106è anniversaire de la fin de la Première guerre mondiale ce 11 novembre: Ce qui avait changé en Afrique

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Des soldats africains lors de la 2e Guerre Mondiale (DR, France infos).

Paris (© 2024 Afriquinfos)- Ce lundi 11 novembre 2024 marque le 106ème anniversaire de l’armistice qui mit fin aux combats de la Première Guerre mondiale. Bien que loin des champs de bataille en Europe, le continent africain a également subit les effets de ces 4 années de guerre (1914-1918), de violence et de souffrance.

La Première guerre mondiale a notamment exacerbé le dernier partage colonial du continent. Les puissances européennes ont redistribué les colonies, ce qui a souvent exacerbé les tensions ethniques et a conduit à des conflits internes.

Par ailleurs, la guerre a conduit à l’effondrement ou à la fragmentation de plusieurs empires, dont l’allemand, qui occupait de vastes territoires en Afrique. Ce contexte a amorcé des changements politiques et sociaux importants, ouvrant la voie à des mouvements pour l’indépendance à travers le continent.

En outre, de nombreux soldats africains, ayant combattu pour les puissances coloniales, ont été négligés à leur retour, ce qui a entraîné des frustrations et des mouvements nationalistes. La guerre a également causé de lourdes pertes humaines, avec plus de 150 000 soldats africains perdus et des millions de civils touchés par les conséquences sociales et économiques du conflit.

Les colonies, des enjeux stratégiques

Riches en matières premières et en ressources minières, les colonies allemandes sont convoitées, dès le début du conflit, par les Alliés. C’est notamment le cas du Cameroun (appelé à l’époque Neu Kamerun), alors protectorat germanique. La partie sud de ce territoire a été cédée en 1911 par la France, en échange de l’abandon des prétentions allemandes sur le Maroc, suite au traité d’Agadir. Après la déclaration de guerre, les autorités françaises comptent bien reconquérir ces terres.

Les colonies du Togoland, du Cameroun et du Sud-ouest africain allemand sont conquises relativement rapidement et sans confrontation de très grande envergure. La colonie du Togoland tombe la première, après la tentative de son gouverneur de maintenir la neutralité en arguant que de montrer aux populations africaines des hommes blancs se battant serait préjudiciable à l’ordre colonial. Les troupes allemandes au Cameroun vont quant à elles résister 15 mois face à une coalition française, britannique et belge. Le Sud-ouest africain allemand est ainsi conquis par l’armée d’Afrique du Sud en 6 mois.

Si ces colonies tombent avec une relative aisance en raison de leur garnison faible, les troupes allemandes en Afrique Oriental sous le commandement du général Paul von Lettow Vorbeck combattent jusqu’en 1918. Ils se rendent même trois jours après la signature de l’armistice le 11 novembre 1918. Longtemps adulé comme un génie tactique et un grand général, von Lettow Vorbeck va mener une guerre de guérilla avec des conséquences brutales et dévastatrices pour les populations locales.

Ayant comme objectif de distraire les Britanniques et de les obliger à mobiliser des troupes en Afrique, Lettow Vorbeck et ses 10.000 askaris (troupes coloniales noires allemandes) s’enfoncent dans les confins de la brousse africaine, pillant les villages et recrutant de force les populations en tant que porteur. Avec leurs propres troupes coloniales, les Britanniques, les Portugais et les Belges qui partent à leur poursuite font de même. Du côté des Britanniques seulement, on estime jusqu’à 1.000.000 d’africains qui vont être engagés de force en tant que porteurs pendant la campagne.

Il est difficile de savoir combien de porteurs et de membres de leur famille meurent pendant ce service forcé. Les chiffres oscillent autour de 350.000 du côté allemand, et probablement autant du côté des alliées, bien que les chiffres des autorités britanniques citent 95.000 décès. Les conséquences économiques dues à la destruction de la campagne et de la production agricole, au recrutement forcé et aux pillages systématiques sont incalculables. Il est estimé que 300.000 civils périssent en raison de cette spoliation économique.

