La jeunesse africaine, premier danger pour les dirigeants africains s’éternisant au pouvoir malgré des signes du temps (Pr Nubukpo)

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L'économiste et ancien ministre Togolais Kako Nubukpo

Paris (© 2024 Afriquinfos)- Les récentes prises de pouvoir de juntes militaires en Afrique de l’Ouest «sanctionnent l’échec des élites urbaines à créer de la prospérité» et offrent à la jeunesse «une forme de revanche par procuration», alerte Pr Kako Nubukpo dans son nouvel ouvrage intitulé ‘L’Afrique et le Reste du monde: De la dépendance à la souveraineté’.

L’ancien ministre togolais de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques prévient que la croissance «vertigineuse» de la jeunesse africaine est un danger pour les régimes politiques. Il invite à travailler pour retenir les jeunes dans leur pays d’origine en vue de créer de la richesse.

«En Afrique, le poids croissant de la jeunesse va faire chuter tous les régimes que l’on dit forts», fait observer l’économiste qui invite à prendre la mesure de la montée en puissance de la jeunesse. Non seulement pour ses répercussions sur la gouvernance du continent, mais aussi pour le reste du monde.

Il n’est plus possible, de comprendre ce qui se passe en Afrique sans prendre en compte le poids de la jeunesse, et c’est le point de départ de ce nouvel ouvrage, indique l’auteur du  livre, expliquant que  la succession d’alternances non démocratiques en Afrique de l’Ouest au cours des dernières années l’a amené à s’interroger sur l’évolution de la gouvernance politique en Afrique. La volonté de contenir la menace djihadiste – mieux que ne l’avaient fait jusqu’alors les présidents civils – a motivé la prise du pouvoir par des militaires, plus conscients – car en première ligne – de la gravité de la situation sur terrain.

Mais il y a aussi une question générationnelle, dont témoigne l’adhésion de la jeunesse. ‘’Ces jeunes militaires, avec le pouvoir des armes, offrent à ces jeunes une forme de revanche par procuration sur des régimes qui ne se sont pas préoccupés de leur avenir. Soixante ans après les indépendances, ces événements sanctionnent l’échec des élites urbaines, dont je fais partie, à créer de la prospérité’’, précise l’ex-ministre.

 ‘’A la faculté des sciences économiques et de gestion de Lomé, où j’enseigne, nous sommes 20 professeurs pour 20.000 étudiants. Nous savons qu’il ne nous est pas possible de bien les former. Mais ces étudiants sortiront pourtant de l’Université avec un diplôme et ils iront grossir le flot des chômeurs urbains avec beaucoup de rancœur, car faire des études a fait naître chez eux d’autres attentes. Il existe des exemples comme celui-ci partout en Afrique’’, avertit Kako Nubukpo.

La population africaine va doubler d’ici à 2050. Il s’agit d’un bouleversement considérable. Cette réalité va faire chuter tous les régimes que l’on dit forts et qui sont en réalité extrêmement fragiles du fait de ce poids croissant de la jeunesse. Car en face, il n’y a rien : pas d’emplois, pas de perspective, pas de discours politique mobilisateur autre que le discours anti-Occident qui prospère au Sahel. Comment ces espaces ne pourraient-ils pas finir par imploser ?

Les recommandations de Kako Nubukpo pour retenir les jeunes en Afrique

Dans un autre registre, le doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’université de Lomé démontre  la nécessité pour l’Afrique de mettre en place un « protectionnisme écologique ». 

‘’Il faut protéger les marchés pour que les jeunes Africains puissent rester vivre en Afrique et transformer localement les matières premières. Nous savons que c’est la seule façon de créer de la richesse et de l’emploi’’, a –t-il recommandé. Favorable au multilatéralisme, Prof Kako Nubukpo défend  pour l’Afrique un juste échange, un protectionnisme écologique, tout en estimant que les néolibéraux ne sont pas intellectuellement honnêtes.

Selon lui, le système néolibéral qui a été imposé à l’Afrique repose sur deux principes de base. Le premier est la flexibilité des prix grâce à la concurrence, or les économies africaines sont dominées par des monopoles qui maintiennent des prix supérieurs à ceux attendus d’une concurrence pure et parfaite. Le deuxième principe est celui de la mobilité des facteurs de production : capital et travail. Le capital fait plusieurs fois le tour de la planète en une journée, mais le travail est bloqué par les visas.

’L’Afrique doit définir sa propre voie. Je ne pense pas qu’elle se retrouve dans un néolibéralisme finissant prodigué par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, ou dans un panafricanisme de repli qui consiste à prendre la France comme un ennemi’’, confie-t-il dans un entretien au journal Le Monde.

’Je plaide pour une troisième voie, qui est celle portée par la « théorie des communs » et qui a toute sa place dans le contexte de double défaillance du continent : celle des Etats et celle du marché. Cette idée avancée par l’économiste américaine Elinor Ostrom met en avant le principe d’auto-organisation à partir des territoires et des communautés. Beaucoup de solutions aux problèmes que connaît l’Afrique se trouvent dans des réponses locales’’, déclare-t-il entre autres. ‘L’Afrique et le Reste du monde: de la dépendance à la souveraineté’, 208 pages, a été publié en octobre 2024.

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