Tanzanie, Ouganda: Confidences autour des libérations d’Agather Atuhaire et de Boniface Mwangi

Afriquinfos Editeur
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Le journaliste et militant des droits humains kényan Boniface Mwangi (au centre) enlace des membres de sa famille à l'aéroport Wilson de Nairobi, après trois jours de détention en Tanzanie, le 22 mai 2025.

La militante ougandaise Agather Atuhaire, détenue au secret depuis plusieurs jours en Tanzanie, a été retrouvée vendredi 23 mai 2025 présentant des traces de torture, selon des défenseurs des droits humains qui ont dénoncé une « intimidation transfrontalière généralisée » en Afrique de l’Est.

L’activiste des droits humains, retrouvée à la frontière entre l’Ouganda et la Tanzanie, avait été arrêtée lundi 19 mai 2025 en même temps que le militant kényan Boniface Mwangi à Dar-es-Salaam, capitale économique tanzanienne où ils étaient venus en soutien au chef de l’opposition Tundu Lissu. Celui-ci a comparu pour trahison, des poursuites passibles de la peine de mort.

L’opposition et plusieurs ONG ont exprimé leur inquiétude concernant la répression de l’opposition en Ouganda et en Tanzanie à l’approche d’élections présidentielles prévues respectivement en 2026 et 2027.

Mme Atuhaire « a été abandonnée à la frontière par les autorités tanzaniennes » et prise en charge par sa famille et ses amis, selon l’organisation ougandaise de défense des droits humains ‘Agora Discourse’. La militante et journaliste « présente des traces de torture », a souligné à l’AFP Spire Ssentongo, cofondateur de l’organisation. Elle ne s’est pas présentée à une conférence de presse à laquelle elle était attendue vendredi 23 mai, dans la matinée. Selon l’avocat ougandais Kato Tumusiime, témoin de son arrestation à Dar es Salaam, elle présente des difficultés à marcher, souffre, et est retournée dans sa famille.

La militante ougandaise des droits humains, Agather Atuhaire (g), reçue par l’ex-Première dame Jill Biden, le 4 mars 2024 à la Maison Blanche à Washington.

– Répression politique –

M. Mwangi avait, lui, été retrouvé jeudi 22 mai 2025 au bord d’une route dans le nord de la Tanzanie, près de la frontière kényane, selon des défenseurs des droits humains. « Nous avons tous deux été traités pire que des chiens: enchaînés, les yeux bandés et soumis à des tortures atroces », a-t-il déclaré à des journalistes à son retour à Nairobi.

D’autres observateurs, dont la candidate à la présidentielle kényane de 2027 Martha Karua, et un ancien président de la Cour suprême kényane, s’étaient vu refuser dimanche et lundi derniers l’entrée en Tanzanie. La Présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan a demandé lundi à ses forces de sécurité d’interdire le pays aux « activistes » étrangers qui tentent de « s’ingérer dans nos affaires ». L’opposition tanzanienne et les ONG de défense des droits humains dénoncent la répression politique de la part de l’exécutif, qu’ils accusent de retomber dans les pratiques autoritaires de son prédécesseur, quand John Magufuli (qui était au pouvoir de 2015 à 2021).

Candidat à la présidentielle de 2020 du parti pour la démocratie et le progrès (Chadema), M. Lissu a été arrêté après un meeting le 9 avril dernier, et inculpé pour « incitations à bloquer les élections » selon la Police. Ses partisans dénoncent une arrestation pour des motifs politiques. Le parti de M. Lissu a été exclu des prochaines élections après avoir refusé de signer un nouveau « Code de conduite électoral » qui selon lui n’incluait pas les réformes qu’il exigeait.

– « Intimidation transfrontalière généralisée » –

Un tribunal ougandais a en outre refusé vendredi 23 mai d’examiner une demande de libération sous caution de Kizza Besigye, figure de l’opposition de ce pays d’Afrique de l’Est enlevée en novembre 2024 lors d’un déplacement au Kenya. Il était réapparu en Ouganda, où il avait d’abord été traduit devant une Cour martiale pour trahison, passible de la peine capitale dans ce pays, avant que son dossier ne soit transféré à un Tribunal civil en février 2025.

Le Parlement ougandais a voté mardi 20 mai 2025 un amendement permettant à des tribunaux militaires de juger des civils. Le même jour, le ministre kényan des Affaires étrangères Musalia Mudavadi avait reconnu lors d’une interview télévisée que son pays avait « coopéré » avec l’Ouganda dans cette affaire. « Ce qui se passe dans les pays d’Afrique de l’Est semble être une attaque coordonnée contre l’humanité, l’État de droit et la démocratie », ont dénoncé un consortium de groupes de défense des droits humains dans la région, dans un communiqué ce 23 mai 2025.

Ces « nombreux incidents passés et récents d’enlèvements transfrontaliers, de détentions illégales et de rapatriements illégaux (…) aboutissant à des accusations mensongères contre les victimes » visent, selon ces groupes, « à provoquer une intimidation transfrontalière généralisée », ont-ils insisté.

Boniface Mwangi et son sort

Le militant kényan des droits humains Boniface Mwangi (au centre) est accueilli par des proches et partisans à son retour à l’aéroport Wilson de Nairobi, après trois jours de détention en Tanzanie, le 22 mai 2025.

Le militant Boniface Mwangi avait été interpellé en même temps que la journaliste Agather Atuhaire à Dar es Salaam, capitale économique de la Tanzanie, alors qu’ils étaient venus apporter leur soutien au chef de l’opposition tanzanienne Tundu Lissu, qui comparaissait lundi 19 mai dans le cadre d’accusations de trahison. L’inculpation de Tundu Lissu est liée au fait qu’il avait demandé des réformes du système électoral. Il risque la peine de mort.

De nombreuses ONG avaient appelé à la libération de M. Mwangi et Mme Atuhair, dont les arrestations avaient provoqué un tollé! Selon Amnesty International, ils étaient détenus par des « officiers de l’Armée » tanzanienne. M. Mwangi est finalement réapparu jeudi dans une ville côtière proche de la frontière nord de la Tanzanie, expulsé par la route et abandonné là, selon sa famille citée par le journal kényan ‘Daily Nation’.

Boniface Mwangi « a été libéré », s’est félicité le ministre kényan des Affaires étrangères Musalia Mudavadi, interrogé par l’AFP, dont l’Administration avait été critiquée pour sa passivité. « Nous avons engagé des négociations diplomatiques, et c’est ainsi que cela se passe », a-t-il affirmé. « Nous (M. Mwangi et Mme Atuhaire) avons été traités pire que des chiens, enchaînés, les yeux bandés, et avons subi des tortures vraiment horribles », a détaillé M. Mwangi à son retour à Nairobi, dans la soirée du 22 mai.

S’adressant à la presse devant un aéroport de Nairobi, il a dit que tous deux étaient restés « menottés et les yeux bandés » depuis lundi. « La situation en Tanzanie est très mauvaise, je pense que ce qui nous est arrivé est ce qui arrive à tous les activistes tanzaniens », a-t-il dénoncé. Plus tôt, son épouse Njeri Mwangi avait déclaré à l’AFP être « avec lui et il est vivant », mais « blessé ».

Le diplomate ougandais Fred Mwesigye, haut commissaire chargé de la Tanzanie, avait indiqué à l’AFP avoir contacté les autorités tanzaniennes pour leur demander des nouvelles d’Agather Atuhaire et discuter de ses « possibilités de libération », et n’avoir reçu aucune réponse du Gouvernement tanzanien. C’était avant l’élargissement d’A. Atuhaire ce 23 mai 2025.

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