Plan d’urgence pour les « saigneurs » de caoutchouc en Côte d’Ivoire

Afriquinfos Editeur
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Un apprenti s'exerce à extraire la sève d'un hévéa pour produire du caoutchouc, le 3 septembre 2019 à Sikensi, en Côte d'Ivoire.

« Pas de saigneur, pas de caoutchouc », lance un moniteur à ses élèves : la Côte d’Ivoire, premier producteur africain de caoutchouc, a entrepris un programme de formation de 60.000 saigneurs pour pallier l’actuelle pénurie de ces récolteurs de la sève de l’hévéa.

Leur nombre insuffisant pourrait compromettre l’ambition de la Côte d’Ivoire de hisser sa production de 624.000 tonnes en 2018 à plus d’un million de tonnes en 2020. De quoi conforter sa place de numéro un en Afrique (60% du caoutchouc du continent)- très loin toutefois des mastodontes asiatiques, Thaïlande et Indonésie. Même si les cours mondiaux de l’hévéa ont chuté et si les 200.000 planteurs de la filière ivoirienne souffrent, le métier de saigneur reste bien payé : un professionnel qualifié p0eut toucher jusqu’à 200.000 francs CFA (300 euros) par mois, un très bon salaire dans le monde rural ivoirien. Le village d’Abiohou-Travaux, dans la localité de Sikensi, au nord-ouest d’Abidjan, abrite la première école de saigneurs, dont les pensionnaires âgés de 18 à 40 ans sont venus des quatre coins du pays pour appendre le métier. Muni d’une gouge (couteau), le moniteur Sylvain Konan donne des cours à 40 élèves en chasubles bleues et chaussés de bottes vertes.

Un apprenti tient un couteau servant à l’extraction du latex dans la plantation de Sikensi, en Côte d’Ivoire, le 3 septembre 2019.

« Ce travail demande de la dextérité, il faut chercher l’équilibre pour bien jauger l’endroit où se trouve le latex. Pour saigner correctement, il faut pouvoir atteindre en profondeur l’écorce interne tendre pour ne pas blesser l’arbre » explique-t-il aux élèves, en faisant une incision dans un hévéa. « Il faut faire attention, un arbre blessé n’est plus rentable économiquement ». L’opération doit se faire très tôt le matin, car il faut du temps pour que le latex sorte et remplisse la tasse accrochée au tronc. Quand il fait chaud l’hévéa donne moins de produit.

Un apprenti s’exerce à extraire la sève d’un hévéa pour produire du caoutchouc, le 3 septembre 2019 à Sikensi, en Côte d’Ivoire.

Lutter contre l’exode rural

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Ange Catherine Yédé Adjo, mère de neuf enfants, se dit satisfaite de sa formation qui a duré deux mois. « Le métier me plait. Je crois pouvoir gagner ma vie avec », confie-t-elle, son enfant au dos. Jean-François Kassi, 22 ans, arrivé de la ville de Bongouanou (centre), rêve déjà de « gérer la plantation familiale et de former à son tour des saigneurs ». L’Association des professionnels du caoutchouc naturel (Apromac), qui chapeaute les organisations du secteur en Côte d’Ivoire, va financer ce programme de formation à hauteur de 27 milliards de FCFA (41 millions d’euros) à travers le Fonds de développement de l’hévéaculture (FDH) sur cinq ans. « Ce programme s’est imposé à nous, vu que les premières plantations d’une superficie de 350.000 hectares sont en train de rentrer en production, il nous faut ces 60.000 saigneurs », a expliqué à l’AFP le secrétaire exécutif du FDH et numéro deux à l’Apromac, Albert Konan. « Un saigneur qualifié permet d’assurer jusqu’à 40 ans la durée de vie économique de l’arbre », explique-t-il. « Avant, on avait affaire à des personnes qui avaient appris le métier sur le tas et le rendement n’était pas satisfaisant. Aujourd’hui avec des saigneurs professionnels, on a beaucoup de satisfaction, de rentabilité et moins de perte », témoigne Camille Fissou Gnagna, fonctionnaire à la retraite et planteur d’hévéa à Sikensi.

L’hévéa occupe une place importante au sein du secteur agricole ivoirien, car il contribue significativement aux recettes d’exportation. Le caoutchouc ivoirien est reconnu pour sa qualité sur le marché international. L’Apromac qui s’est restructurée en organisation interprofessionnelle, espère un appui de l’Etat à son programme, via une exonération fiscale, estimant qu’il permet de lutter le chômage et la pauvreté dans le monde rural, freinant ainsi l’exode vers les villes. Le président de l’Apromac, Eugène Kremien, avait dénoncé il y a quelques mois « une fiscalité oppressante et asphyxiante » sur la filière, alors que les cours mondiaux du caoutchouc ont été divisé par cinq en trois ans, de 5.000 dollars la tonne à seulement 1.000 dollars.

Un apprenti s’exerce à extraire la sève d’un hévéa pour produire du caoutchouc, le 3 septembre 2019 à Sikensi, en Côte d’Ivoire.