Un ‘panafricaniste de gauche’ à la tête du Sénégal confronté à d’urgents défis de développement

Afriquinfos Editeur
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Diomaye Faye dans les rues de Dakar ce 2 avril après la prestation de serment.

De son village reculé jusqu’au sommet de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye a connu une ascension éclair pour devenir le plus jeune Président du Sénégal, élu sur la promesse d’un changement radical et sous l’impulsion d’un mentor charismatique.

Le Président élu Bassirou Diomaye Faye lors d’une rencontre avec le Président sortant Macky Sall à Dakar, le 28 mars 2024 au Sénégal.

Celui que tout le monde appelle « Diomaye » (« l’honorable » en sérère), suppléant du dirigeant Ousmane Sonko frappé d’inéligibilité, a prêté serment mardi 02 avril près de Dakar, devenant le cinquième Président de ce pays. D. Faye, 44 ans, s’est présenté lors de son premier discours officiel comme l’homme du « changement systémique », mais aussi le garant d’une « démocratie renforcée » et d’une « justice indépendante » dans un pays « apaisé » et « d’espérance ». Il a défendu un Sénégal « juste et prospère » dans une « Afrique en progrès », d’un ton assuré et formel, devant un parterre de Chefs d’Etat africains, mais aussi de ses deux épouses, une première dans le pays! Le vœu de la rupture, l’onction d’O. Sonko et l’apparente simplicité de cette personnalité issue d’un milieu modeste lui ont permis de remporter une victoire écrasante, dès le premier tour de la présidentielle 2024 avec 54,28% des voix.

Résultats finaux provisoires du 1er tour de l’élection présidentielle au Sénégal.

Il a fait de la « réconciliation nationale », de la baisse du coût de la vie et de la lutte contre la corruption ses chantiers prioritaires. Se disant panafricaniste « de gauche », D. Faye, qui n’a jamais exercé de mandat d’élu auparavant, a promis de rétablir une « souveraineté » bradée selon lui à l’étranger et a exprimé son souhait de remettre sur la table les contrats pétroliers et gaziers ainsi que les accords de pêche. Il envisage de quitter le franc CFA et d’investir dans les secteurs agricole et industriel pour tenter de faire baisser le chômage, qui s’élève officiellement à environ 20%. Il veut également rééquilibrer les partenariats internationaux dans un sens « gagnant-gagnant » et travailler au retour du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest).

– Plan B de Sonko –

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Haut fonctionnaire de l’Administration des Impôts et domaines où il a fait la connaissance d’Ousmane Sonko, il a franchi discrètement les étapes dans l’ombre de ce dernier. Son avènement consacre la réussite du plan B de M. Sonko qui, arrivé troisième de la présidentielle en 2019 et disqualifié en 2024, l’a désigné comme son remplaçant. Pendant trois ans, avec le parti PASTEF créé en 2014 par de jeunes cadres du public et du privé et dissout depuis, ils ont croisé le fer avec le pouvoir, le Président Sonko se démultipliant aux avant-postes, le secrétaire général Faye actif à l’organisation et la doctrine. Ils sont sortis ensemble de plusieurs mois d’emprisonnement mi-mars 2024, en pleine campagne, à la faveur d’une amnistie. Ils ont parcouru le pays ensemble, puis se sont partagés la tâche, drainant des foules en liesse derrière le slogan « Sonko mooy Diomaye, Diomaye mooy Sonko » (« Sonko c’est Diomaye, Diomaye c’est Sonko »).

Pendant ce temps, son principal adversaire, Amadou Ba, candidat du pouvoir en place, faisait campagne en critiquant son inexpérience. Souvent vêtu d’un boubou blanc traditionnel, de taille moyenne, portant une barbichette sous son visage juvénile, ce musulman pratiquant, père de quatre enfants, personnifie une nouvelle génération de politiciens.

-Arts martiaux, reggae et le Real-

Bassirou Diomaye Faye est né dans une famille d’agriculteurs humble et éduquée dans le village de Ndiaganiao, à 150 km à l’est de Dakar, au bout d’une route cahoteuse et sablonneuse. Là-bas, il n’y a ni centre de santé, ni route goudronnée. « Diomaye était un petit berger qui surveillait ses chèvres », se souvient Mor Sarr, l’un de ses meilleurs amis. « Diomaye a toujours été très proche de sa maman, Khady Diouf, qu’il aidait pour les tâches ménagères » après l’école, témoigne M. Sarr. Admirateur de l’ancien Président américain Barack Obama et du Sud-africain Nelson Mandela, fervent lecteur de livres de psychologie, il est aussi un « grand fan du Real Madrid et de (Zinedine) Zidane », l’ancien joueur de foot français, amateur d’arts martiaux et de natation, et fan de reggae.

