Sort de 5 ministres de Macky Sall entre les mains de la Haute Cour de justice

Afriquinfos Editeur
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Une séance du Parlement sénégalais à Dakar le 21 février 2025.

L’Assemblée Nationale du Sénégal a adopté dans la soirée du 08 mai 2025 des résolutions renvoyant cinq ministres de l’ex-Président Macky Sall devant une Cour spéciale pour des détournements d’un Fonds anti-Covid-19, lors d’une procédure rare dans ce pays d’Afrique de l’Ouest habitué désormais à l’alternance politique.

Photo du Gouvernement du Président Macky Sall le 10 avril 2019 à Dakar, fournie par la Présidence sénégalaise.

Les débats ont duré plus de neuf heures sur une question qui suscite un vif intérêt dans le pays. L’Assemblée est largement contrôlée par le parti du Président Bassirou Diomaye Faye, élu en mars 2024 et qui a promis de lutter contre la corruption dans le pays. Son régime a lancé diverses enquêtes contre des responsables de l’Administration précédente, celle de l’ex-Président Macky Sall (2012-2024).

Les cinq ex-ministres concernés au moment des faits sont Amadou Mansour Faye (Développement communautaire), également beau-frère de l’ex-Président, Aïssatou Sophie Gladima (Mines), Moustapha Diop (Développement industriel), Salimata Diop (Femmes) et Ismaïla Madior Fall (Justice). Après le vote des résolutions de mise en accusation et leur transmission attendue à la justice, ces ex-ministres doivent être entendus par la Commission d’instruction de la Haute Cour de justice qui décidera de leur renvoi ou non en procès devant cette juridiction, sans appel ni recours.

Les cinq projets de résolution les concernant ont été adoptés par la majorité des députés votants. « Des gens qui se sont servis sur l’argent destiné à sauver des vies humaines, à soulager les souffrances (des malades). Ils en ont profité pour s’enrichir », a fustigé le député du pouvoir Babacar Ndiaye. La députée de l’opposition Aïssata Tall Sall a de son côté dénoncé une procédure dans laquelle « l’Assemblée nationale est le procureur » pour aboutir à « une juridiction d’exception », sans appel, la Haute Cour. Elle a exhorté au respect de la présomption d’innocence pour « des ministres qui ont servi la République et qui étaient rigoureux dans leur sacerdoce ».

– « Présomptions graves » –

Le premier dossier examiné a été celui de Moustapha Diop sur qui « pèsent des présomptions graves de détournements de deniers publics », selon un rapport parlementaire. Lui sont reprochées des dépenses de 2,5 milliards de francs CFA (3,8 millions d’euros) en liquide pour produire des masques, « une violation » des règles comptables, selon le rapport. L’ex-ministre Faye est quant à lui soupçonné de « complicité de détournement de deniers publics » après des dépenses d' »un surplus global de 2,7 milliards de FCFA » (4,1 millions d’euros) dans des achats de riz.

Son ex-collègue, Mme Gladima, doit de son côté justifier plus de 193 millions de CFA (294.220 euros) dépensés pour la construction d’un « Centre gravimétrique pour les orpailleurs impactés » par la Covid-19. Ismaïla Madior Fall est lui mis en cause pour « corruption et concussion » après des accusations d’un promoteur immobilier. Ce dernier affirme qu’il lui a demandé 250 millions de FCFA (381.120 euros) pour lui attribuer un marché. Le promoteur assure avoir versé « un acompte de 50 millions » sur cette somme, avant l’annulation du marché conclu, ce que M. Fall a démenti.

De son côté, Salimata Diop doit justifier de dépenses de plus de 57 millions de FCFA (87.000 euros). La Haute Cour de justice, présidée par le président de la Cour suprême, est habilitée à juger les Présidents et membres du Gouvernement pour des délits et crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Les poursuites contre d’anciens ministres dans l’exercice de leurs fonctions doivent être autorisées par les députés, et leurs dossiers avaient été transmis à l’Assemblée par le ministère de la Justice.

Plusieurs personnalités, parmi lesquelles des artistes, animateurs, stylistes ou des hauts fonctionnaires, ont ces derniers jours été interrogés au Sénégal dans le cadre des enquêtes sur le fonds anti-Covid-19. L’opposition dénonce une « chasse aux sorcières » et un « acharnement » contre l’ancien pouvoir. Le Fonds anti-Covid-19, financé par l’Etat du Sénégal et des bailleurs, avait été abondé à hauteur de 1.000 milliards de FCFA (1,5 milliard d’euros) pour renforcer le système sanitaire, soutenir les ménages et le secteur privé et maintenir les emplois.

Dans un rapport d’audit publié en décembre 2022, la Cour des comptes a relevé des irrégularités dans la gestion de ce Fonds, liées à des surfacturations dans l’achat de riz destiné aux ménages défavorisés et pour l’acquisition de gel hydro-alcoolique. La Cour spéciale n’a été active qu’à deux reprises dans l’histoire du Sénégal depuis son indépendance, en 1963 et en 2005.

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