COTONOU (© 2025 Afriquinfos)- Parmi les rares femmes béninoises cinéastes, loge Nelly Béhanzin. Sa jeune carrière a déjà dû surmonter des montagnes de difficultés, mais elle porte un solide rêve qui résiste aux aléas du cinéma local. Malgré les moyens limités, elle se fraye un grand chemin.
«Je suis très têtue, je n’abandonne jamais». C’est le carburant du succès de Nelly Béhanzin dans un secteur à prédominance masculine, le cinéma. Sur dix (10) cinéastes béninois, seulement deux (2) seraient des femmes (selon le FIFF- Festival international de films de femmes-Cotonou).

«On n’a pas beaucoup de personnes qui nous accompagnent. Quand tu es une fille et que tu veux te bâtir une carrière dans ce domaine, tu dois être têtue et déterminée; il ne faut pas abandonner, parce que tu vas rencontrer des obstacles sur ton chemin ! La Nature va te placer des obstacles, les Hommes aussi. Tu n’auras pas forcément l’argent pour faire le film, mais si tu es déterminée et que tu as des ami(e)s qui te soutiennent, ce film, tu le feras», certifie-t-elle.
D’ordinaire, ce n’est pas aussi évident pour les femmes d’émerger dans une société africaine où les inégalités dans le cadre du genre se perpétuent. Les pesanteurs sociales planent encore sur l’éclosion professionnelle de la gent féminine, pourtant talentueuse. Nelly Béhanzin fait donc l’exception en bravant les préjugés. Son tout premier film, «Le rêve d’une presqu’Ile», a été réalisé, se rappelle-t-elle, «sur un coup de tête».
Avec son téléphone, la descendante du roi Béhanzin a présenté une plage polluée par les ordures en Guinée (Conakry). Coup du destin, c’est ce bout de film (une minute) qui l’a révélée au grand jour ! Elle a remporté le «Prix du meilleur film francophone» au «Mobile Film Festival 2023» à Rabat (au Maroc). «On peut commencer comme ça, prendre son téléphone et faire des films», conçoit cette réalisatrice. Il faut aussi se former et apprendre à se perfectionner sur le terrain, renchérit cette titulaire d’un «Master 1 en réalisation Cinéma TV».
Après le sacre révélateur, la jeune cinéaste a été propulsée sur la scène régionale à travers son documentaire réel et poignant, «Corps de femme» qui dépeint l’histoire vraie et sombre de Firmine, morte des suites d’un avortement clandestin en 2018 !
Ce court métrage a été doublement primé en 2023 à «Clap Ivoire» en Côte d’Ivoire et au «Festival Emergence au Togo». La même production a aussi été distinguée au FIFF Cotonou (Festival international de films de femmes) en 2024, et sélectionnée au Festival «Saint Louis DOC» au Sénégal la même année.
«Après la projection de ce film au Sénégal, le public s’est étrangement tu, sans ovations. J’avais cru un instant que mon film n’était pas apprécié. Et quand la salle s’est enfin illuminée au bout du générique de fin, j’ai vu des gens pleurer à chaudes larmes. Le public s’est alors levé pour offrir de longs applaudissements à l’œuvre reflétant sa réalité. Cette expérience m’a édifiée», a témoigné Nelly Béhanzin lors d’un échange au terme de la première projection au Bénin de trois de ses œuvres. C’était le mardi 6 avril 2025 à l’Institut Français du Bénin.
Une réalisatrice engagée
De «La lanterne» en 2021 à son dernier projet, on lit à travers les œuvres de Nelly Béhanzin un engagement pour la défense des causes féminines. Les thèmes qu’elle aborde mettent généralement en relief les conditions des femmes, notamment les droits sexuels et reproductifs. Dans «Corps de femme» comme dans «Séquelles», par exemple, elle révèle les tourments de l’avortement clandestin, les traumas, la séparation et le déchirement familiaux qu’il peut engendrer.
«J’avais le besoin de montrer que nous, en tant que femmes, on ne se fait pas écouter généralement», résume la réalisatrice, «Grand Prix Djimon Hounsou au Ciné 229, édition 2023» pour son film de dix (10) minutes, «Séquelles».
Nelly Béhanzin est aussi auteure de «Matrice». Cette réalisation de trois (3) minutes raconte l’histoire d’une mère morte lors d’un accouchement traumatisant en pleine guerre. Cette dame a en effet été aidée par sa fille de 12 ans bloquée avec elle dans une chambre de fortune ! «C’est un film école, fait en trois jours, qui n’était pas de base de très bonne qualité, mais qu’on a essayé de sauver, et qui a finalement été apprécié du public», narre l’originaire du sud-Bénin.
Les œuvres de Nelly reçoivent un bon accueil d’une manière générale. «Dans sa jeune filmographie, il y a vraiment un attrait particulier pour la maternité sous toutes ses formes. Je trouve que c’est vraiment très admirable de sa part de parler de ce genre de thématiques qui sont taboues, notamment l’avortement. Il n’y a pas beaucoup de réalisatrices béninoises qui oseraient en parler et reconnaître qu’elles sont aussi passées par cette épreuve-là. Cela demande beaucoup de courage», apprécie Ange Jason de Berry Quenum, scénariste béninois.
Emmanuel M. Loconon