Massacre de Thiaroye: Plainte inédite déposée contre Paris pour lumière et indemnisation

Afriquinfos Editeur
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80è anniversaire du massacre de Thiaroye.

L’unique descendant connu d’un groupe de tirailleurs, massacrés à leur retour de la Seconde Guerre mondiale par l’Armée coloniale française en 1944 à Thiaroye, au Sénégal, a déposé plainte ce 24 juin contre l’Etat français, pour qu’enfin il « paie » après cet « acte criminel et ignoble ».

Des couronnes de fleurs déposées au cimetière militaire de Thiaroye à l’occasion du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, le 1er décembre 2024 près de Dakar, au Sénégal.

Me Mbaye Dieng, l’avocat du Sénégalais Biram Senghor, seul descendant connu de ces nombreux tirailleurs massacrés, a indiqué ce 25 juin 2025 avoir déposé plainte mardi au Tribunal judiciaire de Paris contre X, et la France pour recel de cadavre. M. Senghor est l’unique fils de M’Bap Senghor, tué le 1er décembre 1944 alors qu’à son retour d’Europe, il réclamait comme d’autres ses arriérés de soldes pour sa participation à la Seconde Guerre mondiale.

Sidy Diop, gardien du cimetière militaire de Thairoye, passe devant les tombes de tirailleurs sénégalais tués le 1er décembre 1944 par l’Armée française, le 26 novembre 2024 à Dakar.

Après le massacre, M’Bap Senghor « a été considéré comme +non rentré+ (disparu) puis déserteur », écrit l’historienne Armelle Mabon dans son ouvrage, « Massacre de Thiaroye. Histoire d’un mensonge d’État », publié en novembre 2024. Son décès n’a été officiellement reconnu que neuf ans plus tard, en 1953, précise-t-elle.

Biram Senghor, âgé d’au moins 86 ans, et joint mercredi à Diakhao, une bourgade dans le centre-ouest du Sénégal, où il réside, a confié à l’AFP qu’il « ne sait pas où (son père) est inhumé, au cimetière ou au camp de Thiaroye ». « Je n’en sais rien. La France sait où se trouve le corps, le ministère des Anciens combattants sait où sont inhumés les tirailleurs », a-t-il affirmé, reprochant à la France de cacher la vérité.

« Ils font traîner cette affaire pour que je meure et qu’elle soit classée », a ajouté M. Senghor. Dénonçant « 300 ans de domination coloniale » et d' »exploitation », il se désole que la France « refuse maintenant de payer (leur dû) à une poignée de soldats (coloniaux africains) qui ont remis sur les rails de la liberté la France que l’Allemagne avait occupée » lors de la Seconde Guerre mondiale. « Ça fait plus de 80 ans qu’elle refuse de payer (une indemnisation) après son acte criminel et ignoble. Qu’elle me paie », a-t-il insisté.

– « Obstruction » –

Les autorités françaises de l’époque avaient admis la mort d’au moins 35 personnes. Mais plusieurs historiens avancent un nombre de victimes bien plus élevé, jusqu’à 400. L’endroit où reposent les soldats tombés n’a jamais été précisément révélé. Depuis, parmi les tirailleurs exécutés, six ont été reconnus en juillet 2024 « morts pour la France », une liste qui « pourra être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie », selon le Secrétariat d’État français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire.

Les tombes de tirailleurs sénégalais tués le 1er décembre 1944 par l’Armée française au cimetière militaire de Thiaroye à Dakar, le 26 novembre 2024.

Parmi eux, quatre étaient Sénégalais, dont M’Bap Senghor. Pour Me Dieng, « pendant un temps, on a menti à sa famille, on a fait croire que M. Senghor père était un déserteur, qu’il n’était pas mort à Thiaroye, et ensuite on a reconnu qu’il l’était ». « On ne sait pas où se trouvent les tirailleurs » et « cette situation fait tomber les responsables de la gestion de ce dossier sous le coup de l’article 434-7 du Code pénal français, qui punit toute personne qui cache le cadavre d’une personne décédée des suites d’une violence », a poursuivi le conseil.

« La France est partie avec toutes les archives de la période pendant laquelle elle a géré le pays car il y avait des choses à cacher », a-t-il ajouté. « Nous estimons que les personnes qui ne donnent pas accès aux archives font obstruction. Il faut qu’ils nous disent où se trouve le cadavre », a encore demandé Me Dieng. « Nous estimons que les personnes qui ne donnent pas accès aux archives font obstruction. Il faut qu’ils nous disent où se trouve le cadavre », a encore demandé Me Dieng.

Via des fouilles archéologiques inédites menées depuis début mai 2025, des archéologues ont découvert des squelettes humains avec des balles dans le corps dans le cimetière de Thiaroye, a appris l’AFP début juin 2025, de source proche du dossier.

Le 19 février, 2025 le Gouvernement sénégalais avait annoncé ces fouilles pour « la manifestation de toute la vérité ». Il reproche à la France de dissimuler des faits sur ce massacre, en retenant notamment des documents d’archives permettant de connaître le bilan humain. L’ancien Président François Hollande avait pourtant annoncé lors d’une visite fin 2014 avoir « remis une copie de l’intégralité des archives » sur Thiaroye.

« La France a fait tout ce qu’elle devait faire », assurait en décembre 2024 une source gouvernementale française, d’après qui « les archives sont ouvertes (Défense, Quai, Outre-mer) ».

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