Ailleurs sur le continent, les combats sont entre des mouvements anticoloniaux et leurs empires respectifs. Ces soulèvements ont des causes multiples et variables. L’exode des administrateurs blancs partout dans les colonies européennes, rappeler pour leur service militaire en Europe, participe à créer une impression de faiblesse des États coloniaux. À cela s’ajoute l’accroissement constant des demandes de ces États envers les populations. Déjà généralement mal reçu par les populations colonisées, la guerre engendre une grande demande en hommes – tant pour le travail que l’armée – et en matière première.

La France recrute jusqu’à 190.000 soldats noirs africains

Par exemple, la France recrute jusqu’à 190.000 soldats noirs africains pour les mobiliser sur de nombreux fronts en Europe et au Moyen-Orient. Un autre exemple de mobilisation massive est les porteurs précédemment mentionnés. L’impôt, concept parfois étranger pour certaines communautés et qui les forçait à s’intégrer à l’économie monétaire qui leur était défavorable, est également à considérer. Des sympathies politiques avec les Ottomans et les Allemands de certaines populations sont également à prendre en compte. Dans la totalité des cas, la répression des États coloniaux est brutale et sans concession. Déjà immensément éprouvé par la guerre en Europe, les Empires coloniaux ne pouvaient tolérer quelconque perturbation dans ses arrières.

Ainsi, des révoltes éclatent en Afrique du Sud en 1914, où des Afrikaners se rallient à la cause allemande en réaction à l’appui de leur gouvernement aux alliés. Des soulèvements islamiques, parfois incités par l’appel au Djihad de l’Empire ottoman, se font entendre partout dans le Sahel tout au long de la guerre. Des mouvements millénaristes et apocalyptiques, notamment le mouvement de la Watch Tower en Rhodésie, sont aussi de ceux qui participent à déstabiliser l’ordre colonial en Afrique. Dans l’actuel Burkina Faso, une coalition villageoise se révolte contre l’empire français en novembre 1915 pendant plus de 9 mois. 30 000 résistants anticoloniaux trouvent la mort.

La cause : le recrutement ! En effet, la France républicaine se décide, au début de la guerre, à faire participer leurs troupes coloniales dans l’effort de guerre en Europe, pratique que rechignent à la fois les Britanniques et les Allemands. De fait, ils ne sont pas friands de voir des hommes de couleur combattre des hommes blancs sur le front. Le recrutement s’appuie toutefois sur la coercition, prenant des allures de chasse à l’homme dont leur nature ne pouvait que rappeler les méthodes esclavagistes. Les populations résistent également à ces pressions en fuyant devant l’arrivée des recruteurs, en présentant les hommes les plus âgés et les plus faibles, ou encore en migrant massivement vers des colonies britanniques où il est cru qu’il n’y a pas de recrutement.

Une opportunité pour certains

Si de nombreux africains empruntent la route de la résistance, d’autres verront la guerre comme une opportunité de se prouver à leur empire respectif pour gagner davantage de droits et de pouvoirs dans l’espace politique et administratif colonial. Dans la plupart des cas, ces espoirs sont déçus. À titre d’exemple, le député Blaise Diagne, premier homme noir à siéger au Parlement français, est promis des réformes sociale et politique au Sénégal en échange d’une campagne de recrutement de tirailleurs après la révolte au Burkina Faso.

Mission accomplie, Diagne réussit même à rallier plus d’hommes que demandé : 63.000 au lieu de 40.000. Mais les promesses ne sont jamais réalisées. Même ton avec les hommes recrutés dans l’armée coloniale : on leur promettait davantage de droits, voire même la citoyenneté, s’ils s’engageaient et payaient l’« impôt du sang ». Encore une fois, la promesse n’est pas remplie.

Néanmoins, la Première Guerre participe à donner naissance à des mouvements nationalistes et de contestations politiques partout sur le continent. Des élites africaines frustrées des fausses promesses se mobiliseront davantage devant les incohérences et les contradictions des régimes coloniaux. Ils établissent les premières bases pour les décolonisations des décennies à suivre.

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