Assassinat de Patrice Lumumba: Contours du procès projeté sur 2026 par le parquet fédéral belge

Afriquinfos Editeur
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Patrice Lumumba (DR-Brian Urquhart, UN News).

Soixante-cinq ans après l’assassinat de Patrice Lumumba, héros de l’indépendance congolaise, le parquet fédéral belge souhaite qu’un procès puisse enfin se tenir, peut-être en 2026, dans l’enquête pour « crimes de guerre » ouverte en Belgique, l’ancienne puissance coloniale.

Patrice Lumumba décoré par le Roi du Maroc Mohamed V à Rabat le 8 août 1960.

Dans ce dossier historique, aux responsabilités jamais clairement élucidées, le parquet a annoncé mardi 17 juin 2025 avoir requis le renvoi devant le tribunal correctionnel de Bruxelles de l’ancien diplomate belge Etienne Davignon, 92 ans. Le renvoi en procès est demandé notamment pour « détention et transfert illicite » de Lumumba au moment où il avait été fait prisonnier, et pour « traitements humiliants et dégradants », a précisé une porte-parole du parquet, Ann Lukowiak.

L’intention de tuer n’a pas été retenue, le non-lieu est demandé sur cet aspect, a-t-elle souligné. Premier Premier ministre de l’ancien Congo belge devenu indépendant le 30 juin 1960, Patrice Lumumba a été renversé dès la mi-septembre 1960 par un coup d’Etat. Il a été exécuté le 17 janvier 1961 avec deux frères d’armes par des séparatistes de la région du Katanga (sud), avec l’appui de mercenaires belges. Il avait 35 ans. Son corps, dissous dans l’acide, n’a jamais été retrouvé.

En 2011, au nom des enfants, le fils aîné François Lumumba avait déposé plainte avec constitution de partie civile à Bruxelles, accusant diverses Administration belges d’avoir pris part à « un vaste complot en vue de l’élimination politique et physique » du dirigeant congolais. L’instruction est désormais achevée, et le réquisitoire du parquet cible la seule personnalité encore en vie parmi les dix ciblées initialement dans la plainte –d’anciens fonctionnaires, policiers ou agents des renseignements belges.

Le Mausolée du héros congolais de l’indépendance Patrice Lumumba à Kinshasa, le 20 juin 2022.

Etienne Davignon, aujourd’hui nonagénaire, était au moment de l’indépendance du Congo stagiaire diplomate aux Affaires étrangères. Il est soupçonné d’avoir été aux premières loges quand a été évoqué un projet d’arrestation de Lumumba. Il a toujours nié l’implication des autorités belges dans ce crime.

– « On avance » –

Après le réquisitoire, il reviendra à une juridiction d’instruction, la Chambre du conseil, de décider la tenue d’un procès. Une audience de plaidoiries, permettant notamment à la défense de faire valoir ses arguments, a été fixée au 20 janvier 2026. « On avance dans la bonne direction, ce qu’on cherche, c’est d’abord et surtout la vérité », a réagi Juliana Lumumba, la fille de l’ex Premier ministre congolais, interrogée par la RTBF.

M. Davignon, entré en 1959 aux Affaires étrangères, avait assisté comme observateur à la table ronde réunissant dirigeants belges et congolais à Bruxelles début 1960, un événement qu’il avait décrit plus tard comme « un tournant décisif » dans sa carrière.

Pour Christophe Marchand, avocat des enfants Lumumba, « il a eu connaissance du projet d’élimination (de l’ex Premier ministre), et il y a participé de manière active malgré ce qu’il dit ». Après la diplomatie, M. Davignon fut notamment vice-président de la Commission européenne de 1981 à 1985, chargé de l’industrie, à une époque marquée par le déclin de la sidérurgie européenne. Il a aussi eu une carrière d’homme d’affaires, ex-patron de la holding Société générale de Belgique. Dans le cadre de cette instruction en Belgique, la justice avait mis la main en 2016 sur une dent de Patrice Lumumba, qui avait été restituée à la RDC dans un cercueil, en juin 2022, lors d’une cérémonie officielle à Bruxelles.

Cette dent avait été saisie chez la fille d’un policier belge ayant participé à la disparition du corps, après l’assassinat de 1961. En 2022, lors de la restitution, le Premier ministre belge de l’époque, Alexander De Croo, avait renouvelé les « excuses » déjà formulées par le Gouvernement belge en 2002 pour sa « responsabilité morale » dans cette disparition.

Le Premier ministre belge Alexander De Croo, à gauche, lors de la cérémonie de remise de la dent du héros de l’indépendance congolaise Patrice Lumumba, à Bruxelles le 20 juin 2022.

Revenant sur les conditions de ce « terrible » assassinat, dans un Katanga sécessionniste refusant de reconnaître le nouveau pouvoir indépendant, M. De Croo avait pointé du doigt des responsables belges qui à l’époque « ont choisi de ne pas voir », « de ne pas agir ».

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