20 ans après la fin de sa guerre civile, la Sierra Leone va tenter de consolider sa démocratie via une nouvelle présidentielle inclusive

Afriquinfos Editeur
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Explosion en Sierra Leone.

Le président sortant de la Sierra Leone Julius Maada Bio monte sur scène et commence à se déhancher sur un tube d’afrobeats, sous les acclamations d’une foule de partisans vêtus du vert symbolique de son parti.

Cette scène, comme d’autres capturées dans des vidéos largement partagées lors de rassemblements de campagne au cours des derniers mois, aurait paru invraisemblable il y a quelques années de la part de cet ancien putschiste de 59 ans, élu en tant que civil en 2018 et qui brigue samedi 24 juin un second mandat. Aujourd’hui père de famille très attaché à l’éducation et à la cause des femmes, Julius Maada Bio a travaillé dur pour se refaire une image.

-« Soucieux de son image »-

« Il est très soucieux de son image – il tient à présenter une certaine image de lui-même, qui n’est peut-être pas toujours conforme à la réalité« , estime un analyste sous le couvert de l’anonymat. Ses partisans saluent son bilan et vantent certaines de ses mesures phares présentées comme les plus progressistes de la région. Comme l’abolition de la peine de mort, une loi sur l’égalité des sexes, un quart du budget consacré à l’éducation… Dans la capitale Freetown, son visage orne les panneaux publicitaires pour annoncer la distribution gratuite de serviettes hygiéniques aux élèves. Il a aussi pris des mesures pour que les enfants vulnérables, y compris les jeunes filles enceintes, poursuivent leurs études.

Dans une récente interview avec l’AFP, M. Bio a déclaré qu’il donnerait la priorité à l’agriculture au cours de son second mandat et qu’il réduirait la dépendance à l’égard des importations de denrées alimentaires, alors que les Sierra-Léonais luttent contre une crise du coût de la vie.

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Ses détracteurs dénoncent eux un rétrécissement de l’espace civique depuis qu’il est au pouvoir. Le pays a perdu 28 places dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières pour 2023. Les organisations des droits humains lui reprochent un recours excessif de la force, notamment lors d’émeutes contre la vie chère en août 2022 lors desquelles six policiers et 27 civils ont été tués, selon un bilan officiel.

Son principal opposant, Samura Kamara, est jugé pour corruption, dans une affaire qui a été rouverte juste après sa désignation comme candidat à la présidentielle 2023.

– Ancien militaire –

M. Bio est originaire du sud, un bastion du Parti du peuple de la Sierra Leone (SLPP) qu’il dirige aujourd’hui. Son père, un chef local, est mort lorsqu’il avait quatre ans et il a été élevé par une mère analphabète, qui lui a inculqué selon lui le respect des femmes. En 1992, il a participé à un coup d’État avec un groupe dont le chef, Valentine Strasser, est devenu le plus jeune chef d’État du monde à l’âge de 25 ans. Bio a été chef d’état-major de la défense et adjoint de Strasser avant de le renverser en 1996 et de prendre brièvement la tête de l’État.

Il a accepté de se retirer trois mois plus tard pour laisser la place à un dirigeant civil élu et s’est excusé par la suite pour son rôle dans la junte. « Il faisait partie d’un groupe de militaires qui se sont frayés un chemin jusqu’au pouvoir« , a déclaré à l’AFP le ministre de l’Information, Mohamed Rahman Swaray.

« Il était convaincu que la Sierra Leone était plus importante que leurs aspirations personnelles« . M. Bio a pris sa retraite de l’armée et est allé étudier aux États-Unis. Le ministre du Commerce, Edward Hinga Sandy, le décrit comme un président « très à l’écoute« , « ambitieux » et « audacieux« .

Selon le groupe de données de l’Institut pour la réforme de la gouvernance (IGR), M. Bio a réalisé 33,5% de ses promesses de campagne de 2018, notamment en matière d’aménagement du territoire, de logement, d’économie et d’éducation. M. Bio se décrit comme un homme peu bavard, qui cache souvent ses émotions. Mais certains fardeaux semblent peser lourdement sur le dirigeant.

Joseph Kaifala, historien de la guerre civile de 1991-2002 durant laquelle Bio a été soldat puis membre de la junte au pouvoir, a un jour demandé au Président s’il savait que la plus grande fosse commune identifiée en Sierra Leone se trouvait dans sa ville natale de Tihun. Il a répondu: « Oui, je sais, ces gens ont été tués à cause de moi« , a raconté M. Kaifala à l’AFP par téléphone.

« Le Président Bio est un homme très stoïque… mais il a réussi à me faire comprendre à quel point cela l’avait affecté… et il croit vraiment au travail accompli par la Commission Vérité et Réconciliation » mise en place après la guerre pour enquêter sur le conflit.