Abidjan (© 2024 Afriquinfos)- La Côte d’Ivoire se trouve aujourd’hui plongée dans une mer de tristesse, à l’ombre de la disparition de ses titans de l’art. Jacques Samir Stenka, maître des formes ancestrales, spécialiste de l’art de grotte, s’est éteint le 24 novembre 2024 à 79 ans. Le 18 novembre, le sculpteur Djiré Mahé nous quittait, précédé, le 17 novembre du peintre Monné Bou, le souverain des jets. Ces départs successifs, tels des ombres qui effleurent la lumière de notre époque, ouvrent un abîme de questionnements sur l’avenir de l’art ivoirien.
Comment, dans ce tumulte, sauvegarder ces trésors éphémères que sont l’essence et la trace laissées par ces créateurs incomparables ? Leur art, véritable miroir de l’âme ivoirienne et africaine, ne saurait disparaître avec eux sans qu’une profonde résonance ne se fasse entendre. Cette richesse esthétique, cette mémoire d’un peuple, doivent être préservées, non comme une simple collection de formes et de couleurs, mais comme un témoignage vivant de notre héritage spirituel et culturel.
Les œuvres de Stenka, Mahé et Bou ne sont pas de simples créations ; elles sont des légendes en peinture et sculpture, des écrits sans mots qui parlent de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique dans sa complexité et sa beauté. Leur art n’est pas un simple reflet, il est un miroir tendu aux âmes. Pourtant, sans une prise de conscience collective et un geste institutionnel fort, ces récits visuels risquent de se dissoudre dans les brumes du temps, de se perdre dans l’anonymat des non-dits.
Il est impératif de faire émerger une politique de préservation digne de ce nom. Les institutions culturelles doivent devenir les gardiennes de ces patrimoines vivants, en mettant en place des mécanismes de conservation à la hauteur de l’œuvre réalisée. Soutenir les Musées, investir dans la numérisation des pièces maîtresses et développer des archives nationales pour conserver, étudier et diffuser les œuvres de ces grands maîtres est un devoir impérieux.
L’archivage du savoir de ces artistes n’est pas qu’une simple formalité. Il s’agit de graver leur esprit, de fixer leurs pratiques et leurs savoir-faire dans le marbre de la mémoire collective. Chaque œuvre, chaque geste créatif doit être documenté avec soin, pour que l’histoire, dans sa plus pure tradition, soit transmise intacte aux générations à venir. Il est grand temps de créer des espaces dédiés, des sanctuaires du savoir pictural où les générations futures puissent s’imprégner de l’héritage des maîtres, et puiser l’inspiration pour construire l’art de demain.
Préserver notre patrimoine artistique, c’est plus que sauvegarder des toiles et des sculptures ; c’est offrir à l’âme de la nation ivoirienne un fil d’Ariane, un lien avec son passé et une source infinie pour son avenir. Ces œuvres ne sont pas que de la matière, mais des instants suspendus où se mêlent l’histoire, la spiritualité et l’identité d’un peuple. Sans cette sauvegarde, c’est une part de nous-mêmes qui serait engloutie dans les ombres du temps.
Le départ de ces artistes majeurs soulève alors une question fondamentale : quand la Côte d’Ivoire s’engagera-t-elle véritablement dans cette noble mission de préservation ? Il est grand temps de répondre à cette question, de combler ce vide avec des actions concrètes et déterminées, pour que cet héritage ne devienne pas une légende oubliée. Le temps est venu pour que l’art ivoirien trouve les fondations solides qui assureront sa pérennité et son rayonnement au-delà des frontières de l’instant.
ALEX KIPRE, écrivain, journaliste et éditeur