L’attaque menée mi-novembre contre des gendarmes à Inata, dans le nord du Burkina Faso, au cours de laquelle au moins 57 personnes ont été tuées, a mis en exergue l’impuissance grandissante de l’armée face aux actions sanglantes et répétées des jihadistes.
Au petit matin du 14 novembre, une colonne de véhicules pickup et de motos comprenant « plus de 300 combattants » de groupes armés jihadistes, selon des sources militaires, prennent d’assaut le camp du détachement de gendarmerie d’Inata.
Huit jours après, le dernier bilan officiel – toujours provisoire – faisait état lundi de 57 morts, dont 53 gendarmes, et 47 rescapés. Des opérations de recherches étaient toujours en cours pour retrouver d’éventuels survivants de l’attaque de ce camp qui comptait environ 150 éléments.
Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière contre les Forces de Défense et de Sécurité depuis six ans que le Burkina Faso est confronté aux actions jihadistes qui ont fait environ 2.000 morts et 1,4 million de déplacés.
« Qu’on en soit encore à rechercher des survivants est le signe même que l’armée n’a aucune maîtrise du territoire, ou qu’elle refuse d’admettre l’évidence d’un bilan plus lourd », selon Drissa Traoré, analyste politique à Ouagadougou.
En attendant les conclusions d’une enquête sur la déroute de l’armée lors de l’attaque d’Inata, deux commandants responsables du secteur nord du pays ont été démis de leurs fonctions par le gouvernement. Selon Loana Charles Ouattara, un officier supérieur à la retraite, « l’armée burkinabé présente un sérieux problème de format, avec des officiers généraux qui sont tous cantonnés dans les états-majors alors que le pays est en guerre ».
« Il faut véritablement revoir l’effectif des unités pour ne pas être réduit à des situations comme Inata où les soldats, qui sont envoyés par petits groupes, subissent des assauts de troupes ennemies deux à trois fois plus nombreuses », affirme-t-il. Il souligne en outre que ces petits groupes de soldats éparpillés dans ce vaste territoire qu’est le nord du Burkina, « attendent en vain » ceux qui devraient théoriquement les relever. « Soit il y a un problème logistique, soit la relève n’existe même pas et comme conséquence, nous avons eu le drame d’Inata ».
Les gendarmes attaqués attendaient la relève depuis plusieurs jours et avaient peu auparavant lancé un appel à l’aide, affirmant commencer à être à court de munitions et de vivres.
– Guerre, honte et humiliation –
Cette attaque « est certainement la plus honteuse, la plus humiliante et celle qui met à nu nos insuffisances en tant qu’Etat », a concédé Benewende Stanislas Sankara, ministre du Travail, tandis que celui de la Communication, Ousséni Tamboura, a déclaré que son pays était « véritablement en guerre ». Selon Guy Hervé Kam, célèbre avocat actif au sein de la société civile burkinabè, « bien que les modes opératoires soient déjà connus, en face nous ne sommes jamais préparés stratégiquement, tactiquement, humainement et logistiquement pour être à la hauteur de l’ennemi: conséquence, les mêmes causes produisent les mêmes effets, les mêmes drames, les mêmes deuils, les mêmes incompréhensions et la même colère ».
Des manifestations d’habitants excédés par la violence jihadiste et l’impuissance de l’armée ont régulièrement lieu à travers tout le pays. La dernière, lundi, toujours contre un détachement de gendarmerie à Foubé (nord), a fait une vingtaine de morts, neuf gendarmes et une dizaine de civils.
Nombreux sont ceux qui accusent la France d’être « incapable » d’éradiquer les jihadistes dans les pays du Sahel où elle intervient depuis 2013, voire d’en être « complice »: un convoi militaire français qui, venu de Côte d’Ivoire, devait se rendre au Niger en traversant le Burkina, a été bloqué par des milliers de manifestants dans plusieurs villes burkinabè.
« Dans la chaine de commandement de notre armée, certains ont failli », car « pendant que les soldats se battent sur le terrain, ils sont souvent abandonnés à leur sort par ceux qui sont censés veiller à ce qu’ils soient dans les meilleures conditions de combat », dénonce Me Kam.
Le ministre du Travail reconnaît « qu’il faut restructurer l’armée, prendre les mesures les plus énergiques, confier l’opérationnel aux jeunes officiers qui ont fait leurs preuves ».
Mais, relève Me Kam, « il est surprenant que depuis six ans nos officiers formés dans les grandes Ecoles militaires ne trouvent toujours pas la bonne réponse à ces attaques, même si on admet le principe de la guerre asymétrique ». Et de se demander: « S’agit-il d’une incompétence, d’un manque de loyauté ou d’une complicité avec les ennemis de notre peuple »?