The Conversation Meta, la société mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, a récemment écopé au Nigéria de trois amendes pour un montant total de plus 290 millions de dollars. Ces sanctions ont été infligées par trois organismes publics: la Commission fédérale de la concurrence et de la protection des consommateurs (Federal competition and consumer protection commission, FCCPC) , la Commission nigériane de protection des données (Nigeria data protection commission – NDPC) et le Conseil de régulation de la publicité du Nigéria (Advertising regulatory council of Nigeria, or Arcon). Meta était accusée de pratiques intrusives à l’encontre des utilisateurs et des consommateurs au Nigeria. Meta, qui rejette ces accusations, a décidé de contester les amendes devant les tribunaux.
Le chercheur en entrepreneuriat et en commerce international Tolu Olarewaju et le professeur d’entrepreneuriat Jagannadha Pawan Tamvada décryptent les implications de ces amendes.
Quelles sont les violations qui ont valu à Meta ces sanctions ?
Tout a commencé le 4 janvier 2021. WhatsApp avait alors mis à jour sa politique de confidentialité pour introduire le partage obligatoire des données avec Facebook (aujourd’hui Meta) et ses filiales. Le changement principal consistait à permettre à WhatsApp de partager les données issues des échanges commerciaux de ses utilisateurs avec Facebook, à des fins de publicité ciblée et de marketing.
Le problème ? Les utilisateurs n’avaient pas le choix : il s’agissait d’une politique « à prendre ou à laisser ».
En d’autres termes, si les utilisateurs n’acceptaient pas les nouvelles conditions, ils ne pourraient plus utiliser WhatsApp. Cela a déclenché une enquête conjointe – entre mai 2021 et décembre 2023 – de la Commission fédérale de la concurrence et de la protection des consommateurs sur Meta, menée avec la Commission nigériane de protection des données.
Celles-ci reprochent à Meta de n’avoir pas respecté la loi nigériane sur la protection des données. En effet, Meta n’avait pas désigné une organisation locale agréée chargée de veiller au respect de la réglementation sur les données personnelles. Elle n’avait pas non plus transmis les rapports obligatoires prévus par la réglementation, pendant deux années consécutives.
Avec ses 236 millions d’habitants et environ 107 millions d’internautes actifs, le Nigéria représente un marché crucial pour Meta. WhatsApp, Facebook et Instagram – toutes propriétés de Meta – figurent parmi les plateformes sociales les plus utilisées dans le pays.
Face aux sanctions, Meta a brandi la menace de retirer Facebook et Instagram du territoire nigérian. Une posture que les autorités ont immédiatement rejetée, affirmant qu’un éventuel départ n’exonérerait pas l’entreprise de ses responsabilités.
Pour donner une idée de l’enjeu : Facebook compte environ 51,2 millions d’utilisateurs au Nigeria, et Instagram environ 12,6 millions.
Qu’est-ce que les régulateurs ont trouvé contre Meta ?
L’enquête a révélé plusieurs violations. Voici les principales infractions :
Le partage de données non autorisé : Meta a partagé les données personnelles d’utilisateurs nigérians sans leur consentement. Il s’agissait notamment de transferts et de stockages hors du pays. Ces pratiques violent la réglementation de la Commission nigériane de protection des données et la loi fédérale sur la concurrence et la protection des consommateurs.
Pratiques discriminatoires : Meta est accusée de traiter les utilisateurs nigérians différemment de ceux d’autres juridictions dotées de réglementations similaires, comme l’Union européenne. En Europe, les utilisateurs bénéficient de protections renforcées grâce au Règlement général sur la protection des données (RGPD). Les régulateurs nigérians ont mis en évidence ce deux poids deux mesures.
Le droit à l’autodétermination numérique: La société aurait refusé aux utilisateurs nigérians le droit de décider de l’usage de leurs données, en les obligeant à accepter des politiques de confidentialité abusives.
Abus de position dominante : La Commission fédérale de la concurrence estime que Meta a abusé de sa position dominante sur le marché en imposant aux utilisateurs des règles abusives qui touchent à leur vie privée.
Pratiques de ventes liées et groupées (Tying and bundling): Meta est accusée d’avoir mené des pratiques de ventes liées et groupées, qui sont considérées comme anticoncurrentielles.
La vente liée consiste à obliger un utilisateur d’acheter un produit ou un service secondaire comme condition d’achat d’un produit ou d’un service principal. Par exemple, forcer un utilisateur de Facebook à accepter le partage de données avec WhatsApp ou Instagram.
Quant à la vente groupée, elle revient à vendre plusieurs produits ou services sous la forme d’un ensemble, ou rend difficile l’achat de ces produits ou services séparément. Par exemple, Meta peut regrouper plusieurs services comme Facebook, Instagram et Messenger de telle sorte que les utilisateurs doivent accepter une politique de confidentialité unique qui les couvre tous, même s’ils n’utilisent qu’un seul service. Cela limite la liberté de choix et rend plus difficile l’accès à des alternatives.
Après l’échec des tentatives de correction, la Commission fédérale de la concurrence et de la protection des consommateurs a rendu son ordonnance finale en juillet 2024. Elle a imposé une amende de 220 millions de dollars ainsi que des pénalités d’autres agences, portant le total à 290 millions de dollars.
