LE CAP (© 2019 AFP) – Dans la banlieue sud-africaine de Cape Flats rongée par les gangs, des groupes d’enfants rient et agitent la main en courant derrière un blindé militaire suivi de véhicules de police qui se faufilent dans les rues pour une opération conjointe destinée à réduire la forte criminalité.
A quelques rues de là, les militaires, armés de fusils et de boucliers, sautent à bas de leurs véhicules et avancent parmi du linge séchant sur des cordes, avant de se diriger vers un ensemble d’immeubles suspecté d’être une zone criminelle sensible. Depuis juillet, le gouvernement sud-africain a déployé quelque 1.300 militaires en renfort de la police pour tenter d’endiguer la violence mortelle des gangs dans la banlieue. Situé dans le sud-est de la touristique ville du Cap, le quartier de Cape Flats est constitué de plusieurs townships où les noirs et métis se sont retrouvées relégués sous le régime de l’apartheid. Gangrené par les gangs, mal surveillé par des policiers en sous-effectif, Cape Flats est devenu l’un des endroits les plus dangereux du pays. Mais un mois après leur déploiement, les troupes semblent avoir apporté un soulagement très relatif à une communauté pauvre, lasse de la forte délinquance. « Les gens étaient tellement contents quand ils ont entendu que l’armée venait prêter main forte dans un contexte si désespéré, que la moindre petite amélioration les aurait soulagés », estime Kader Jacobs, qui anime une association communautaire dans le township de Manenberg.
Les habitants s’attendaient à des bouclages de grande ampleur visant en particulier les zones sensibles réputées les plus dangereuses, mais « rien de tout cela n’est arrivé », assure Kader Jacobs, pour qui la recherche de drogues et d’armes « ne se déroule pas avec l’ampleur que nous espérions ». « Les gens ne voient aucun changement significatif dans le quartier ».
– 47 meurtres en un week-end –
Les statistiques de la police indiquent une hausse annuelle de 6.3% des meurtres dans la province occidentale du Cap, avec presque 4.000 homicides commis d’avril 2018 à 2019. Un rapport sur la sécurité urbaine publié cette année par le Réseau des villes sud-africaines montre que Le Cap a le taux d’homicides le plus élevé du pays, avec 69 personnes tuées pour 100.000 habitants, soit le double de la moyenne nationale. « Ils envoient l’armée, mais l’armée ne peut rien faire », déplore Sally-Anne Jacobs, 50 ans, qui a perdu son fils et son cousin de 19 ans dans les affrontements entre gangs. « Je ne sais pas comment ils peuvent réduire les tueries qui ont lieu à Cape Flats ».
Cédant à la pression du gouvernement local et d’organisations de la société civile après 43 meurtres commis en week-end en juillet, le président Cyril Ramaphosa a donné son feu vert à un déploiement militaire temporaire de trois mois. L’armée travaille grâce à des informations venant des communautés locales pour sécuriser des zones dans Cape Flats et permettre à la police d’effectuer des descentes et des arrestations, parfois sous les applaudissements des habitants. Mais le nombre de tueries n’a pas beaucoup diminué. Malgré la présence de l’armée, 47 morts ont été recensées pendant le deuxième weekend d’août. Le ministre de la Police Bheki Cele a cependant souligné que bien qu' »envoyer des militaires dans les quartiers ne soit pas l’idéal », plus de 1.000 arrestations ont été effectuées pour des tentatives de meurtre, des vols et enlèvements. La police a aussi saisi 45 armes à feu et 1.036 cartouches.
Malgré ces arrestations massives, les habitants vivent toujours dans la peur. « La moitié des détectives de la province ont plus de 200 cas à traiter, alors que le nombre de dossiers idéal est entre 50 et 60 », a reconnu le ministre de la province Alan Winde.
– « Impact minime » –
La militante de l’association caritative Manenberg Safety Forum, Roegchanda Pascoe, n’est pas convaincue non plus. « De ce que j’ai pu constater, l’armée n’a pas fait grand-chose. Nous avons mesuré un impact minime, voire nul », a-t-elle déclaré. Selon Mme Pascoe, les démonstrations de force des militaires ne suffisent pas à enrayer la criminalité. « Le tissu social de notre communauté est complètement déchiré. Nous avons des familles brisées par le chômage, les grossesses précoces, la toxicomanie et l’alcoolisme ». Mais le ministre de la Police a assuré que l’opération « ne faisait que commencer », avertissant les criminels que « leurs jours étaient comptés ». Le coût des opérations s’élève à 1.4 million de dollars (1.25 million d’euros) pour les finances publiques. « Cela vaudra la peine si cela mène à une interruption durable de la violence », a estimé Andrew Faull, chercheur rattaché au groupe de réflexion sur la sécurité ISS, installé à Pretoria. Selon lui, ce déploiement militaire relève surtout d’un « spectacle politique ».