4ème avenue, no 60, commune urbaine de Bwiza. Nous sommes dans l’enclos d’une maison typique de cette commune, à première vue, l’on suppose déjà que les occupants ont un faible revenu. La toiture en tôles ondulées est attaquée par la rouille, la peinture des portes et des fenêtres en bois est délavée. Les briques portent les marques de l’usure. Une chaise par ici, une table par là, sur une corde traversant la petite cour intérieure, des linges usés, des pagnes multicolores, … sont étendus au soleil.
A quelques pas de cette maison, on est attiré par des enfants qui pleurent, on dirait qu’ils sont laissés à eux-mêmes, pas une berceuse ne sort de cette maison mais des cris, des injures dignes des bergères. A l’intérieur de cette maison, des jeunes filles, quelques jeunes hommes et des enfants mal habillés. Certaines filles portant des vêtements déchirés, cigarette à la main discutent entre elles, d’autres partagent à l’aide d’une paille du vin de banane communément appelé ’’Rugombo ’’, du nom de cette commune du nord-ouest du Burundi qui fournit les petits bistrots des quartiers populaires de la capitale.
Il est aux environs de 10 heures, quelques unes d’entre elles parviennent difficilement à articuler quelques mots. Elles ont déjà l’air épuisé. Des petits enfants, plus de dix, ventre ballonné, avec des cheveux qui se décolorent restent là, le regard vide. On dirait que certains d’entre eux ont déjà compris à leur âge que pleurer ne sert à rien puisque personne ne vient les calmer, les consoler. Mais il en a qui sanglotent.
Alice Nshimirimana, originaire de la commune Bukeye, province Muramvya (au centre) est une de ces jeunes filles. Elle raconte: « Moi, je suis descendu à Bujumbura à l’âge de 10 ans après avoir abandonné une année à l’école primaire. C’était en 1995. J’ai été engagée comme bonne à Kinindo, un des quartiers chics de la capitale, avec un salaire mensuel de 30.000 Fbu. C’était vraiment bien et j’ai pris des kilos parce que je travaillais dans une famille riche ».
Pourquoi a-t-elle abandonnée l’école pour Bujumbura ? Sourire. Alice Nshimirimana souligne que ses parents étaient dans l’incapacité de lui payer les frais scolaires. Cette sixième enfant d’une famille de 12 enfants, dont 7 filles, ajoute qu’elle se représentait Bujumbura comme un paradis, un lieu idéal où la vie est facile et meilleure : « A la maison, on trouvait à peine à manger. Et toute personne qui revenait de Bujumbura était bien habillée, bien en chair et avec beaucoup d’argent. La vie y est tellement facile. Me disais-je ». C’est après huit ans, raconte-t-elle, que Mlle Nshimirimana a reçu un congé de deux semaines pour aller rendre visite à sa famille. « Au lieu de respecter les deux semaines, j’ai fait trois semaines à la maison sans avertir ma patronne.Et à mon retour, j’étais déjà remplacée. Et la vie a pris une autre tournure et la rue m’a récupérée ».
Contraintes de se prostituer
Alice Nshimirimana, 28 ans signale qu’elle s’est alliée à d’autres jeunes filles renvoyées comme elle. Elles ont ensemble décidé de louer une maison mais après quelques mois, il leur devient très difficile de payer le loyer et de pouvoir se nourrir. Constatant que la vie devient de plus en plus intenable, l’équipe se disloque. Deux de ses amies prennent la décision de regagner la campagne.
Alice et une autre jeune fille se retrouvent dans la rue. Timidement, elles commencent à fréquenter quelques bistrots. Elles se rabattent au plus vieux métier du monde. « C’est par la prostitution qu’on gagne la vie’, lâche-t-elle. A quel prix ? « Comme nous sommes des filles de basses conditions, on n’a pas de choix. C’est dans les bistrots des quartiers populaires qu’on trouve nos clients qui sont eux-aussi des domestiques, des porte-faix, des taxi-vélos,… Et là, le prix est très bas. Généralement, c’est de moins de 2.000 Fbu par passe. C’est de cette façon qu’on gagne la vie et qu’on arrive à satisfaire certains besoins. C’est malheureux de tomber enceinte, les charges augmentent ».
Même si elle s’est retrouvée à faire ce « métier », Alice Nshimirimana reconnaît qu’il est dangereux. Elle indique qu’un jour, elle a eu une aventure amoureuse avec un jeune homme, un domestique. « Et comme, je ne pouvais pas me contenter seulement de ce domestique pour survivre, j’offrais mes services à d’autres. Et par mégarde, je suis devenue enceinte et le type m’a rejetée. Et la vie s’est compliquée davantage », regrette-t-elle tout en ajoutant qu’après avoir mis au monde, elle a failli se suicider.
Ne pouvant plus renoncer à la prostitution car, étant sa seule source de revenus, elle se retrouve après deux ans avec une autre grossesse. « Malheureusement ou heureusement pour moi l’enfant est mort quelques jours après l’accouchement mais comme le malheur ne vient jamais seul, je pense que je suis séropositive. Je n’ai jamais osé aller me faire dépister », confie-t-elle.
Signalons que les enfants nés dans ces conditions ne sont pas enregistrés à l’état civil. Le cas de Bwiza n’est pas le seul. Plusieurs ex bonnes finissent dans la prostitution à Bujumbura et surtout dans les quartiers populaires comme Kinama, Kamenge, Cibitoke et Musaga. D’autres commencent à se diriger vers la région aurifère de Muyinga au nord-est du Burundi.
Afriquinfos