Une nouvelle audience du procès sans précédent d’environ 40 personnalités tunisiennes jugées pour complot contre l’Etat a été marquée vendredi 11 avril 2025 par les protestations des familles et des avocats de détenus, en grève de la faim pour exiger de comparaître physiquement.
Responsables de partis, avocats, hommes d’affaires, figures des médias: une quarantaine de personnes sont poursuivies pour « complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat » et « adhésion à un groupe terroriste ». « Liberté, liberté, magistrature aux ordres« , hurlaient à la fin de l’audience des familles, dont un seul membre a pu accéder à la salle d’audience.

Refusant d’être entendus en vidéoconférence, six prévenus dont le juriste Jawhar Ben Mbarek et un ancien haut responsable du parti islamiste Ennahdha, Abdelhamid Jelassi, ont entamé une grève de la faim, selon leur défense. Les autorités judiciaires ont décidé le 4 mars, lors de la première audience, que les accusés en détention seraient jugés à distance dans ce procès exceptionnel.
« Vous avez privé des accusés de leurs droits les plus élémentaires, ce qui se passe est injuste et inhumain », a protesté à la barre l’avocate Dalila Mssadek, soeur de M. Ben Mbarek, précisant que celui-ci « a arrêté de se nourrir depuis 13 jours et les cinq autres depuis trois jours ».
Elle a contesté le pouvoir de juger du tribunal, « alors que vous ne possédez même pas le pouvoir de ramener les accusés » dans la salle. Bassem Trifi, un autre avocat et président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme a dénoncé « un procès qui n’est pas équitable ». « Je ne peux pas me permettre de plaider en l’absence des accusés. Je ne participe pas à un processus qui ne respecte ni les avocats ni les accusés », a-t-il martelé. Ayachi Hammami, un autre avocat connu, a expliqué être venu « pour marquer notre présence. Mais nous refuserons comme la dernière fois d’être auditionnés, en solidarité avec les autres accusés » qui refusent des audiences à distance, a-t-il pesté.
– « Contexte répressif » –
Les accusations contre les prévenus, passibles de lourdes peines de prison jusqu’à la peine capitale, sont des « affabulations fantaisistes« , a fustigé avant l’audience Ahmed Néjib Chebbi, président du Front de salut national (FSN), principale coalition de l’Opposition. Rien « ne permet d’affirmer (…) l’existence d’une entente entre les accusés pour recourir à des moyens violents ou illégaux en vue de parvenir à » un changement de forme du Gouvernement, conteste M. Chebbi, également accusé mais qui comparaît libre.
Il est entre autres reproché à un certain nombre de mis en cause, selon la défense, d’avoir eu des contacts jugés suspects avec des diplomates. Des représentants de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique et de l’Union européenne assistaient à l’audience mais des ONG tunisiennes comme le FTDES et au moins un journaliste tunisien se sont vu interdire l’accès.
Le procès se tient, selon l’ONG Human Rights Watch (HRW), « dans un contexte répressif dans lequel le Président (Kais) Saied a systématiquement instrumentalisé le système judiciaire tunisien pour s’en prendre aux opposants politiques et aux dissidents ». Depuis le coup de force de K. Saied à l’été 2021, par lequel il s’est octroyé les pleins pouvoirs, défenseurs des droits humains et opposants dénoncent une régression des libertés en Tunisie, qui avait lancé le Printemps arabe en janvier 2011.
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