ONU: Cette Résolution porteuse d’espoirs des Haïtiens dans la guerre urgente contre les gangs urbains

Afriquinfos Editeur
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New York (© 2023 Afriquinfos)- Une force internationale va enfin être déployée en Haïti, selon une résolution votée par le Conseil de sécurité de l’ONU ce lundi 2 octobre 2023. Menée par le Kenya,  cette mission internationale va aider la police dépassée par les gangs. Haïti a salué une ‘’lueur d’espoir’’, tandis que sa capitale est en proie à la violence.

Après plus d’une année d’hésitation, la communauté internationale entre en action en Haïti. Le Conseil de sécurité de l’ONU a donné son feu vert lundi 2 octobre au déploiement prochain d’une force internationale dans ce pays pauvre des Caraïbes gangrené par la violence des gangs – qui ont déjà fait au moins 2 400 morts depuis le début de l’année.

La résolution votée par l’ONU va permettre le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) à partir de janvier 2024 pendant un an. Cette présence étrangère sera réexaminée dans neuf mois et comptera aussi dans ses rangs les Bahamas, la Jamaïque et Antigua-et-Barbuda. L’Espagne, le Sénégal et le Chili sont aussi susceptibles de déployer du personnel de sécurité.

Ce vote ‘’ est une lueur d’espoir pour le peuple qui subit depuis trop longtemps les conséquences d’une situation politique, socio-économique, sécuritaire et humanitaire difficile’’, a immédiatement salué le ministre haïtien des affaires étrangères, Jean Victor Généus, présent dans la salle du Conseil.

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Viols utilisés comme arme de terreur, snipers sur les toits, personnes brûlées vives, enlèvements contre rançons… Alors que la violence des gangs qui contrôlent la majorité de la capitale Port-au-Prince ne cesse de s’aggraver, le premier ministre haïtien Ariel Henry et le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres réclamaient depuis un an l’envoi d’une mission de soutien à la police.

Mais, au sein d’une communauté internationale échaudée par les expériences passées dans le pays et les risques de se retrouver piégé dans un bourbier meurtrier, il a été difficile de trouver un volontaire pour en prendre la tête.

Jusqu’à fin juillet dernier où le Kenya a finalement annoncé être prêt à mener cette force non onusienne et à déployer 1.000 hommes dans le pays pauvre des Caraïbes.

La résolution adoptée lundi par 13 voix pour et 2 abstentions (Chine et Russie) valide la création de cette ‘’mission multinationale de soutien à la sécurité’’, non onusienne, pour ‘’une période initiale de douze mois’’, avec une réévaluation au bout de neuf.

Elle vise à ‘’apporter un soutien opérationnel à la police haïtienne’’ dans sa lutte contre les gangs, et à améliorer la sécurité suffisamment pour organiser des élections, alors qu’aucun scrutin n’a eu lieu depuis 2016.

En coopération avec les autorités haïtiennes, la mission pourra, pour sauver des vies, employer des ‘’ mesures d’urgence’’ temporaires et proportionnées ‘’sur une base exceptionnelle’’, notamment via des arrestations, dans le respect du droit international.

Dans un récent rapport, Antonio Guterres soulignait que la crise économique, politique et sécuritaire que traverse Haïti s’est encore aggravée depuis un an, avec des gangs ‘’plus nombreux et mieux armés’’ que les quelque 14.000 policiers comptabilisés fin juin 2023. Au total, près de 2.800 meurtres ont été dénombrés entre octobre 2022 et juin 2023, dont près de 80 mineurs, selon ce rapport.

Le Kenya meneur de cette force

Le Kenya, qui a proposé son aide dès la fin juillet, se dit prêt à déployer 1.000 des 2.000 membres des forces de l’ordre évoqués ces derniers mois, le plus gros contingent de troupes qui sera envoyé à Haïti. Un chiffre qui peut paraître faible au regard des effectifs de la précédente mission de maintien de la paix déployée par l’ONU à Haïti (Minustah), qui ont oscillé entre 9.000 et 13.000 personnels militaires et policiers de 2004 à 2017.