Ce petit-fils d’un tirailleur, grièvement blessé durant la bataille de Verdun (Est de la France) pendant la Première Guerre mondiale, est « un bon garçon« , « très soigneux dans sa manière de faire » et « sera un Président connecté » aux réalités du pays, pense son oncle et homonyme, Diomaye Faye. Bassirou Diomaye Faye a quitté Ndiaganiao pour étudier à Dakar, puis intégrer la prestigieuse Ecole nationale d’Administration dans la capitale. Il a dit revenir régulièrement au village. « Je garderai toujours à l’esprit les lourds sacrifices consentis afin de ne jamais vous décevoir », a déclaré mardi 02 avril le nouveau Chef d’Etat, qui a eu une pensée « pour les martyrs de la démocratie sénégalaise, les amputés, les blessés et des anciens prisonniers » des trois années de crise qui ont précédé le scrutin présidentiel de mars 2024.

Une victoire électorale nette

L’opposant sénégalais Bassirou Diomaye Faye a largement remporté au premier tour la présidentielle du 24 mars avec 54,28% des voix, loin devant le candidat du pouvoir Amadou Ba (35,79%), selon les résultats définitifs proclamés vendredi 29 mars 2024 par le Conseil constitutionnel.

L’opposant antisystème « Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye est élu Président de la République du Sénégal », a indiqué un arrêt du Conseil consulté par l’AFP et confirmant les chiffres provisoires annoncés mercredi 27 mars 2024 par la Commission nationale de recensement des votes, relevant de la Justice. Le Conseil « n’a été saisi d’aucune contestation » de la part des 19 candidats dont le troisième, Aliou Mamadou Dia, recueille seulement 2,8% des suffrages!

– « Poursuivre et intensifier »

Le Président français Emmanuel Macron a exprimé vendredi 29 mars au Président élu sa « volonté de poursuivre et d’intensifier le partenariat entre le Sénégal et la France », lors de leur premier entretien téléphonique depuis le scrutin de dimanche 24 mars 2024. C’est la première fois depuis l’indépendance du Sénégal en 1960 qu’un opposant l’emporte dès le premier tour. La participation a été de 61,30 %. C’est moins qu’en 2019, quand le Président sortant Macky Sall avait obtenu un second mandat, également au premier tour, mais plus qu’en 2012. La grave crise politique causée par le report de dernière minute de la présidentielle en février 2024 et le resserrement du calendrier avec la fixation de la nouvelle date du 24 mars ont semé le doute sur la possibilité d’une investiture du nouveau Président avant l’expiration officielle du mandat du Chef de l’exécutif Sall, le 2 avril.

Ce transfert s’est fait dans les délais requis, ce qui est significatif dans un pays qui s’enorgueillit de ses pratiques démocratiques. D. Faye, 44 ans, jamais porté à une fonction élective nationale auparavant, devient plus jeune Président du pays ouest-africain de 18 millions d’habitants. Ses adversaires ont reconnu sa victoire. Son élection a été précédée par trois années de tensions et de troubles. Le Sénégal, réputé comme l’un des pays les plus stables d’Afrique de l’Ouest, a connu une nouvelle crise en février 2024 quand le Président Sall a décrété l’ajournement de l’élection. Des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines arrêtées depuis 2021, et les lettres de créance démocratiques du Sénégal ont été examinées sous un autre jour.

M. Faye a lui-même été détenu pendant des mois avant sa libération mi-mars, en pleine campagne électorale. Après des semaines de confusion, les Sénégalais se sont rendus aux urnes dimanche 24 mars. Les observateurs internationaux ont salué le bon déroulement des opérations dans l’ensemble. M. Faye se présente comme l’homme de la « rupture », du rétablissement d’une « souveraineté » nationale bradée selon lui à l’étranger, et d’un « panafricanisme de gauche ». Il s’engage « à gouverner avec humilité, dans la transparence, à combattre la corruption » à tous les niveaux, avait-il déclaré lundi 25 mars lors de sa première apparition publique depuis l’élection. Il a énoncé « la réconciliation nationale« , la « refondation » des institutions et « l’allègement sensible du coût de la vie » comme ses « chantiers prioritaires« . Mais, il s’est aussi employé à rassurer les partenaires étrangers qui ont suivi attentivement son élection.

Le Sénégal « restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engagera avec nous dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive« , a-t-il dit.

L’opposant Bassirou Diomaye Faye, vainqueur de l’élection présidentielle au Sénégal, lors d’une conférence de presse à Dakar le 25 mars 2024.

© Afriquinfos & Agence France-Presse