Libérate Nicayenzi, sénatrice et présidente de l’association Uniproba (Unissons-nous pour la promotion des Batwa) est catégorique : « En dépit de quelques progrès, les Batwa (*) sont marginalisés et discriminés par les deux autres ethnies (les Bahutu et les Batutsi). Notre situation n’a guère évolué depuis l’indépendance. Pour joindre les deux bouts, la plupart d’entre nous exerçons dans l’artisanat, surtout dans la poterie, et nous adonnons à la chasse. »
Kabwana, la quarantaine, twa lui aussi, est du même avis : « Aujourd’hui encore, certains Burundais rechignent à s’asseoir en public avec nous. D’aures refusent de nous serrer la main. Dans les fêtes, nous n’utilisons jamais les mêmes assiettes, jamais les mêmes casseroles. Cette situation est très pénible. » Kabwana vit dans une hutte avec sa femme et leur progéniture pléthorique. L'épouse, Minani, enveloppée dans un pagne usé, tient dans un bras, l’une des filles du couple et, de l'autre, fabrique des pots.
« Le soir, les filles dorment sur la même natte que nous, raconte Minani. Les garçons dorment avec d’autres jeunes dans une case voisine ». Elle cède ses pots à un prix dérisoire. Les revendeurs, eux, les revendront cent fois le prix d’achat à Bujumbura.
A peu près 80% des ménages batwa n’ont que de petits lopins de terre, insuffisants pour subvenir à leurs besoins, selon une enquête de l'Uniproba. Shuti, un autre Twa vivant dans le site de Butaganzwa, doit travailler à la fois comme métayer et chasseur pour faire vivre sa famille pléthorique. Ses deux épouses sont également des Batwa : « Sans propriété, sans biens, je ne puis me hasarder à demander la main d’une fille tutsi ou hutu », assure-t-il.
A Bujumbura, Liberate Nicayenzi égrenne les différentes discriminations dont sont victimes les Batwa : « Elles sont au nombre de trois, les stéréotypes négatifs, la ségrégation et le déni des droits. Il fut un temps où, assure-t-elle, les animaux morts étaient acheminés directement chez les Batwa, censés apprécier la viande avariée. Dans les lieux publics, les Batwa se mettent généralement de côté. Lorsqu’ils invitent des Bahutu ou des Batutsi, ces derniers ne viennent pas. Leurs seuls contacts avec leurs compatriotes bahutu et batutsi se limitent au commerce de pots ou des produits de forge. »
Les préjugés ayant la vie dure, les Batwa se sont repliés sur eux-mêmes et sont devenus nomades pour échapper au regard des autres, avant de se sédentariser de nouveau avec l’amenuisement des terres et l’introduction des ustensiles modernes. Les pots traditionnels ont vécu. Dans leur volonté de reconversion, ils fabriquent des braseros, un récipient métallique destiné à recevoir des braises pour la cuisine ou pour le chauffage en plein air.
Depuis la démocratisation du Burundi, on note néanmoins quelques progrès. « La Constitution accorde ainsi trois places aux Batwa à l’Assemblée nationale et trois au Sénat par le truchement du système de cooptation », précise Libérate Nicayenzi. Elle ajoute que de la base jusqu’au sommet de l’Etat, les Batwa sont désormais représentés. Lors des élections de 2010, ils ont reçu comme tout le monde une carte d’identité.
L’Uniproba fait régulièrement des campagnes de sensibilisation pour amener les Batwa à envoyer leurs enfants à l’école. « La volonté y est, assure Libérate Nicayenzi, en dépit des difficultés de tous ordres : le manque de moyens financiers pour se procurer le matériel scolaire et les uniformes pour leurs enfants ». Quatre Batwa sont diplômés de l’Université, dix sont en cours de formation. On compte par ailleurs quelque 600 élèves Batwa dans le secondaire et environ 21 000 écoliers.
(*) Le pluriel de Hutu, Tutsi et Twa est, respectivement, Bahutu, Batutsi et Batwa.