Côte d’Ivoire: Vol, viol, violence, sang, argent… les choix de notre jeunesse…

Afriquinfos Editeur
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Himra - Trace Africa Fr
Himra - (Photo, Trace Africa Fr)

Abidjan (© 2024 Afriquinfos)- Le peuple semble parfois avoir une étrange affection pour les figures de l’ombre, pour ces personnages qui incarnent les valeurs de la rébellion, du non-respect des règles et du rejet des normes sociales. Cela est particulièrement visible dans le monde de la musique, notamment à travers certains chanteurs et artistes populaires qui se font connaître par des comportements et des discours souvent négatifs.

Ces artistes, en particulier dans les genres de la musique urbaine comme le coupé-décalé ou le rap ivoirien, véhiculent une image qui glorifie la débauche, l’usage de drogues, et la transgression des lois. Prenons l’exemple de Himra, un chanteur de la scène musicale ivoirienne, dont les paroles et l’attitude en public ne laissent aucune place à la retenue. Il fait la promotion de l’usage de drogues comme la « cali » (cannabis), la consommation excessive d’alcool, et des comportements autodestructeurs. Himra n’est pas seul dans cette démarche ; il suit les traces de figures emblématiques comme Arafat DJ, qui a incarné une génération d’artistes dont les paroles et les actes étaient souvent synonymes de violence et de provocations. Arafat DJ, connu pour son caractère explosif et ses actions incontrôlées, a notamment cassé des objets, insulté ses proches, et glorifié des comportements qui vont à l’encontre de toute forme de civisme. Dans ce cadre, la consommation de substances comme la vodka ou d’autres alcools forts devient un acte d’affirmation de soi, un moyen de se distinguer et de prouver sa puissance.

Ces comportements ne sont pas simplement des déviations individuelles; ils sont le reflet d’une culture populaire qui semble encourager les jeunes à transgresser les règles établies. Le tatouage excessif, les torses nus exhibant des muscles sculptés, les chaînes en or et les bouteilles de vodka tenues à bout de bras, souvent pour être bues de manière ostentatoire en public, sont devenus des symboles de la réussite et de la popularité. Loin d’être des gestes anodins, ces actes véhiculent un message : celui de la rébellion, de l’insouciance et de la violence comme mode d’existence.

Mais pourquoi un tel phénomène rencontre-t-il autant de succès parmi les jeunes, notamment en Côte d’Ivoire? Une partie de la réponse réside dans l’idolâtrie dont ces artistes font l’objet. L’impact des célébrités dans la société est indéniable: elles représentent souvent des modèles, des icônes auxquelles les jeunes aspirent à ressembler. Dans le cas d’Arafat DJ, de Himra ou encore des figures internationales comme le rappeur américain Future, ou les français Booba et Kaaris, ces artistes véhiculent une image de « luxe », de « réussite rapide » et d’indépendance qui attire de nombreux jeunes.

Le message est simple: pour réussir, il faut vivre de manière excessive, sans frein, sans respect des règles sociales. Ils sont des modèles, certes, mais des modèles qui enseignent la transgression, l’impunité, et l’égoïsme.

Ces artistes semblent consciemment et inconsciemment inciter leurs fans à ignorer les conséquences de leurs actes, et à adopter une posture de rébellion contre la société. Leur musique devient une sorte de permission morale, une excuse pour les jeunes de vivre dans l’extrême, de brûler leur argent dans des festins de débauche, de s’adonner à des comportements à risque sans se soucier des effets à long terme.


Par exemple, le rap ivoirien est largement influencé par les codes américains où des rappeurs comme Diddy, Future ou les membres du groupe Migos célèbrent une vie marquée par les excès, la consommation de drogue et de l’alcool. Ces références étrangères se répercutent directement dans la société ivoirienne où les jeunes, souvent issus de milieux populaires, voient dans ces comportements une voie d’émancipation, un moyen de sortir de leur condition.

Mais cette culture de la transgression ne s’arrête pas à la musique. Elle s’étend à la manière dont certains jeunes Ivoiriens se comportent dans leur vie quotidienne, notamment sur les réseaux sociaux. Les jeunes affichent fièrement leur consommation de drogues, leurs comportements violents et leur mépris des autorités. Le fait d’embrasser l’image du gangster ou de l’artiste rebelle devient une façon de se construire une identité, de se faire remarquer, de se faire respecter. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que les idoles de cette jeunesse incitent ces jeunes à rompre avec les normes sociales et à se distancer des principes de respect et de bienséance qui sont nécessaires au bon fonctionnement de la société.

Alors, comment peut-on demander à cette même jeunesse de se conformer aux principes de politesse et de respect des lois lorsque leurs modèles leur enseignent exactement le contraire ? Comment demander à un jeune de se tenir bien en société, de respecter les règles de la route, de traiter ses pairs avec dignité et de mener une vie équilibrée, quand ses idoles lui enseignent que l’usage de la drogue, la violence et la débauche sont synonymes de liberté et de réussite ?

Il est donc impératif de réfléchir à l’impact que ces figures populaires ont sur la jeunesse. Les autorités publiques, les parents, et la société dans son ensemble doivent prendre conscience de ce phénomène et intervenir de manière proactive pour réorienter les valeurs qui sont véhiculées par la musique et les médias.

Une réflexion collective sur la responsabilité des artistes et de la société dans la construction de modèles sains pour les générations futures est plus que jamais nécessaire. Dans un contexte où les jeunes cherchent des repères, il est urgent de promouvoir des figures inspirantes qui incarnent des valeurs positives, respectueuses et constructives pour la société. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra espérer voir les jeunes grandir dans un environnement où l’éthique, la responsabilité et le respect des autres sont au cœur de leurs actions.

ALEX KIPRE écrivain, éditeur, journaliste