26 trésors conservés jusqu’ici au musée parisien du Quai Branly retrouvent une nouvelle vie en terre du Bénin

Afriquinfos Editeur 25 Vues
7 Min de Lecture
Un siège royal, un des trésors du royaume d'Abomey, exposé au musée du quai Branly, à Paris le 10 septembre 2021.

« Emus aux larmes », les Béninois ont accueilli mercredi le retour de 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey, pillées par les troupes coloniales françaises au XIXe siècle et restituées la veille par Paris.

Emmanuel Macron et une statue du roi du Bénin Ghezo du XIXe au musée du quai Branly, à Paris le 27 octobre, 2021.

Ces oeuvres, dont certaines revêtent un caractère sacré, sont arrivées à Cotonou par avion en milieu d’après-midi. Elles ont ensuite été convoyées dans trois camions, escortés par des chevaux, jusqu’au palais présidentiel où une cérémonie solennelle a été organisée.

Au son des tambours et instruments de musique traditionnels, de centaines de Béninois venus de tout le pays se sont pressés sur les trottoirs pour apercevoir ces trésors. Adultes et enfants, habillés pour la plupart en pagne coloré, ont applaudi au passage des camions. Certains se sont prosternés au sol, d’autres émus aux larmes ont croisé les mains en signe de respect.

Parmi les œuvres restituées figurent des statues totem de l’ancien royaume d’Abomey (Dans le sud de l’actuel Bénin) ainsi que le trône du roi Béhanzin, pillés lors de la mise à sac du palais d’Abomey par les troupes coloniales françaises en 1892.

« Lorsque le camion m’a dépassé, j’ai eu des frissons. Je me suis agenouillé, front contre le sol, en signe d’allégeance », lance à l’AFP Marcel Hounkonnou, un artisan. « Tous ces objets que ces rois nos ancêtres ont touché, ils les représentent en quelque sorte aujourd’hui », ajoute l’homme venu de la capitale Porto-Novo, à 40 kilomètres de là.

« C’est tellement émouvant », abonde Martine Vignon Agoli-Agbo, qui habite le nord du Bénin et a parcouru plus de 500 kilomètres avec ses deux filles pour assister à ce moment historique.

– « Retour de notre âme » –

Emmanuel Macron, le président du Bénin Patrice Talon (debout) Roselyne Bachelot et le ministre béninois du Tourisme, Jean-Michel Abimbola, à l’Elysée le 9 novembre 2021.

« Des objets vieux de 200 ans, volés et dont on n’espérait pas le retour, arrivent en grand nombre. Je n’ai pas voulu qu’on me raconte ce moment. Et si mes filles sont là, c’est pour qu’elles puissent un jour le raconter à mes petits-enfants », ajoute Mme Vignon Agoli-Agbo.

Dans la foule, un homme a fait coudre sur son chapeau la date du « 10.11.2021 », pour souligner le caractère historique de ce retour. Lorsque les camions sont arrivés à la présidence, deux fillettes, en pagne blanc, et colliers autour du cou, une calebasse dans les mains, ont renversé sur le sol de l’eau en guise d’offrande.

La caisse contenant le trône appartenant au roi Ghézo, qui régna sur le royaume d’Abomey entre 1818 et 1858, a été déchargée sur un tapis rouge. Autour d’elle, des danses de l’ancien royaume ont été exécutées, mais aussi celles des autres royaumes qui constituaient le Bénin, avant de devenir une nation.

« Je suis dévastée par l’émotion », a déclaré le président béninois Patrice Talon, visiblement très touché, avant de prononcer un discours de 30 minutes centré sur l’unité nationale. « C’est le symbole du retour au Bénin de notre âme, de notre identité, ce retour du témoignage de ce que nous avons été, de ce que nous avons existé avant », a déclaré le chef de l’Etat, soulignant qu’au moment de lancer en 2016 une demande de restitution, il n’avait « guère la certitude que cela arriverait un jour ».

Après la cérémonie, l’actuel roi d’Abomey Sagbadjou Glèlè, présent au côté d’autres chefs traditionnels venus de tout le pays, a fait part de sa vive émotion à l’AFP.

« Je ne peux expliquer la joie qui m’étreint. Ces objets étaient destinés dès leur départ à un retour. Tôt ou tard, ils devaient rentrer pour que s’accomplissent les paroles dites par nos ancêtres ».

– « Restauration de la dignité » –

Pour Didier Marcel Houénoudé, professeur béninois en Histoire de l’art, le retour des œuvres « représente avant tout la restauration de la dignité ».

Il « sert également à la reconstruction de la mémoire. Ce ne sont pas seulement le peuple et les objets qui ont été spoliés, mais aussi la mémoire. Celle-ci est remplie de honte liée à la chute ou à l’échec de notre peuple », a-t-il déclaré à l’AFP. Dans la foule mercredi, Akouavi Mari Dannon, enseignante d’histoire dans un collège privé d’Abomey, est venue accompagnée de ses dix meilleurs élèves. « C’est un pan entier de notre histoire qui nous retombe sur les bras et nous devons le récupérer et le valoriser. C’est très important », déclare-t-elle à l’AFP.

Cette cérémonie solennelle au Bénin a marqué la dernière étape d’un processus inédit entamé avec la promesse faite en 2017 par le président français Emmanuel Macron de procéder à des restitutions du patrimoine africain en France. La veille à Paris, le président Macron avait reçu M. Talon pour finaliser la restitution de ces 26 trésors conservés jusqu’ici au musée parisien du Quai Branly.

Après la cérémonie, les œuvres seront soumises à deux mois « d’acclimatation » aux nouvelles conditions de climat et d’hygrométrie, avant d’être exposées pendant trois mois à la présidence béninoise. Les trésors iront ensuite à l’ancien fort portugais de Ouidah et à la maison du gouverneur, lieux historiques de l’esclavage et de la colonisation européenne, situés sur la côte, en attendant la construction d’un nouveau musée à Abomey.