Afrinic: Rififi chez le registre africain des adresses IP

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Un RIR, ou Registre Internet Régional, est une organisation chargée de la gouvernance de l'Internet dans une région donnée.

Paris (© 2022 Afriquinfos)- Déjà éclaboussé par de nombreuses affaires mettant en cause ses équipes dirigeantes passées, le RIR africain fait, aujourd’hui, face aux attaques menées par son ancien PDG lui-même, qui tente de contourner les procédures de nomination internes pour imposer à la tête d’Afrinic des candidats à la réputation sulfureuse.

D’obscures luttes de pouvoir au sein d’un non moins obscur organisme international : sous ses faux airs de préquel – version digitale et africaine – de Game Of Thrones, l’affaire, ou plutôt les affaires, qui secouent le RIR Afrinic, dépassent de loin le seul cercle des geeks et autres professionnels de l’Internet et pourraient affecter rien de moins que l’ensemble des internautes du continent et de l’Océan indien. Quelques définitions préalables s’imposent cependant pour les non-initiés.

Un RIR, ou Registre Internet Régional, est une organisation chargée de la gouvernance de l’Internet dans une région donnée – l’Afrique et l’Océan indien, dans le cas d’Afrinic. Plus précisément, le RIR supervise l’attribution des adresses IP, ces suites de numéros uniques qui identifient, sur le Web, chaque ordinateur ou objet connecté à Internet.

Sans adresse IP, pas d’Internet tel que nous le connaissons, donc. Autant dire que les RIR comme Afrinic, s’ils sont en général parfaitement inconnus du grand public, jouent un rôle prépondérant dans le Web du XXIe siècle. Afrinic, de plus, se distingue des autres RIR régionaux – comme le RIPE NCC de l’Europe ou l’ARIN des Etats-Unis – du fait que l’organisation possède une quantité importante d’adresses Ipv4, cet ancien protocole datant du siècle dernier mais qui, l’IPv6 tardant à s’imposer, continuent d’être la norme. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que le RIR africain est assis sur un véritable pactole d’adresses IP.

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Enfin et surtout, Afrinic s’est, au cours des dernières années, forgé une solide réputation de panier de crabes au sein duquel tous les coups sont permis. L’équipe dirigeante, actuelle et passée, du RIR, est ainsi soupçonnée d’avoir trempé dans un certain nombre d’affaires louches – corruption, revente d’adresses sur le marché noir, etc. – ayant gravement terni l’image et la probité d’Afrinic, sous le coup de plusieurs procédures judiciaires.

Quand l’ancien patron d’Afrinic essaie de contourner les procédures du RIR

C’est dans ce contexte que la Number Resource Society (NRS), une organisation non gouvernementale spécialisée sur la question des adresses IP, a révélé cet été une nouvelle affaire mettant en cause la direction d’Afrinic. Selon des documents obtenus par la NRS, l’ancien PDG d’Afrinic, Eddy Kayihura, aurait intrigué afin de faire nommer à la tête du RIR africain des administrateurs désignés par l’Union africaine des télécommunications (UAT), en lieu et place de la procédure d’élection «libre et équitable» prévue par les statuts de l’organisation.

Pourtant suspendu de ses fonctions de patron d’Afrinic, Eddy Kayihura aurait, selon les documents révélés par la NRS, lui-même décidé de poursuivre le RIR en justice, en demandant à la Cour suprême de l’île Maurice de nommer les candidats de l’UAT à la direction d’Afrinic, au motif que le RIR n’est pas en mesure de réunir son quorum – ni, pour la même raison, d’entreprendre une quelconque action contre les manœuvres de son ancien PDG.

Qualifiant les agissements de M. Kayihura d’ «abus de pouvoir» et d’«utilisation abusive de la loi à des fins politiques», la NRS estime que les manœuvres de l’ancien patron d’Afrinic sont de nature à «mettre en danger l’ensemble du système RIR», en remettant en cause son «statut indépendant et non-partial». Si Eddy Kayihura parvenait à ses fins, il s’agirait d’un «signal d’alarme pour les autres RIR», prévient encore l’organisation à but non-lucratif.

«Eddy est hors de contrôle», conclut la NRS, selon laquelle «Afrinic est sans leader et peut être attaqué en justice par son ancien PDG. Tous les membres du RIR doivent appeler à une action immédiate pour mettre fin à cet abus de pouvoir illégitime par le biais d’une élection juste et ouverte. Cela doit cesser, une fois pour toutes».

Un candidat soupçonné de fraude

Cerise sur – l’indigeste – gâteau, figurerait sur la shortlist des quatre impétrants fournie par Eddy Kayihura le nom d’au moins un personnage impliqué dans une procédure judiciaire pour fraude: Lucky Lavender Waindi qui, avec d’autres co-accusés, est soupçonné d’avoir conspiré dans l’intention de frauder une entreprise de BTP kenyane, en rédigeant un faux rapport d’enquête.

Les sept inculpés ont été formellement accusés par une juge du Kenya et libérés, en mars dernier, contre le paiement d’une caution. La nomination – par ailleurs irrégulière – d’une telle personnalité à la tête de du RIR africain ferait, à n’en pas douter, peser de lourdes menaces sur l’Internet et les internautes du continent.

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