(© 2025 The Conversation)-Amadou Bagayoko (1954-2025), guitariste, chanteur et compositeur malien emblématique du célèbre duo Amadou & Mariam – connu sous le nom de « couple aveugle du Mali » – est décédé le 4 avril à Bamako. Il avait 70 ans.
Les chanteurs mariés, qui se sont rencontrés alors qu’elle avait 18 ans et lui 21, ont fusionné la musique traditionnelle malienne avec le rock occidental ainsi que bien d’autres influences pour créer un son unique à la fois riche et enjoué. Ils vendront des millions d’albums avec des tubes tels que Dimanche à Bamako et Sabali.
Ils ont sillonné les scènes du monde. En effet, ils ont inauguré la coupe du monde de football masculin en 2006, assuré la clôture des Jeux paralympiques de 2024 et chanté lors du concert du Prix Nobel en l’honneur de Barack Obama. Ils ont aussi accumulé des distinctions au fil des années et vendu des millions d’albums.
Malgré cette renommée, ils sont restés des militants infatigables pour les Africains vivant avec un handicap. Ils étaient connus et admirés dans leur pays (où le décès d’Amadou est très regretté) pour leur intégrité.
En tant que musicien et professeur de musique avec un axe de recherche sur la musique malienne, j’ai rencontré et interviewé Amadou à plusieurs reprises. Sa disparition annonce la fin d’une époque : celle d’un Mali longtemps au sommet de la scène internationale.
Qui sont Amadou & Mariam ?
Amadou et Mariam Doumbia étaient tous deux des promoteurs dévoués du travail de l’Institut des aveugles de Bamako, où ils s’étaient rencontrés pour la première fois dans les années 1970 en tant qu’étudiants et étaient ensuite devenus professeurs de musique. Ils se sont mariés en 1980 et forment un duo inséparable Amadou & Mariam.
Leurs chansons à succès combinent les traditions musicales du sud du Mali, d’où ils sont tous deux originaires (Bougouni, Sikasso), avec des éléments de rock, de reggae, de rythmes cubains et bien plus encore, le tout réinterprété avec créativité, parfois sous l’impulsion de producteurs influents.
En effet, les noms de famille Bagayoko et Doumbia sont tous deux issus de l’ancienne lignée (appelée Boula) de forgerons qui remonte à l’époque de l’empereur Soundjata Keita, qui fonda l’empire du Mali en 1235. Les forgerons (numu) étaient souvent de puissants rois. Cet héritage commun, issu d’un passé noble des forgerons, explique en grande partie leur alchimie musicale.
Amadou Bagayoko
La carrière d’Amadou s’étend sur plus de cinq décennies, à partir du début des années 1970, lorsqu’il joue de la guitare électrique dans plusieurs groupes de danse influents du Mali de l’époque, dont Les Ambassadeurs, dirigés par le chanteur légendaire Salif Keita.
Le régime militaire du président Moussa Traoré, qui a duré 23 ans, de 1968 à 1991, a favorisé les voix des griots. Ces musiciens héréditaires chantaient les louanges des personnes au pouvoir dans un style lyrique et emphatique.
La vie de ces orchestres de danse était sur le déclin à la fin des années 1980. C’est à ce moment que naît «Le grand couple aveugle du Mali» : deux voix simples accompagnées de la guitare d’Amadou, enregistrées sur des cassettes. À la fin du règne de Traoré, la musique d’Amadou & Mariam épouse le nouvel élan démocratique auquel le pays aspirait.
De nombreux éléments distinguaient ce duo des autres musiciens de la région. Ils n’étaient pas des griots. Leurs paroles évoquent souvent le pouvoir de l’amour, un sujet peu abordé dans un pays où la polygamie (jusqu’à quatre épouses, comme le permet l’islam) est la norme. Leur présence sur scène en tant que couple d’aveugles, affectueux et solidaires, avec leurs tenues chics et coordonnées, a également permis de mettre en avant les personnes vivant avec un handicap. Leurs mélodies étaient entraînantes et optimistes.
Rencontre avec Amadou et Mariam
En triant récemment mes recherches, je suis tombée sur une photo d’eux, prise à l’époque sur d’anciennes diapositives et enfouie dans mes archives. La revoir a été une véritable révélation.
Un jeune couple africain portant des lunettes de soleil, lui en chemise et pantalon en jean et elle en robe noire et blanche, pose pour une photo. Il tient une guitare.
Amadou et Mariam en 1992 à Bamako, le jour où l’auteur les a rencontrés pour la première fois. Courtesy Lucy Durán
J’ai pris la photo, avec leur permission, lors de ma première rencontre avec Amadou et Mariam en 1992 à Bamako. Ils étaient alors au studio d’enregistrement qui s’appelle maintenant Bogolan, espérant y réaliser quelques morceaux.
Elle montre Amadou et Mariam dans leur jeunesse debout avec fierté et dignité, des valeurs qui sont restées constantes pour eux au fil des années. Lors de cette première rencontre, j’ai été frappée par leur gentillesse, leur foi en leur projet musical et leur détermination à le faire connaître à un public plus large.
J’aurais aimé à l’époque avoir les contacts dans l’industrie du disque pour les aider. Mais ils n’ont pas abandonné et ont lentement construit leur carrière, en s’appuyant sur leur son et leur image qui étaient et restent uniques dans la variété de la musique malienne.
Une renommée mondiale
Contre toute attente, grâce à leur conviction, leur talent, la force de leurs mélodies et les bons choix de production, Amadou & Mariam ont connu un énorme succès au début des années 2000. L’album qui a véritablement lancé leur carrière internationale est Dimanche à Bamako, brillamment produit par l’auteur-compositeur-interprète franco-espagnol Manu Chao, qui avait connu un grand succès international avec son album Clandestino en 1998, créatif et accrocheur.
Il a apporté une partie de ces valeurs de production aux chansons d’Amadou & Mariam. Dimanche à Bamako célèbre la culture vibrante des fêtes de mariage organisées dans les rues de Bamako le dimanche (jour où les cérémonies de mariage civil sont gratuites).
Dimanche à Bamako a été le premier d’une série d’albums à succès d’Amadou & Mariam produits par des producteurs européens tels que Damon Albarn, avec des chansons comme Tie ni Mousso (Mari et femme) qui jouaient sur la présence scénique charmante et emblématique d’Amadou & Mariam en tant que mari et femme dévoués. Les chansons étaient accessibles et attrayantes, mais toujours percutantes.
Amadou était un musicien très respecté et admiré dont la musique a touché des publics du monde entier. Il était extrêmement aimé et apprécié tant dans son pays qu’à l’étranger, non seulement pour son talent et sa créativité musicale en tant qu’excellent guitariste et auteur-compositeur, mais aussi pour l’image emblématique que lui et Mariam ont créée sur scène.
Ensemble, ils resteront dans les mémoires et seront respectés pour les valeurs qu’ils représentent dans leur musique : l’égalité, l’amour, la persévérance face au handicap et la vérité. Mes condoléances à Mariam.
The Conversation