à-vis des tirailleurs et de leurs familles», a poursuivi D. D. Faye. «Je salue l’ouverture des autorités françaises autour de la vérité des faits et de la restauration de la vérité. Je salue le courage moral du Président Macron qui accède à une vieille et légitime demande de réparation (…) Des archives réclamées permettront de connaître les contours précis autour du drame. Ce travail de vérité est complexe autour de cet épisode sombre de notre histoire commune», a concédé D. Faye.

«Mais, il le faut pour une réconciliation sincère. Je lance un appel à toutes les bonnes volontés de personnes physiques et morales pour faire prospérer la vérité et restaurer la dignité des Tirailleurs sénégalais. Un ‘Mémorial des Tirailleurs sénégalais’ sera érigé à Thiaroye; ainsi qu’un Centre de documentation. Des rues et des places porteront les noms de ces soldats. L’histoire de ces soldats sera introduite dans les curricula de formation au Sénégal, et la date du 1er décembre sera fixée comme jour de commémoration (…)», a annoncé dans la foulée le Président sénégalais.

«Proclamer haut et fort la dignité des Tirailleurs dans différents pays africains est une leçon qui nous enseigne la fraternité. Qu’il soit un serment de justice, de vérité pour que les évènements de Thiaroye ne se répètent plus nulle part ailleurs dans le monde», a conclu le jeune dirigeant sénégalais.

La cérémonie commémorative de ce 1er décembre de près de 2h d’horloge a pris fin avec le départ des six Présidents africains. 202 tombes anonymes sont visibles au Cimetière de Thiaroye. Un chiffre qui constitue un grand hiatus par rapport au nombre potentiel des Africains tués dans ce camp dans le cadre de leur démobilisation durant le Second Conflit mondial.

Par GGKE