Tribune: *** Kham Se Rew M. Sonko !

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O. Sonko (photo, AFP).

Ziguinchor (©2024 Afriquinfos)- La publication quasi-confidentielle d’un ouvrage d’une universitaire française intitulé ‘L’Idée de la Casamance autonome – Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal’ qui examine la genèse de ce mouvement indépendantiste au Sénégal, à travers des archives publiques et privées de 1875 à 1970, a donné lieu à une sortie enflammée du Premier Ministre Ousmane Sonko. Si ce type de sortie médiatique effectuée devant ses militants est devenu standard en période de campagne électorale pour flatter les instincts patriotiques, elle est indigne du résident de la Primature.

Personne ne peut contester la sensibilité d’un tel sujet. L’histoire politique de cette région a été marquée par plus de vingt ans d’affrontements entre indépendantistes sénégalais et Etat central. Affrontements qui malgré le cessez-le-feu de 2005, ont connu des résurgences récentes avec en particulier l’opération ‘Nord Bignona’ en mars 2022.

Néanmoins, ce n’est pas en occultant la question que la problématique disparaît. A l’inverse, le Président Macky Sall avait, quant à lui, fait le choix de faire de la résolution de ce conflit une priorité nationale, en misant sur le développement de cette région pour y faciliter la paix. C’était alors l’époque du projet de ‘Pôle de développement de la Casamance’, inauguré en 2014. Et qui a donné lieu à l’ouverture de routes, l’extension d’infrastructures de santé et d’éducation, la réhabilitation de l’aéroport de Ziguinchor et l’encouragement de l’essor du tourisme.

Le Pastef (formation au pouvoir depuis mars 2024) a de son côté prévu un ‘Plan Diomaye’ pour la Casamance. Il reste donc à souhaiter que son Premier Ministre soit concentré sur le fond et non sur l’écume. Par ailleurs, Ousmane Sonko et son équipe semblent ignorer un phénomène médiatique-clé en matière de communication: l’effet Streisand, désormais renforcé par les médias web et digitaux.

De quoi s’agit-il?

De constater que les efforts déployés pour interdire une publication conduisent à l’effet inverse, celui de la surexposition et surmédiatisation de ce que l’on cherchait précisément à occulter. Quelle meilleure publicité en effet que l’indexation par le Premier Ministre du pays concerné d’un ouvrage universitaire publié auprès d’une maison d’édition relativement confidentielle, au tirage limité?

Combien de Sénégalais auraient eu connaissance de cet ouvrage si celui-ci avait été librement distribué dans le cadre d’une campagne médiatique classique? A l’inverse, qui ignore désormais que les Autorités sénégalaises considèrent toujours la Casamance comme un sujet sensible, comme un risque de «déstabilisation»?

Pour normaliser les relations régionales et apaiser les tensions, stratégiquement, cela s’apparente à un but contre son camp. Pour un Gouvernement qui prétend rompre avec les pratiques attentatoires à la liberté, cela ressemble furieusement à du déjà vu !

C’est aussi faire abstraction de toute considération logique que de croire qu’un livre universitaire sérieux puisse être rédigé en six mois, ce qu’il laisse sous-entendre en évoquant la victoire du Pastef de mars 2024 comme motif de la publication du livre concerné. Plus problématique encore est sa conception de la liberté universitaire qui apparaît en filigrane de ses commentaires invitant la chercheuse française à «écrire sur la Corse ou la Nouvelle-Calédonie», l’enjoignant à «ne pas écrire sur le Sénégal», et sous-entendant qu’il existe derrière son initiative une intention politique de l’Etat français.

Monsieur le Premier Ministre, au Sénégal, comme en France, on chérit la liberté académique. La loi de 1994 garantit dans son article premier: «Les Universités du Sénégal bénéficient du régime des franchises et libertés universitaires qui garantissent aux enseignants chercheurs et étudiants, dans le respect des lois et règlements et des principes d’objectivité et de tolérance, l’exercice des libertés indispensables au développement de l’enseignement et de la recherche». Il ne vous appartient donc pas, comme il n’appartient pas non plus à Michel Barnier, d’orienter les travaux et de choisir les sujets que tel ou tel universitaire souhaiterait aborder, sauf éventuellement, à titre privé, en tant que Directeur de thèse.

Je doute que vos fonctions à la Primature vous laissent pourtant l’occasion d’exercer ce subtil travail d’accompagnement d’un(e) étudiant(e). Il vous revient en revanche de défendre cette liberté jamais totalement acquise, jamais définitivement à l’abri des attaques de tous bords.

Enfin, il s’avère que la Primature en est également la tutelle, à travers le Secrétariat général du Gouvernement de la Direction des Archives Nationales du Sénégal. Or, cette dernière abrite déjà tous les aspects de la politique coloniale de la France en AOF (Afrique occidentale française). Le fonds documentaire disponible remonte en effet à 1816 et son importance est telle qu’il est inscrit dans le registre mémoire du monde depuis l’an 2000, et classé au patrimoine mondial documentaire de l’UNESCO.

Il souffre néanmoins de deux défauts majeurs: celui de ne pas couvrir certains éléments connus mais encore non ouverts au public comme le massacre de Thiaroye de 1944, ce en quoi, son interpellation à l’Etat français est justifiée ; mais surtout d’un manque de moyens de conservation et d’exploitation par le Sénégal. C’est peut-être ici qu’en tant que tutelle, il pourrait déployer plus à propos son énergie et sa volonté d’écrire l’histoire du Sénégal par les Sénégalais.

*** ‘Kham Se Rew’ était la devise écrite sur le fronton de la salle de tri des Archives nationales. ‘Connais ton pays’.

Ousmane Sonko lors d’une conférence de presse à Dakar le 15 mars 2024.

Nul doute qu’Ousmane Sonko, politicien doué, capable d’épouser et d’incarner les légitimes aspirations populaires, connaît son électorat dont il n’hésite pas à flatter ses aspects les plus populistes. Mais il est désormais, bien qu’en campagne, le Premier Ministre du Sénégal, gardien de son histoire, garant de son unité, de sa souveraineté et de son développement.

Depuis leur arrivée au pouvoir, le Président de la République et lui font l’objet de procès en authenticité de la part de ceux qui s’auto-proclament chantres du panafricanisme. Il est dès lors tentant de rappeler par quelques éléments de langage, même infondés, son attachement à la cause. Mais on aurait également aimé l’entendre lorsque son pays fait l’objet d’attaques infondées sur le vote de résolutions des Nations Unies ou sa politique étrangère. Défendre les intérêts du Sénégal ne doit pas être à géométrie variable.

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