The Conversation -La disparition soudaine de Koyo Kouoh, curatrice d’origine camerounaise, à seulement 57 ans, a bouleversé le monde de l’art. Figure incontournable de la scène artistique africaine, son influence dépassait largement les frontières du continent.
Née en 1967 à Douala, elle a grandi en Suisse, à Zurich, avant de revenir s’installer en Afrique, au Sénégal d’abord, puis en Afrique du Sud. Depuis 2019, elle dirigeait le prestigieux musée Zeitz MOCAA au Cap, qui abrite la plus grande collection d’art contemporain du continent.
Au moment de son décès, Koyo Kouoh devait entrer dans l’histoire en devenant la première femme africaine à prendre la tête de la Biennale de Venise, souvent surnommée les “Jeux olympiques du monde de l’art”. Sa démarche, qu’elle décrivait comme ancrée dans une vision panafricaine, féministe, héritée des ancêtres, militante mais aussi ouverte et généreuse, transparaissait dans toutes ses initiatives. Koyo Kouoh assumait pleinement son engagement à faire rayonner l’Afrique et ses expressions artistiques sur la scène internationale.
Elle a marqué le monde de l’art en tant que conseillère et commissaire d’expositions majeures à travers le monde.
J’ai eu la chance de la rencontrer en 2015, lors d’un atelier de formation curatoriale qu’elle animait. Plus tard, j’ai collaboré avec elle au Zeitz MOCAA, notamment pour son exposition phare When We See Us : A Century of Black Figuration in Painting.
Mais son héritage va bien au-delà de ses fonctions prestigieuses. Koyo Kouoh a formé et accompagné de nombreux artistes et professionnels de l’art, en particulier des femmes. Elle laisse derrière elle une empreinte durable : la création d’institutions artistiques durables, un travail de conservation critique et attentionné, la promotion des artistes et des travailleurs culturels, et l’éducation par l’art.
Bâtir des institutions durables
Koyo Kouoh avait une devise :
Il faut construire sa propre maison plutôt que d’essayer d’entrer dans le château de quelqu’un d’autre.
Un des aspects majeurs de son héritage : apprendre à construire des institutions artistiques africaines fortes et indépendantes. Elle considérait en effet qu’il était essentiel de créer des espaces où les artistes africains puissent être vus, entendus et surtout prendre leurs décisions en toute autonomie, à l’abri des pressions des bailleurs de fonds. Le RAW Material Company, qu’elle a fondé à Dakar, incarne parfaitement cette philosophie. Ce centre d’art et de résidence pour artistes est devenu un véritable tremplin pour de jeunes artistes, commissaires et galeristes africains. À travers cet espace, elle a aussi lancé des publications dédiées à l’art africain, contribuant à renforcer un écosystème artistique africain en plein essor, désormais bien présent sur la scène internationale.
Son sens de la structuration institutionnelle s’est également illustré lorsqu’elle a pris les rênes du Zeitz MOCAA, au Cap, à un moment où le musée traversait une zone de turbulences. En quelques années, elle a su redresser l’institution et en faire l’un des musées les plus importants du continent, rivalisant avec les grandes institutions culturelles mondiales.
Elle disait:
J’aime réparer, prendre des institutions complexes et les rendre viables sur le long terme.
Une vision de l’éducation par l’art
Les expositions qu’elle a dirigées ont fait l’objet de recherches approfondies et ont suscité des débats critiques et publics. Son exposition phare When We See Us en est un parfait exemple : elle s’accompagnait d’un solide programme éducatif, incluant une série de webinaires accessibles en ligne, mais aussi des symposiums organisés à chaque étape de la tournée internationale de l’exposition, ainsi qu’une publication de référence réunissant des contributions de grands critiques d’art.
Au-delà du cercle des artistes et des commissaires, Kouoh avait le talent de fédérer des acteurs venus de tous horizons : universitaires, travailleurs culturels, mais aussi chefs d’entreprises.
On ne peut parler des contributions de Kouoh à l’éducation artistique sans mentionner le Zeitz MOCAA & University of the Western Cape Museum Fellowship Programme, destiné à développer « la pratique curatoriale ainsi qu’à faire progresser la recherche sur le discours de l’art contemporain du continent ». Au cours de mon mandat, j’ai observé que le Centre d’éducation artistique du musée et son programme de sensibilisation lui tenaient particulièrement à cœur.
Mettre en lumière les artistes africains
Au Zeitz MOCAA, Kouoh était plus attirée par les expositions individuelles basées sur la recherche ou les enquêtes sélectives qui offraient un regard intime sur « les pratiques individuelles, avec des rétrospectives et des monographies ». Sous sa direction, le musée a braqué les projecteurs sur des figures majeures de la scène artistique africaine contemporaine, telles que Senzeni Marasela, Johannes Phokela, Tracey Rose, Mary Evans, Otobong Nkanga et bien d’autres encore.
Grâce au programme Atelier du musée, une résidence ouverte et expérimentale, le public peut découvrir les coulisses de la création. Ce dispositif offrait une immersion dans le processus artistique, donnant à voir les recherches, les hésitations, les gestes et les intentions derrière les œuvres. Des artistes comme Thania Petersen, Igshaan Adams, Unathi Mkonto ou Berni Searle ont ainsi pu partager des étapes de travail habituellement invisibles avec le public qui ne voit que l’œuvre finale.
Inspirer des générations
Koyo Kouoh croyait profondément au potentiel de chacun et chacune, et voyait en toute personne des possibles infinis. Cet engagement transparaît dans le nombre de jeunes talents et de pairs qu’elle a accompagnés, conseillés et aidés à s’épanouir. L’équipe de jeunes commissaires, majoritairement composée de femmes noires, qu’elle a formée et laissée à la tête du Zeitz MOCAA en est une illustration concrète. Son souci du bien-être de ceux qui l’entouraient était au cœur de son action. Sur la nécessité d’élever les femmes, elle a déclaré :
On ne soulignera jamais assez l’importance, ou plutôt l’urgence, de se concentrer sur les voix des femmes.
Commissaire de la Biennale de Venise 2026
Récemment nommée directrice artistique de la prochaine Biennale de Venise, Kouoh devait présenter le titre et le thème de l’exposition à Venise le 20 mai.
Ceux qui connaissent sa pratique, ainsi que ses obsessions et valeurs, attendaient ce jour avec impatience, sachant que les voix africaines occuperaient le devant de la scène. J’espère que son équipe sera autorisée à mettre en œuvre ses idées jusqu’au bout.
Un héritage vivant
Koyo Kouoh faisait partie de cette génération pionnière de commissaires africains qui ont œuvré sans relâche pour faire entendre les voix et les créativités africaines sur la scène mondiale. Bien que cette reconnaissance ait commencé à émerger dans les années 1990, elle savait qu’il restait encore beaucoup à faire. C’est pourquoi elle n’a jamais cessé de travailler, même dans les moments les plus difficiles.
Elle a toujours partagé sa vision d’institutions fortes et indépendantes, invitant d’autres à suivre ce chemin. Elle a marqué le champ de l’art par son engagement à documenter les processus artistiques et à les interroger de manière critique, contribuant ainsi à produire des savoirs africains.
Puisse son héritage et son esprit perdurer. Comme elle le disait elle-même :
Je crois à la vie après la mort, car je viens d’une éducation noire ancestrale où nous croyons en des vies et des réalités parallèles.
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