Abidjan (© 2024 Afriquinfos)- Dans l’ombre des plus grands hommes politiques de notre siècle, certaines femmes ont joué un rôle déterminant. À la fois comme confidente, conseillère et parfois même comme dirigeante de l’ombre.
De Leïla Ben Hassen, Sylvia Bongo ou encore Simone Ehivet Gbagbo, ces femmes, aussi mystérieuses que puissantes, ont chacune laissé une empreinte unique sur l’histoire de leur pays. Souvent sujettes à de nombreuses controverses, elles ont exercé une influence majeure, tragique ou non, sur les évènements politiques qui ont contribué à façonner leur pays. Quels ont été leur rôle, leurs ambitions, et quelles ont été les conséquences de leur présence dans l’arène politique de leur État ?
Leïla Ben Ali : d’esthéticienne à « reine de Carthage »

Leïla Ben Ali rencontre celui qui deviendra son époux alors qu’elle était esthéticienne de formation. Née dans une famille modeste en 1956 à Tunis, elle a gravi les échelons de la société grâce à son mariage en 1992 avec feu Zine el-Abidine Ben Ali, devenant ainsi, Première Dame de Tunisie.
Cette union a profondément transformé sa vie et l’a placée au cœur du pouvoir tunisien. Si au départ, son rôle semblait se limiter aux apparitions publiques et aux œuvres caritatives, il est rapidement apparu que Leïla Ben Ali jouait un rôle bien plus influent, en particulier dans le domaine économique. Surnommée « la reine de Carthage » en référence à son emprise présumée sur le pouvoir, l’ancienne Première Dame de Tunisie s’est retrouvée au centre de nombreuses controverses. Elle était notamment critiquée pour son implication directe dans l’appareil étatique de corruption en Tunisie, surtout pour avoir placé des membres de sa famille, les Trabelsi, à des postes-clé dans l’économie tunisienne.
Sous son influence, des pans entiers de l’économie, allant des télécommunications au secteur bancaire, sont passés sous le contrôle des Trabelsi, provoquant le mécontentement d’une grande partie de la population.
Le camp Trabelsi est alors perçu comme avide et sans scrupules, accumulant les richesses à un rythme effréné au mépris des lois et institutions. Leila a elle-même été accusée d’avoir détourné d’importantes sommes d’argent et d’avoir fait main basse sur des biens immobiliers de premier plan. Sa réputation de gestionnaire des richesses du pays dans l’intérêt de sa famille a largement contribué à alimenter la colère populaire à l’égard du régime de Ben Ali.
Le mécontentement grandissant contre le régime Ben Ali et la corruption ont atteint leur paroxysme lors de la révolution de décembre 2010 et janvier 2011. Ce mouvement populaire déclenché par l’immolation de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de rue harcelé par les autorités locales, a mis en lumière l’exaspération d’une population soumise à des décennies de répression, de chômage et de corruption. La révolte s’est transformée en un mouvement national de contestation contre Ben Ali, Leila Ben Ali et l’ensemble du système qu’ils incarnaient.
Face à la pression de la rue, Ben Ali et Leila ont été contraints de fuir la Tunisie le 14 janvier 2011. Une fuite qui les a conduits en Arabie Saoudite où ils ont trouvé refuge. L’exil de Leïla Ben Ali en Arabie Saoudite a marqué la fin d’une ère pour la Tunisie, mais également inauguré une nouvelle vie pour Leila loin du pouvoir ! Depuis leur départ précipité de la Tunisie, de nombreuses enquêtes ont été ouvertes en interne et à l’international pour faire la lumière sur les affaires de corruption et de détournement de fonds qui entourent le couple présidentiel. Les autorités tunisiennes ont émis plusieurs mandats internationaux à l’encontre de Mme Ben Ali et des membres de sa famille, bien que ces démarches n’aient jamais abouti à son extradition.
Leila Ben Ali reste à ce jour une figure controversée, associée à la chute brutale de son mari début 2011, et à la corruption qui gangrenait le régime tunisien. Bien qu’elle se soit faite discrète depuis son exil, son nom continue de symboliser les excès d’un pouvoir qui s’est éloigné de son peuple, entraînant sa propre ruine.
Sylvia Bongo Ondimba, de la Présidence à la prison