Outre l’amende, la commission a ordonné à Meta de se conformer aux lois nigérianes et de mettre fin à des pratiques qu’elle a qualifiées d’« exploitation » des consommateurs nigérians.
À l’issue de son enquête, la commission a fait part de ses conclusions à Meta. L’entreprise a proposé un « ensemble de mesures correctives ». Elles ont été jugées insuffisantes par les régulateurs.
Qu’est-ce qui a rendu Meta vulnérable à de telles amendes ?
Meta n’a pas réussi à adapter ses pratiques en matière de données. Elle semble faire fi de la souveraineté et de l’autorité de régulation du Nigéria. Par exemple, Meta a transféré les données des utilisateurs nigérians hors du pays sans fournir les garanties de protection exigées par la législation nigériane.
Selon plusieurs estimations, Meta génère entre 200 et 300 millions de dollars de revenus par an au Nigeria. Mais ce chiffre est probablement encore plus élevé, car de nombreux Nigérians vivant à l’étranger utilisent Facebook et Instagram pour communiquer avec leurs proches restés au pays. Ces échanges internationaux génèrent aussi vraisemblablement des revenus pour Meta.
L’entreprise a fait l’objet de sanctions similaires pour des violations des règles sur les données personnelles dans d’autres pays, notamment une amende de 1,4 milliard de dollars au Texas et une amende de 1,3 milliard de dollars en Europe.
Elle a également écopé d’une amende en Inde, en Corée du Sud et en Australie.
Quelles sont les conséquences de ces amendes pour Meta ?
Meta est désormais placée sous étroite surveillance par les autorités nigérianes. Elle devra se conformer plus strictement aux lois locales sur la protection des données et les droits des consommateurs. L’entreprise devra notamment désigner un organisme agréé chargé de veiller à la conformité en matière de protection des données. Cela implique également qu’elle doit soumettre des rapports d’audit obligatoires prévus par la réglementation nigériane sur la protection des données.
Les trois amendes et les mesures réglementaires pourraient également contraindre Meta à réévaluer ses activités au Nigeria, la contraignant à adapter ses services pour les rendre conformes à la législation nigériane. .
La justice nigériane a aussi ordonné à Meta de rembourser 35 000 USD à la Commission fédérale de la concurrence et de la protection des consommateurs pour couvrir les frais de l’enquête. Il lui a également été demandé de prendre les mesures suivantes :
- rétablir les droits des utilisateurs nigérians à déterminer le contrôle et l’utilisation de leurs données sans perdre de fonctionnalité ou supprimer d’application;
- mettre à jour sa politique de confidentialité pour se conformer aux lois sur la protection des données au Nigeria;
- interdire le partage des données des utilisateurs WhatsApp avec les autres entreprises du groupe Facebook et avec des tiers, sans consentement actif;
- revenir aux pratiques de partage des données adoptées en 2016, y compris la mise en place d’un écran d’opt-in;
- mettre fin à la vente liée et au transfert de données sans consentement;
- afficher un lien visible sur ses plateformes pour les utilisateurs nigérians, menant à un contenu pédagogique sur les risques des pratiques manipulatrices et déloyales en matière de données. Ces vidéos seront développées en collaboration avec des ONG et des institutions académiques agréées.
D’autres entités de médias sociaux opérant au Nigeria observeront ainsi de près ce qu’il faut faire.
Dans quelle mesure le Nigeria est-il dépendant de ces plateformes de médias sociaux ?
De nombreuses entreprises et entrepreneurs nigérians utilisent Facebook et Instagram pour faire le publicité, interagir avec des clients et les ventes. Ces plateformes offrent une publicité rentable et des canaux de communication directe avec les clients.
Ces plateformes fournissent également des analyses précieuses sur le comportement des clients, la performance du contenu et des données démographiques. Les entreprises utilisent ces services pour affiner leurs stratégies de marketing et prendre des décisions fondées sur ces données.
Les créateurs de contenu au Nigéria utilisent Facebook et Instagram pour développer leur audience, monétiser leur contenu et collaborer avec les marques. Le secteur des créateurs africains, évalué à 3,250 milliards de dollars de dollars en 2024, devrait connaître une croissance significative.
L’afrobeats a également gagné en popularité au Nigéria et dans le monde entier grâce à ces plateformes.
Le Nigéria voit émerger un écosystème de plateformes sociales locales qui offrent des alternatives aux géants mondiaux. Même si elles restent encore modestes en terme d’audience comme Crowwe, ChatAfrik et Nairaland, elles progressent dans le partage de contenu, le chat, les forums et la promotion des entreprises.
Le secteur des technologies de l’information et de la communication a contribué à hauteur de 20 % au produit intérieur brut réel du Nigeria au deuxième trimestre 2024. L’expansion rapide de l’industrie des technologies numériques au cours des dernières années met en évidence son fort potentiel pour stimuler la croissance économique.
L’économie numérique du Nigeria a également connu une croissance significative en raison de l’augmentation de l’accès à Internet et de l’utilisation des téléphones portables.
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