Tunisie : Le deuxième assassinat qui renvoie le processus transitoire à sa case départ

Afriquinfos Editeur
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Les Tunisiens ont rattrapé à l' esprit jeudi passé (journée de la République) le meurtre de Chokri Belaïd suite à un deuxième assassinat politique ciblant encore une fois un autre opposant au régime dirigé par les islamistes, Mohamed Brahmi père de 5 enfants et député du Courant populaire, en l' occurrence.

 Bien orchestré (14 balles tirée de la même arme semi-automatique de 9mm utilisée pour abattre Belaïd),  ce deuxième meurtre a déclenché une violente vague de colère à travers le pays avec des heurts entre manifestants et policiers faisant plusieurs blessés en plus d'un décès dans la province de Gafsa au sud-ouest. Des affrontements et des perturbations sécuritaires qui ont poussé la coordination de la Troïka (coalition tripartite au pouvoir) de se réunir samedi dans la soirée en urgence pour en aboutir à des décisions susceptibles d'absorber la crise actuelle et riposter à la vague de violence qui secoue le pays. Des sources de cette réunion parlent d'une feuille de route pour la fin de la période transitoire.

 AU BOUT DE SA MISSION, LA CONSTITUANTE RISQUE L'AUTODISSOLUTION

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 La crise actuelle enclenchée suite à l' assassinat de Mohamed Brahmi a positionné la Constituante dans le premier plan du champ de mire : jusqu' au samedi 27 juillet, 64 députés ont officiellement décidé de suspendre leur activité jusqu' à la démission de l' actuel gouvernement et la formation d' un autre de salut national appuyé par un comité d' expert chargé de la finalisation de la nouvelle Constitution dans un délai maximal de deux à trois semaines, comme l' a déclaré dans la presse plusieurs spécialistes tunisien en droit constitutionnel.

Représentants la majorité des partis de l'opposition au sein de l'Assemblée, plus d'une dizaine de députés ont déjà entamé un sit-in ouvert face au siège de la Constituante à Tunis.

Admettant qu'elle n'a aucune référence juridique, l'universitaire en droit constitutionnel Kais Saïd a précisé lors d'un passage médiatique que la décision émanant des députés de suspendre leurs activités se définie plutôt comme un retrait et non pas une démission.

Selon M. Saïd, il n'aura pas de vide opérationnel au sein de la Constituante si le nombre des députés retirés ne dépassera pas le un tiers des 216 députés (après démission récente d'un député). Sinon, a-t-il mis en garde, la situation se détériorera davantage surtout que l'Assemblée se penche actuellement sur la composition du conseil de l'instance électorale.

Pire encore, le vote sur les membres de ce conseil ainsi que le vote sur la Constitution en deuxième lecture exigent une majorité de deux tiers. En réaction instantanée, le président de la Constituante Mustapha Ben Jaafar s'est adressé aux Tunisiens pour appeler les députés retirés à reprendre leur mission pour laquelle ils ont été élus par le peuple. Dans son discours, M. Ben Jaafar a rassuré qu'une nouvelle Constitution pourrait voir le jour durant le mois d'août 2013, un code électoral en septembre prochain avant de parachever tous les travaux le 23 octobre 2013.

LA SURETE NATIONALE MISE EN ENJEU

Plus de deux ans après la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier 2011, la sureté nationale de la Tunisie n’a été réellement à l' abri des menaces partant des incidents terroristes survenus depuis quelques mois à la montagne Chaâmbi au nord-ouest tunisien frontalier avec l'Algérie (des morts et blessés parmi les militaires et gardes nationaux) jusqu' à l'explosion samedi 27 juillet courant d'un véhicule de la garde maritime tout en passant par les deux assassinats de Belaïd et Brahmi. "L'assassinat de Mohamed Brahmi coïncidant avec le 56e anniversaire de la République tunisienne était prémédité et planifié pour ce jour (…) cet acte signifie que le pays est en danger et connaîtra un bain de sang", a déclaré le secrétaire général de l'Union générale tunisienne du Travail (centrale syndicale), Houcine Abassi.

Leader du principal parti de l'opposition (selon les sondages) et ancien Premier ministre, Béji Caïd Essebsi a averti que "le cycle de la violence est en train de s'élargir" (…) et "les criminels ayant commandité cet assassinat n'ont pas choisi cette date par hasard". Il s'agit, a-t-il révélé à l'une des radios de la capitale, du 3e assassinat politique et les autorités tunisiennes n'ont pas agi à temps. Et d'insister qu'il n'y a pas eu de sérieuses poursuites judiciaires ce qui a encouragé les criminels à poursuivre leur crimes.

Alors que le ministère de l'Intérieur invitait les manifestants à travers le pays à s'appliquer à l'aspect pacifique de leurs mouvements et éviter de provoquer les policiers obligés à maintes reprises à se défendre, la situation dans plusieurs provinces semblent être, selon des sources régionales, hors contrôle des autorités officielles.

 Dans la soirée de samedi à dimanche, des émeutes se sont déclenchés à Jendouba (nord-ouest) lors d'une marche organisée des citoyens dont bon nombre ont brulé des roues et bloqué des routes obligeant ainsi les unités d'intervention à disperser la foule par la force.

Vers le centre du pays et pour dénoncer l'assassinat de Mohamed Brahmi, la province de Sidi Bouzid a enregistré de violents heurts entre force de l'ordre et manifestants ayant procédé à prendre à l'assaut des établissements de souveraineté. Un recours intensif aux bombes lacrymogènes par les policiers était déterminant dans le traitement de la situation qui s'est provisoirement calmée. Jugée par des observateurs et analyses politiques locaux comme la plus aigüe après la révolution de 2011, la crise actuelle qui secoue la Tunisie semble renvoyer le processus transitoire à sa case départ. Du côté du gouvernement, un éventuel remaniement ministériel, l'élaboration d'une feuille de route consensuelle ainsi que des sacrifices au sommet du pouvoir restent toujours des résolutions évocables à condition que l'opposition cherche et opère de nature à atténuer les tensions.

 Une option qui semble être peu appréciée par une majorité des partis opposants (à l'Assemblée comme ailleurs) forts d’un relatif appui populaire : en effet, l’opposition ne cesse de confirmer avoir perdu totalement la confiance en la compétence voire même la capacité de l’actuel gouvernement dirigé par les islamistes du parti Ennahdha et ses deux alliés (Congrès pour la République et Forum démocratique pour le Travail et les Libertés) à diriger le pays.