En Ethiopie, ambiance martiale pour la fête de l’épiphanie orthodoxe

Afriquinfos Editeur
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Devant une église centenaire, des acteurs agitent leurs fusils: à Gondar, dans le nord de l’Ethiopie, la fête de l’épiphanie orthodoxe est rattrapée par l’atmosphère martiale qui a gagné ce pays d’Afrique de l’Est déchiré par le conflit au Tigré.

La scène en dit long sur l’état d’esprit des fidèles: acclamée par la foule, la troupe glorifie la victoire de l’armée fédérale face aux « traîtres » du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), parti récemment délogé de cette région septentrionale.

On est bien loin de l’esprit de Timkat, fête des chrétiens orthodoxes d’Ethiopie, qui célèbre l’Epiphanie et le baptême de Jésus dans le Jourdain. D’habitude, Gondar, ancienne capitale de l’empire éthiopien, accueille des milliers de fidèles qui se plongent avec félicité dans l’eau sacrée de ses thermes construits au 17e siècle.

Ce festival haut en couleurs, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, se déroule cette année dans une ambiance atypique. Conflit au Tigré, massacres ethniques dans l’ouest, tensions latentes avec le Soudan voisin: depuis plusieurs mois, la violence est omniprésente en Ethiopie.

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Une situation qui a transformé cette fête religieuse en ode à la force militaire, via des prises de paroles et des spectacles au ton guerrier, parsemés d’avertissements aux ennemis potentiels de la nation.

Le slogan de cette année – « la Renaissance de l’Ethiopie au Timkat de Gondar » – a d’ailleurs été choisi en référence au conflit au Tigré, présenté comme une « opération de maintien de l’ordre » par Addis Abeba.

« Cela évoque le renouveau de l’Ethiopie et ce que le gouvernement est en train d’accomplir avec cette opération« , explique le maire de Gondar, Molla Melkamu. « Pour les Ethiopiens, c’est un nouveau départ. »

La fleur au fusil

Le Tigré est en crise depuis début novembre, date à laquelle le Premier ministre Abiy Ahmed a lancé une opération militaire dans la région, après des mois de tensions avec le TPLF. Prix Nobel de la paix 2019, M. Abiy a déclaré la victoire fin novembre lorsque ses troupes sont entrées dans Mekele, la capitale régionale. Mais les cadres du parti ont fui et les accrochages armés se poursuivent.

A Gondar, située en pleine région Amhara au sud du Tigré, le conflit ravive la rancœur enfouie contre le TPLF, qui a régné en maître sur l’Ethiopie pendant presque 30 ans avant l’arrivée au pouvoir de M. Abiy en 2018.

Lorsque les combats ont débuté, Teshafun Mande a ainsi quitté la ville avec son fusil, pour aller au front et reprendre les terres revendiquées par de nombreux Amhara, la deuxième ethnie d’Ethiopie. Selon eux, le TPLF s’est approprié ces territoires lorsqu’il a pris le contrôle du pays au début des années 90.

« Nous étions très joyeux en allant au combat. Même les morts sont partis le sourire aux lèvres« , raconte à l’AFP M. Teshafun, qui a passé la semaine de Timkat arme à la main, en chantant à la gloire des combattants Amhara qui ont affronté le TPLF.

En prélude du festival, un homme a été largement applaudi pour ses vers à l’accent révolutionnaire lors d’un concours de poèmes: « Le moment est venu / Les opprimés sont désormais debout / Les oppresseurs à terre ».

Violences ethniques

L’offensive au Tigré est loin d’être la seule préoccupation des fidèles.

Lors d’une course en début de semaine, plusieurs participants arboraient des affiches demandant au gouvernement de « faire attention à Metekel« , une zone dans l’ouest du pays où des centaines de personnes, dont de nombreux Amhara, sont mortes dans des massacres ces derniers mois.

Le gouvernement de M. Abiy n’arrive pas à empêcher ces attaques et à identifier les responsables. Mais de nombreux politiques amhara dénoncent une tentative visant à faire fuir leur ethnie de la région et réclament une intervention militaire.

En pleine procession, au milieu des prêtres qui escortent les tabots, ces répliques du coffre contenant les tables où figurent les dix commandements, Tegenu Guadie espère lui aussi le secours des forces fédérales.

« La situation à Metekel est très inquiétante. Les gens sont chassés de leurs maisons et se font tuer« , souffle l’étudiant de 26 ans.

Dans cette atmosphère belliqueuse, les prêtres tentent de sauvegarder l’esprit religieux du Timkat, à grands renforts d’encens et de chants liturgiques. Des efforts appréciés par Getenet Mekuant, lorsqu’il plonge dans l’eau sacrée des thermes: ce fidèle de 24 ans habite Gondar et aimerait se concentrer « sur la religion, pas la politique« .

Un vœu largement ignoré par les dirigeants locaux.

Depuis le bord de l’eau, le président de la région Amhara Agegnehu Theshager s’adresse à la foule: « Alors que nous célébrons Timkat, nos pensées vont cette année vers ceux qui ont perdu la vie lors de l’opération de maintien de l’ordre« .

« Nous pensons également à ceux qui ont été tués ou chassés de chez eux pour des raisons ethniques. »