Quand des médias ‘made in Nigeria’ entreprennent de présenter autrement l’image du plus peuplé Etat d’Afrique

Afriquinfos Editeur
7 Min de Lecture
L'immeuble effondré n'est plus qu'un tas de gravats, à Lagos le 2 novembre 2021.

Le Nigeria, terre de conflits et de pauvreté? Une vision trop réductrice pour de nouveaux médias créés par de jeunes nigérians, déterminés à raconter eux-mêmes et dans toutes ses nuances le pays le plus peuplé d’Afrique!

Wale Lawal, fondateur du site d’information nigérian The Republic, à Lagos le 23 septembre 2023.

Ces dix dernières années, de nombreuses publications en ligne ont vu le jour, sur la politique et le débat d’idées (The Republic), l’investigation (Premium Times), l’économie (Stears Business), les nouvelles technologies (TechCabal), la culture (Culture Custodian). Ou encore le quotidien des minorités (Minority Africa). Tous proposent un journalisme africain éloigné des stéréotypes encore souvent véhiculés par la presse étrangère, mais aussi plus exigeant, indépendant, et proche des préoccupations de la jeunesse nigériane que celui de la presse locale traditionnelle.

Le site d’information The Republic entend ainsi « explorer » et « réécrire l’histoire du Nigeria« . Le titre, également décliné en magazine, a été fondé par Wale Lawal, un auteur et entrepreneur de 30 ans qui a étudié en Angleterre. Au Nigeria, « la presse internationale s’adressait (d’abord) à une audience étrangère, et les médias locaux n’étaient pas toujours fiables du fait de leurs liens avec certains politiciens« , se souvient-il.

Au début des années 2000, alors que les réseaux sociaux se font l’écho d’un désir de démocratie grandissant, la vitalité de la croissance fait émerger une classe de Nigérians plus fortunés, plus exigeants vis-à-vis de leur Gouvernement, et prêts à payer pour de l’information. « Nous avons compris que de nouveaux médias avaient un rôle à jouer« , explique Wale Lawal.

- Advertisement -

– « Renaissance africaine » –

Cette floraison médiatique, plus largement observée sur le continent, notamment dans les pays anglophones, est vue comme une véritable « renaissance africaine« . Car si de nombreux titres de presse sont nés avec la fin du joug colonial et la période des indépendances dans les années 1960-70, les dérives autoritaires puis l’effondrement économique les décennies suivantes (80-90) ont largement contribué à fragiliser le paysage médiatique.

« Les politiques sont alors devenus d’importants financeurs des journaux, nuisant à leur indépendance et à leur qualité« , explique Wale Lawal. Et la presse occidentale s’est imposée comme l’une des principales sources d’informations considérées fiables sur l’Afrique, non sans conséquences.

« Nous regardons un continent, qui pour la grande partie de son histoire moderne, a toujours vu ses histoires racontées par des gens qui n’en sont pas originaires, avec des implications fortes sur la perception que l’on en a« , souligne Wale Lawal. Selon une étude réalisée par l’ONG Africa No Filter, un tiers des articles traitant de l’Afrique et publiés par les médias locaux proviennent de services de presse étrangers, en premier lieu l’Agence France-Presse (AFP) et BBC.

– « Une image stéréotypée » du continent –

Et malgré quelques progrès, « la couverture de l’Afrique par la presse internationale nourrit encore le stéréotype d’un continent brisé et dépendant« , estime Moky Makura, directrice exécutive de cette ONG qui veut faire évoluer le discours sur l’Afrique dans les arts et médias.

Cela « influence la façon dont le monde nous voit et nous traite » et « affecte également la façon dont nous, les Africains, nous nous percevons nous-mêmes« , ajoute-t-elle. Pour elle, ce « récit négatif constant« , qui passe à côté « des histoires de créativité et d’innovation« , contribue notamment à accentuer les migrations économiques de l’Afrique vers l’Europe.

Dans la presse étrangère, le Nigeria est encore trop souvent réduit à la terrible insurrection jihadiste de Boko Haram qui sévit depuis quatorze ans dans le nord-est. Un biais qui éclipse par exemple le succès phénoménal de l’Afrobeats, un genre musical né à Lagos, mégalopole du sud-est, et dont les tubes enflamment la planète. « La question n’est pas de couvrir positivement ou négativement le continent, mais de rendre compte de la complexité de notre réalité« , nuance Wale Lawal.

« The Republic » se penche plutôt, par exemple, sur l’avenir du basketball au Nigeria, la nouvelle politique étrangère du géant africain, ou le Biafra cinquante après la fin de la guerre civile. Des portraits, essais, reportages et interviews qui donnent à voir la complexité du pays de 215 millions d’habitants, en s’appuyant sur un important réseau de journalistes locaux et d’intellectuels.

– « Visage humain » –

C’est cette proximité avec le terrain qui fait également la force du média en ligne « Humangle« . Depuis 2020, ce site spécialisé couvre les conflits et crises humanitaires au Nigeria, mais avec l’ambition de leur donner « un visage humain« , dit sa rédactrice en chef Hauwa Shaffii Nuhu. « Nous ne pouvons réduire les conflits à des statistiques, les habitants à des victimes, nous devons construire des archives qui racontent leur histoire et leur résilience« , ajoute-t-elle.

Alors que le Nigeria compte plus de 25.000 personnes disparues, « Humangle » s’efforce par exemple de documenter les cas de milliers d’entre-eux, mais aussi le combat de leurs proches pour les retrouver. Le travail de fond de ses journalistes lui a également permis de sortir de nombreux scoops. Notamment sur le conflit jihadiste, comme cette récente enquête montrant que les autorités ont enterré des milliers de victimes dans des fosses communes sans les avoir identifiées. « Humangle » a également commencé à former des jeunes au journalisme dans des villages reculés du nord-est.

Car, souligne le site, « qui peut mieux nous informer » que ces jeunes « en qui les gens ont confiance, qui parlent leurs langues, comprennent leur culture, et sont déjà implantés dans ces communautés difficiles d’accès à cause de l’insécurité » ?