Pour Roland Marchal, chercheur au CNRS et spécialiste de la Corne de l’Afrique, « les Kényans prennent cette initiative pour Haïti parce que leur président, William Ruto, estime que le Kenya est le pays phare de l’Est africain. Son rival sur la scène diplomatique régionale, l’Éthiopie, est actuellement pris dans des problèmes internes.

Il y a donc une sorte de vide que le Kenya essaie de remplir en multipliant les initiatives – déploiement de forces dans l’est de la République démocratique du Congo, volonté de diriger la médiation de l’Igad (l’Autorité intergouvernementale pour le développement qui rassemble sept pays est-africains, NDLR) au Soudan – et maintenant une mission internationale. »

La volonté du Kenya de mener une mission internationale à Haïti s’explique aussi par la volonté de Nairobi de faire preuve de « solidarité africaine« . Ces mots sont du ministre haïtien des Affaires étrangères, Jean Victor Généus, qui a répondu fin juillet sur X « apprécier à sa juste valeur » l’offre du gouvernement est-africain. Dans le même sens, le président kényan William Ruto a estimé mardi qu’il est « hors de question » d’abandonner la population haïtienne, évoquant le « devoir de solidarité du Kenya envers toutes les personnes afro descendantes à travers le monde ».

En s’engageant dans cette mission multinationale, le Kenya renforce aussi ses relations avec les États-Unis. « Cette initiative à Haïti est utile car elle conforte l’appréciation du Kenya comme puissance internationale et consolide ses liens avec les États-Unis, un partenaire sécuritaire très important pour lui« , explique Roland Marchal.

Dès sa proposition d’aide, le secrétaire d’État américain Antony Blinken avait d’ailleurs « félicité« , dans un communiqué publié le 1er août, le gouvernement kényan « d’avoir répondu à l’appel d’Haïti« . Le président kényan avait ensuite été le seul chef d’État mentionné par Joe Biden lors de son allocution à l’ONU, le 19 septembre.

Enfin, Washington a signé avec Nairobi le 25 septembre un accord de défense portant sur les cinq prochaines années – notamment pour poursuivre des opérations militaires à la frontière somalienne contre les Chebab, groupe terroriste affilié à Al-Qaïda.

Nairobi vue d’un mauvais œil

En ce qui concerne l’intervention en Haïti, le Kenya a reçu la promesse de Washington de financer la mission multinationale à hauteur de 100 millions de dollars. Au point que certains observateurs ont estimé que Nairobi était aux ordres des États-Unis, a rapporté la BBC.

« Le Kenya n’est pas aux ordres, il joue une carte« , affirme pour sa part Roland Marchal. « Dire le contraire est une analyse loin de la réalité : la classe politique kényane n’est pas un simple valet de Washington, et les forces armées du pays ont l’habitude de travailler dans des opérations de maintien de la paix. »

Par le passé, les Kényans ont participé à des missions onusiennes dans plusieurs conflits : au Kosovo, au Tchad, en Sierra Leone, au Burundi ou encore au Soudan du Sud. Par ailleurs, « ils ont une armée qui bénéficie d’un certain prestige, formée depuis des décennies par le Royaume-Uni et les États-Unis« , précise Roland Marchal.

Mais plusieurs organisations estiment entre-autre que la police kényane dispose de peu d’équipement et de formation mais aussi, d’une réputation négative. Elles en veulent pour preuve la répression des récentes manifestations de l’opposition. Irungu Houghton, le directeur exécutif d’Amnesty international au Kenya, rappelle : ‘’Six mois de violences policières ont fait 50 morts et des centaines de blessés dans des confrontations avec les forces de l’ordre au Kenya. Nous avons vu l’utilisation indiscriminée de gaz lacrymogènes, nous avons assisté à des tirs mortels qui ont tué près de 25 Kényans. Pour la plupart, les preuves montrent qu’ils ont été touchés dans le dos ou alors qu’ils fuyaient la police. Pour toutes ces raisons, nous sommes inquiets que ces méthodes soient exportées en Haïti.’’

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