Feintes à l’égard de la fiscalité dans trois pays africains: Des peines de prison requises à l’encontre de responsables du groupe français ‘Bourbon’

Afriquinfos Editeur
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Au tribunal de Marseille, le 18 mars 2019, à l'ouverture du procès "Bourbon".

Des peines de prison ferme ont été requises mardi 21 mai 2024 contre de hauts dirigeants du groupe français Bourbon, spécialiste de l’assistance maritime au secteur pétrolier, jugés à Marseille (sud-est) pour corruption d’agents publics étrangers dans trois pays africains dont le Nigeria.

Contre Gaël Bodénès, 56 ans, aujourd’hui numéro 1 de Bourbon, un groupe employant plus de 5.900 personnes dans 38 pays, le procureur a requis deux ans de prison dont un an avec sursis et une amende de 100.000 euros. Il a demandé la même peine pour Laurent Renard, 70 ans, ancien directeur général adjoint chargé des finances. La peine la plus lourde, trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis et une amende de 150.000 euros, a été réclamée contre Christian Lefèvre, 66 ans, ex-directeur général du groupe parapétrolier.

Tous les trois – contre lesquels l’accusation a aussi requis une interdiction d’exercice professionnel pendant cinq ans – formaient à l’époque des faits le comité exécutif (Comex) de Bourbon, société opérant entre autres au service de grosses majors pétrolières mondiales. « La décision d’une démarche de corruption relève du Comex », a souligné le procureur Jean-Yves Lourgouilloux pour qui « il s’agit (dans cette affaire) d’une stratégie réfléchie et assumée afin de s’implanter ou se maintenir dans certains pays ».

Bourbon aurait mené ces opérations de corruption dans trois pays africains à l’occasion de contrôles fiscaux. Ce fut d’abord en Guinée équatoriale, en février 2011, où, selon le parquet, une somme de 400.000 euros a été versée à un intermédiaire en vue de faire passer un redressement fiscal initial de huit millions d’euros à 44.849 euros. Puis au Cameroun, en novembre 2011 où des inspecteurs fiscaux locaux se sont vus remettre 150.000 euros pour épargner à Bourbon Offshore Surf le paiement d’une ardoise fiscale de 11 millions d’euros.

Au Nigeria, en octobre 2012, le versement de 700.000 dollars à deux contrôleurs puis de deux millions de dollars au responsable du Criminal Investigation Department (Département d’investigation criminelle) auraient permis de ramener à 4,1 millions de dollars (US) un redressement fiscal annoncé mi-2012 à hauteur de 227 millions de dollars.

– « Un système »-

A la manœuvre au Nigeria, Marc Cherqui, alors directeur fiscal de Bourbon, a été qualifié par le procureur de « courroie de transmission » qui, depuis Lagos, rend compte de la situation, sollicite le feu vert au versement de commissions occultes et transmet les acceptations à la société nigériane partenaire Intels, qui gère le contrôle fiscal. La découverte, le 19 octobre 2012 par les douaniers de l’aéroport de Marseille-Marignane de 250.000 dollars dans la valise de M. Cherqui, de retour de Lagos, a marqué le point de départ de cette enquête qui aura duré douze ans, plongeant dans le détail des opérations de Bourbon en Afrique.

Pour M. Lourgouilloux qui a requis contre lui deux ans de prison dont un an avec sursis et 50.000 euros d’amende, « Marc Cherqui a mis le doigt dans le pot de confiture. C’est la troisième opération de corruption à laquelle il participe et il a pu considérer qu’il n’y avait aucune raison qu’à titre personnel il n’en profite pas ». L’accusation repose sur ses échanges de mails avec les responsables de Bourbon. « Il est celui qui parle, qui dénonce et se retrouve seul contre tous. Il est alors dénigré, présenté comme un menteur », a fait observer M. Lourgouilloux.

Le procureur a par ailleurs requis une peine de dix-huit mois de prison dont un an avec sursis et une amende 70.000 euros contre Rodolphe Bouchet, actuel directeur de Bourbon Marine et Logistics qui aurait joué un rôle d’ »interface » entre M. Cherqui et le Comex, et un an de prison avec sursis avec une amende de 30.000 euros contre deux autres dirigeants de Bourbon. Il a toutefois considéré que « les éléments de preuve sont insuffisants pour entrer en voie de condamnation » contre Lilian Genevet, ex-vice-président finances. Pour le procureur, toute cette affaire « donne l’impression qu’on est bien face à un système, à des faits commis à titre habituel ». La défense des huit prévenus s’exprimera ces 22 et 23 mai 2024.

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