Abidjan (© 2024 Afriquinfos)- Spoiler: dans certains cas, la vieillesse est un naufrage. Toujours absent des listes électorales, et par conséquent inéligible à l’élection présidentielle de 2025, l’ancien Président Laurent Gbagbo cherche manifestement à imposer son retour. Après un appel de Bonoua qui n’a pas porté les fruits escomptés, il s’est livré à un exercice de commentaires de la vie politique ivoirienne et internationale, qui au-delà de la (sa) forme, interpelle sur le fond, tant il déforme et manipule la réalité en une heure d’entretien.
De son côté, Alain Foka a lancé sa plate-forme d’information ‘AFOMédia’ et son think tank panafricain ‘MANSSAH’ avec pour l’objectif méritoire de repenser l’Afrique et de créer son propre narratif «sans complaisance et sans condescendance». Il est vrai que dans un paysage médiatique africain dominé par les canaux d’information internationaux et les publications élitistes et promotionnelles, une telle ambition est sur le papier salutaire, en comblant un vide désastreux pour la défense des intérêts du continent.
Las, à la vue de l’entretien, on se demande où se trouve le nouveau narratif, entre poncifs éculés, contre-vérités non démenties et analogies historiques douteuses, et où se situe la rupture tant l’absence de contradiction voire la complicité affichée entre les dialogueurs heurtent le sens critique.
Surtout les deux hommes semblent oublier un principe fondamental en matière de manipulation de l’histoire: celle-ci résiste mal à l’analyse lorsqu’il subsiste des contemporains des événements utilisés. Commençons par le, mal-nommé il est vrai, «braquage de la BCEAO d’Abidjan». Pour l’ancien Président, accompagné par la complaisance de son interlocuteur, cette accusation serait dans le fond liée à sa décision de nationaliser les banques étrangères lors de la crise post-électorale, après que celles-ci eurent décidé de fermer leurs établissements du fait des conditions de sécurité et surtout de l’exclusion de la Côte d’Ivoire du système UEMOA, décidée par l’ensemble des pays de la région.
Or, cette décision est intervenue le 18 février 2011, par ailleurs loin donc de la fin du mois évoquée dans l’entretien. Pourtant, lorsque les troupes militaires pro-Gbagbo ont forcé les portes de la BCEAO, nous étions le mercredi 26 janvier… Cet événement est donc antérieur, et en fait consécutif à la démission forcée du Gouverneur en exercice de la Banque lors du Sommet des Chefs d’Etat de l’UEMOA, sous pression depuis qu’il avait refusé reconnaître, contrairement aux instructions reçues par son siège, la seule signature du Président Alassane Ouattara comme valable pour engager des dépenses. Mais admettons que leur mémoire ait pu flancher.
Plus grave est cependant la tentative de réécriture de l’histoire quant aux résultats de l’élection de 2010, sur base des révélations d’un affairiste du microcosme politique français dont on se demande quel est l’agenda, compte tenu des coups tordus et de l’absence totale de morale dont il a fait preuve tout au long de sa carrière.
En plus d’être une contre-vérité historique patente, elle est surtout de nature à rallumer les braises d’un conflit qui n’est pas encore totalement soldé, à distendre une communauté nationale dont la réconciliation reste fragile. C’est donc une faute politique majeure contre son pays et ses concitoyens. Rappelons aussi à M. Foka que le minimum eut été de répliquer que la CEDEAO ainsi que les Nations Unies avaient reconnu dès le mois de décembre 2010 la victoire d’Alassane Ouattara dont il remet pourtant en cause la légitimité avec une légèreté de maquisard.
Néanmoins, on pourrait sous le couvert du cynisme politique expliquer les positions prises par Laurent Gbagbo sur le plan ivoirien. Là où s’illustre toute sa déliquescence intellectuelle réside principalement dans la seconde partie de l’entretien, sur le plan de l’analyse internationale.
Passe encore d’accuser d’inaction la CEDEAO sur les dossiers sensibles, tout en reconnaissant finalement en creux qu’en dix ans à la tête d’un pays «qui n’est pas rien» (merci pour les autres) dans cette organisation, il a été incapable de pousser à sa réforme pour la rendre plus efficace et la doter des moyens nécessaires.
Passe également à l’inverse, de lui reprocher ses tentatives d’actions contre les régimes issus des coups d’Etat au Sahel, pour accuser l’influence de la France. Rappelons ici que le budget de la CEDEAO est en très grande partie financé par le prélèvement communautaire, une taxe de 0,5% imposé sur les marchandises importées, et donc in fine par le consommateur de ces pays et non par l’aide extérieure. Il solde là ses comptes avec une institution qui a soutenu son adversaire lors de la crise de 2010.

Plus pathétique est en revanche, venant d’un ancien Chef d’Etat et professeur d’histoire de surcroît, la négation des trajectoires politiques particulières des pays qu’il semble ranger tous sous le statut de coup d’Etat, justifiant par la même occasion de ne pas s’émouvoir qu’un pouvoir civil élu soit remplacé par les armes par des régimes militaires.
Son confusionnisme porte ensuite sur la guerre russo-ukrainienne comparée à la crise des missiles de Cuba de 1962 (et non M. Foka, la baie des cochons a eu lieu en 1961…). Il ne semble pourtant pas que des missiles nucléaires aient été installés en Ukraine avant son invasion (chose qui serait de toute façon inutile, compte tenu de la portée actuelle desdits missiles).
Et si la justification réelle était l’expansion de l’OTAN, pourquoi la Russie n’a-t-elle pas précédemment envahi les pays Baltes, ou la Turquie? Ou encore la Finlande qui du fait de l’invasion de l’Ukraine, a depuis abandonné sa position de neutralité historique pour intégrer l’OTAN en avril 2023 ?
S’ensuit un festival où la Bible devient un livre de géopolitique et de diplomatie, où le plan de partition de la Palestine mandataire de 1947 n’a pas existé, où l’ONU est responsable de la conduite politique des Etats (avec néanmoins un trop rare un éclair de lucidité: «On ne peut pas condamner un peuple à l’errance»).
Que dire enfin de ses gestes sous-entendus pour expliquer son désintérêt de l’Organisation de la Francophonie? Si c’est effectivement révélateur de son niveau d’analyse, cela n’est pas à la hauteur d’un Chef d’Etat.
C’est d’autant plus regrettable car ses défaillances idéologiques, ses arrangements avec la vérité noient des sujets qu’il évoque et qui auraient mérité qu’on ait envie de l’écouter plus attentivement: le financement de la vie politique française (même si le sujet est déjà bien connu), l’absence d’action de la Justice internationale sur l’ensemble de la guerre civile ivoirienne, les enjeux de l’organisation du scrutin de 2025. Ou encore la nécessaire réflexion sur le financement des organisations continentales, et en particulier l’Union Africaine.
Peut-être néanmoins est-ce encore une manœuvre de ce caméléon politique qui espère qu’en épousant ce qu’il pense être les idées à la mode dans une partie des sociétés civiles africaines, il recevra un soutien populaire qui contraindra le pouvoir ivoirien à lui permettre de se présenter.
A l’écoute de l’entretien, il reste malheureusement surtout l’impression d’une décadence intellectuelle. Souhaitons-lui de ne pas y ajouter la déchéance morale.
Afriquinfos