Dakar (© 2025 The Conversation)-Le ndëpp est un rite de possession comparable au Vodou haïtien par lequel les Lébou et les Wolof du Sénégal initient la personne au culte de leurs esprits ancestraux appelés rab. Ce culte est signalé dès 1506 par un voyageur portugais. En 1853, l’abbé Boilat relate la possession d’une jeune fille wolof par un esprit nommé Samba Diop qui lui réclame une offrande de farine et de lait.
En 1912, l’historien sénégalais Yoro Dyao décrit les autels domestiques des anciens Wolof que rien ne distingue des autels actuels visibles dans les arrière-cours des maisons dakaroises. En revanche, on ne trouve aucune trace des danses de possession du ndëpp avant les reportages du journaliste anglais Geoffroy Gorer en 1935. Est-ce qu’elles ont échappé aux observateurs ou qu’elles n’existaient pas ? Nous ne le savons pas.
Quoi qu’il en soit, il semble que ces rites ostensiblement publics se soient tardivement greffés sur le culte domestique des rabs, en particulier dans la région urbanisée du Cap-Vert. Le mot rab signifie « animal ». Il évoque le varan ou le serpent des mythes d’origine qui sauva l’ancêtre nomade assoiffé, lequel a fondé son culte pour assurer la santé et la prospérité de ses descendants.
Le rituel de samp – « planter, fixer » – vise à rétablir cette alliance en érigeant l’autel domestique où le rab de la famille est honoré par des offrandes régulières. Ce rite de fondation du culte fait partie du ndëpp, mais il ne requiert ni danse ni possession publique. Les familles de musulmans pieux qui tiennent à honorer leurs ancêtres l’effectuent dans l’intimité du domicile du possédé. Ce rite discret est passé sous silence par les textes religieux.
En tant qu’ethnologue ayant longuement étudié les rituels thérapeutiques chez les Wolof et les Lébou du Sénégal, ainsi que les phénomènes de possession à travers le monde, je reviens ici sur l’évolution du ndëpp, à la croisée du thérapeutique, du religieux et du spectacle.
Evolution du ndëpp
Au temps de nos observations du moins, le ndëpp était un rituel à forte dominante féminine au point que certains de ses officiants masculins, comme le regretté El Hadj Daouda Seck, s’habillaient en femme pour y officier. Parmi les membres des collèges de possédés, certains étaient notoirement_ góor-jigéen_, “hommes-femmes” homosexuels. C’est pourquoi nous préférons désigner désormais les participants du ndëpp par des substantifs mis au féminin (possédée, initiante, officiante…).
Déroulement du rituel et rôle de la transe
L’élection de la personne traitée par les rites publics du ndëpp se manifeste par la maladie. Mutisme, refus de manger, isolement, apathie, plaintes de quelque chose qui « pèse », « monte » et « descend » dans le corps… en sont les signes conventionnels. En termes psychiatriques, cette combinaison de symptômes est celle de la dépression, de l’asthénie et de troubles psychosomatiques. Ils sont pris en charge dès la soirée inaugurale du rituel.
Les officiantes de ndëpp se réunissent dans la chambre exiguë de la possédée. Au son d’un tambourinage intense, les rab de tout le pays sont appelés par leurs chants-devises. Le buste de la possédée est dénudé, inondé de lait et «caressé », massé (raay) de haut en bas, par les prêtresses. Ce maternage nocturne est censé attirer les rab.
Le lendemain matin, les parties du corps de la possédée sont mesurées (natt, en wolof). Ce rituel se déroule alors que sa tête est recouverte d’un voile. Un van contenant des racines d’arbre et des objets liturgiques est passé de sa tête à ses pieds en arrosant toutes les parties de son corps de graines de mil. Par ce rite et d’autres, on cherche à faire « descendre » l’esprit du corps de la possédée vers l’autel à construire.
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