En 2009, les Gabonais assistaient à l’investiture de leur nouveau Président, Ali Bongo Ondimba, fils de feu Président Omar Bongo qui avait dirigé son pays pendant 42 ans sans interruption. Ali Bongo Ondimba aura gouverné le Gabon durant 14 années, avec à ses côtés, Sylvia Bongo Ondimba, son épouse Française. Ensemble, ils ont trois enfants: Noureddin, Jalil et Bilal.
Critiquée avec véhémence par les Gabonais pour diverses raisons, Sylvia Bongo n’était pas, à leurs yeux, la Première Dame idéale. Ils auraient préféré «une fille du pays» comme Première Dame en lieu et place d’une expatriée qui n’aura jamais épousé les valeurs de la société gabonaise, à leurs yeux.
En dépit de ces inimitiés, Sylvia Bongo s’est efforcée de bien jouer son rôle de Première Dame. Elle a créé en 2011 une Fondation dénommée «Fondation Sylvia Bongo Ondimba pour la Famille». Ses actions en faveur des veuves et des enfants ont reçu l’assentiment d’une partie des Gabonais.
En 2018, Ali Bongo Ondimba est victime d’un AVC. Avec un mari très affaibli par les séquelles de cet AVC, Sylvia devient régulièrement la cible, avec son fils Noureddin, d’accusations de l’Opposition et de la Société civile gabonaises, de «manipulation» du Président Ali Bongo Ondimba.
Pour ne pas arranger les choses, Pascaline Bongo, sœur d’Ali Bongo et belle-sœur de Sylvia, l’a tenue responsable des divisions du clan Bongo et de son isolement de la scène politique, ainsi que de certains des proches collaborateurs du Président gabonais.
Pascaline Bongo soutient davantage que Sylvia aurait orchestré l’éloignement progressif de son frère (Ali) de plusieurs membres de la famille nucléaire dont sa mère, la célèbre Patience Dabany. En outre, l’ascension de Sylvia au sommet du pouvoir sous le manteau de Première Dame du pays a longtemps été associée à la «corruption et à l’enrichissement personnel». Elle est apparue comme une des pièces centrales dans l’affaire des biens mal acquis de son époux. Des voitures de luxes aux fastueux appartements parisiens, tout était réuni pour maintenir le couple présidentiel loin des réalités de son peuple.
Dans ce climat tendu, Ali Bongo est annoncé vainqueur de la présidentielle d’août 2023. C’est le mandat de trop ! Un groupe d’officiers s’empare du pouvoir via «un coup d’éclat» et place Ali Bongo en résidence surveillée, mettant ainsi fin à l’ère des Bongo. C’est la descente aux enfers pour Sylvia. L’ex Première Dame sera inculpée pour «blanchiment d’argent, faux et usage de faux» et incarcérée à la Prison centrale de Libreville.
Avec son fils Noureddin, Sylvia est aussi au cœur d’une enquête de détournement d’argent public. «La Première Dame et son fils ont gaspillé le pouvoir d’Ali Bongo, affirmait le Général Brice C. Oligui Nguema, parce que, depuis son AVC, ils ont falsifié la signature du Président, ils donnaient des ordres à sa place en plus du blanchiment d’argent et de la corruption auxquels ils s’adonnaient». Sylva est ainsi devenue, malgré elle, le symbole de la déchéance de l’ère Bongo.
Simone Gbagbo: la Winnie Mandela ivoirienne

Surnommée par certains la dame de fer, comparée par d’autres à Hillary Clinton ou encore Winnie Mandela, Simone Ehivet Gbagbo est une intellectuelle militante, cofondatrice du parti FPI (Front Populaire Ivoirien). Au cours de sa vie politique, elle ne cherchera pas à se départir d’une casquette pour une autre. Durant 32 années, elle s’est tenue aux côtés de son ex-mari, le Président Laurent Gbagbo.
Ils se sont rencontrés dans les années 70, lors d’un mouvement de grève d’enseignants. Laurent est séduit par la fougue de cette élève brillante de l’Ecole normale supérieure. Un tempérament qu’elle s’est forgée dès sa jeunesse au sein de la JEC (Jeunesse Estudiantine Catholique) dont elle dirige la branche féminine de 1966 à 1970. En 1982, elle a fondé dans la clandestinité le Front Populaire Ivoirien qu’elle a dirigé avec son époux Laurent Gbagbo. Les années 90 se révèlent assez dures pour Simone qui se retrouve au cœur des revendications du multipartisme. Avec son mari, ils sont plusieurs fois arrêtés, tabassés.
Historienne, Docteur 3è cycle en Littérature orale, chercheur en linguistique appliquée, l’influence en politique de Simone ne fait aucun doute. Elue députée de la Commune d’Abobo en 1996, elle devient Première Dame le 26 octobre 2000, quand Gbagbo accède au pouvoir au terme d’une élection non inclusive.
Contrairement à d’autres épouses de Président sur le continent, Simone ne s’est jamais contentée d’actions sociales et caritatives. Elle assumera pleinement son rôle de députée et de présidente du groupe parlementaire FPI à l’Assemblée nationale. Elle a géré en outre les relations de son mari, et donnait son avis sur toutes les grandes décisions du pays.
Son influence au sein de l’appareil du pouvoir et sur le Président est alors très critiquée par ses détracteurs. Et même si Laurent, au cours d’interviews, a toujours rappelé «qu’il est le seul à prendre les grandes décisions», personne n’y croit vraiment.
C’est donc en toute conscience que cette mère de cinq enfants se tient aux côtés de son mari lors de son investiture controversée du 04 décembre 2010.
Lors de la crise post-électorale de 2010, Simone Gbagbo a multiplié des meetings alors que son mari, sous pression de la communauté internationale, se faisait de plus en plus rare. Elle réussit ainsi à mobiliser plus de 5.000 sympathisants lors de son dernier grand meeting à Treichville, dans le sud d’Abidjan. Des sorties au cours desquelles elle n’hésitait pas à s’attaquer ouvertement à la France et aux Nations Unies, «taxées de soutenir le Président Alassane Ouattara».
Alors que les combats se rapprochent d’Abidjan début 2011, Simone reste auprès de son époux, dans un ‘bunker’ du Palais présidentiel, et sera capturée avec ce dernier.
Le 18 août 2011, Simone sera inculpée et placée en détention préventive pour «vol aggravé, détournement de fonds publics, pillages et atteinte à l’économie nationale». Le 22 novembre 2012, la CPI lança un mandat d’arrêt international à son encontre pour «crimes contre l’humanité commis pendant la crise postélectorale». La Côte d’Ivoire décidera finalement de la juger, et elle sera condamnée à «20 ans de prison» à l’issue d’un procès expéditif jugé partisan par ses proches ! Simone Ehivet Gbagbo passera sept (07) ans en prison.
Aujourd’hui, Simone est une femme divorcée de son époux Laurent qui a été pendant plus de trois décennies un compagnon de lutte avec qui elle a gagné bien de combats. Adulée par certains et critiquée par d’autres, elle reste une figure emblématique du paysage politique ivoirien.
Victorine LENGA