Le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, qui a pris le pouvoir en Guinée, est un officier aguerri et instruit, soucieux de se démarquer de l’image de soudard incontrôlable accolée à de précédents putschistes dans ce pays à l’histoire mouvementée.
Ce militaire jusqu’alors peu connu, formé pour l’essentiel hors de Guinée, passé en France par la Légion étrangère et l’Ecole de guerre, mais aussi en Israël, au Sénégal et au Gabon, est apparu au grand jour le 2 octobre 2018 aux cérémonies du 60e anniversaire de l’indépendance du pays.
Lors du défilé militaire devant le président Alpha Condé, la présentation de son Groupement des forces spéciales récemment constitué, aux hommes tous cagoulés, avait marqué les esprits. Moins de trois ans après, c’est à la tête de ces forces spéciales que cet officier à la forte carrure a renversé et arrêté dimanche M. Condé.
En béret rouge et lunettes noires, le lieutenant-colonel Doumbouya a d’abord annoncé la capture du chef de l’Etat, la dissolution des institutions et l’abolition de la Constitution, au nom d’un « Comité national du rassemblement et du développement », dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et transmise à l’AFP.
Quelques heures plus tard, sans lunettes noires cette fois, mais enveloppé dans un drapeau guinéen, entouré de militaires casqués et armés, il promet à la télévision nationale une révision consensuelle de la Constitution imposée au forceps en 2020 par M. Condé et une « transition inclusive et apaisée ».
« Il y a eu beaucoup de morts pour rien, beaucoup de blessés, beaucoup de larmes », déplore l’officier, en référence à la répression sanglante des manifestations de l’opposition et de la société civile. Il reprend alors une citation du défunt président ghanéen Jerry Rawlings, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1981 avant de démocratiser son pays, selon laquelle « si le peuple est écrasé par ses élites, il revient à l’armée de rendre au peuple sa liberté ».
– « Apprendre de toutes nos erreurs » –
Originaire de Kankan (Est), Mamady Doumbouya est issu, comme Alpha Condé, de l’ethnie malinké, la deuxième du pays. Ce quadragénaire est marié à une Française et père de trois enfants, selon les médias guinéens.
« Nous ne venons pas pour blaguer avec le pouvoir, nous ne venons pas jouer, nous allons apprendre de toutes les erreurs qu’on a faites », a-t-il déclaré à France 24, en allusion à de précédents putschs qui ont traumatisé les Guinéens.
Il faisait notamment allusion à l’ex-chef de la junte de 2008-2009, le capitaine Dadis Camara, dont le pouvoir éphémère avait été marqué par ses prestations télévisées incongrues, rebaptisées « Dadis Show », et surtout par le massacre perpétré par des militaires lors d’un rassemblement de l’opposition au stade de Conakry le 28 septembre 2009 (au moins 157 morts et 109 femmes violées).
Avec à son actif de nombreuses missions opérationnelles, de l’Afghanistan à la République centrafricaine, le lieutenant-colonel Doumbouya, titulaire d’un Master 2 de ‘Défense et Dynamiques industrielles de l’université parisienne de Panthéon-Assas’, soutient favorablement la comparaison avec cet embarrassant prédécesseur.
Malgré cet imposant bagage, le nouveau maître du pays a versé dans la métaphore hasardeuse. « Nous n’avons plus besoin de violer la Guinée, on a juste besoin de lui faire l’amour, tout simplement », a-t-il dit en conclusion de sa déclaration à la télévision dimanche.
Au-delà de son ambition affichée d’en finir avec la « gabegie » et de rétablir la paix civile dans un pays meurtri, la volonté qui lui était prêtée d’affranchir les forces spéciales de la tutelle du ministère de la Défense avait provoqué récemment des tensions avec le pouvoir et pourrait l’avoir conduit au coup de force de dimanche, selon des sources diplomatiques et des médias.