Paris (© 2025 Afriquinfos)- Adepte des déclarations tapageuses, n’hésitant pas à s’immiscer dans les politiques intérieures de ses adversaires comme de ses alliés pour user de sa «diplomatie transactionnelle», euphémisme poli pour décrire la stratégie du bras de fer qu’il emploie systématiquement dans sa conduite des relations internationales, Donald J. Trump s’en est pris cette fois à l’Afrique du Sud. Accusée de vouloir confisquer des terres et de traiter très mal certaines catégories de personnes (sic) à travers son projet de loi visant à corriger les inégalités foncières héritées de l’apartheid.
En conséquence, Donald J. Trump a ordonné la suspension des financements destinés à ce pays (soit environ 700 millions USD), le temps qu’une enquête complète soit menée au sujet de la loi, promulguée fin janvier 2025, permettant au Gouvernement de décider d’expropriations sans compensation.
Contrairement à certains autres pays occidentaux, comme par ailleurs certaines Administrations américaines précédentes, il ne faut cependant pas considérer que D. Trump se sente réellement concerné par le sort de quelques propriétaires fonciers blancs ou encore moins par un sens aigu de la Justice sociale ou de la gouvernance et du respect de l’Etat de droit. Trump n’est pas un donneur de leçon se revendiquant comme garant de valeurs universelles. En revanche, il sait exploiter les failles réelles ou communicationnelles des autres pays au profit d’un agenda américain multidimensionnel.
Dans le cas présent, l’enjeu est quadruple. Sur le plan de la politique intérieure, il agite un sujet dont il sait qu’il raffermit sa relation avec son principal allié dans le monde économique et médiatique, Elon Musk. Ce dernier est né et a grandi en Afrique du Sud, au sein d’une famille de propriétaires immobiliers et miniers qui ont été durement touchés par l’arrivée au pouvoir de l’ANC le 27 avril 1994.
C’est donc un sujet personnel et il n’a d’ailleurs pas tardé à apporter son soutien à la décision du Président Trump. Et ce n’est pas le seul; deux autres magnats de la Silicon Valley, soutiens-clés de Donald Trump, membres de son premier cercle, en sont natifs (David Sacks) ou y ont vécu pendant leur enfance ( Peter Theil).
Sur le plan économique également, l’Afrique du Sud affiche une balance excédentaire de 4 milliards de dollars avec les USA, péché mortel aux yeux de Trump qui a fait de la réduction du déficit commercial américain un pilier du MAGA (Make America Great Again). Or, la loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique (AGOA) qui offre un accès en franchise de droits au marché US pour certains produits des pays d’Afrique subsaharienne éligibles, et dont bénéficie l’Afrique du Sud, arrive à échéance cette année 2025.
Et n’a pas encore été renouvelée pour l’instant. Il est à prévoir qu’elle ne le sera pas, mais fera plutôt l’objet d’une reconfiguration en accords bilatéraux, préférés par Trump car plus efficaces pour imposer ses conditions. Dans cette optique, les financements suspendus serviront de levier pour obtenir de la part de l’Afrique du Sud des engagements commerciaux dans le cadre du futur accord, sans perdre de vue le domaine de la coopération militaire dans lequel les liens historiques (de Pretoria) avec la Russie constituent une autre pierre d’achoppement.
Cette mesure punitive doit également se lire à l’aune du soutien de l’Afrique du Sud à la cause palestinienne, et en particulier à l’action intentée contre Israël devant la CIJ (Cour Internationale de Justice), l’accusant de mener un génocide à Gaza.
Fer de lance de la défense palestinienne en Afrique, porte-parole de plus en plus affirmé du (prétendu) «Sud Global», refusant de condamner la Russie ou de rompre ses liens diplomatiques avec l’Iran, sa position diplomatique gêne et agace, au point d’avoir été accusée par le Wall Street Journal d’avoir rejoint l’axe anti-américain.
Mais l’ANC n’est plus seule au pouvoir désormais, obligée de cohabiter avec une dizaine de partis dont l’Alliance Démocratique, son principal allié, plutôt sur une ligne pro-occidentale. Sous la pression d’un Gouvernement américain plus offensif, l’Administration américaine pourrait bénéficier de dissensions internes afin de l’amener à modérer ses velléités multipolaires.
Il y a enfin le contexte régional. L’Afrique du Sud, membre de la SADC, est déployée à l’est de la République Démocratique du Congo au sein de la Force multinationale SAMIDRC. Les derniers combats lui ont valu de perdre 13 hommes et d’être accusée par le Rwanda d’être une force belligérante, après que le Président Cyril Ramaphosa ait accusé ce dernier d’être responsable de la mort des soldats de la paix.
Cette escalade verbale entre les deux pays fait craindre un embrasement régional, chacun des deux Etats rivalisant de formules expliquant que l’autre cherche la guerre et que lui ne la craint pas. Les Etats-Unis, allié historique du Rwanda (même si l’Administration Biden avait essayé de faire pression sur Kagame afin qu’il retire son soutien au M23), tout en cherchant probablement la désescalade, ont saisi ce moment pour manifester en creux leur soutien à Kigali.
Ainsi, la politisation des financements de la Société Financière de Développement International (DFC) est l’illustration du phénomène des petites causes conduisant aux grands effets. Et Trump manie ce type de levier comme aucun autre, si ce n’est V. Poutine et Xi Jinping dans leurs zones d’influence respective néanmoins.
Les dirigeants africains vont donc vivre quatre années d’âpres négociations et de chantages avec les trois puissances les plus investies sur le continent (USA, Russie, Chine). Pour inverser ce rapport de force, il ne semble pas exister beaucoup de voies: renforcer l’intégration régionale et continentale pour en faire le cadre de référence des échanges, et ironie de l’histoire, peut-être se rapprocher des pays qui défendent encore, bien que pétris de contradictions funestes, la concertation et le développement coopératifs: la vieille Europe.
Afriquinfos