COTONOU (© 2025 Afriquinfos)- Le samedi 21 juin 2025, sous le soleil du solstice, une dizaine de danseurs se sont réunis à l’EITB (Ecole internationale de théâtre du Bénin) pour un événement aussi silencieux qu’universel. Pendant quatre heures d’horloge, ils ont exploré la communication par le corps à travers l’Underscore, une pratique de danse improvisée en groupe née aux Etats-Unis en 1990. En synchronie avec le monde entier, le Bénin, pour la première fois, vient ainsi de rejoindre cette pléiade de mouvements partagés.

Sous un soleil tiède en harmonie avec les tumultueux ressacs de la mer de Togbin, les corps s’expriment en silence. Sans introduction verbale, les danseurs taiseux marchent, s’immobilisent un instant, s’ouvrent progressivement, explorent la douce présence des autres et s’ajustent aux mouvements parfois solitaires et collectifs. Une danse libre avec ou sans contact pour improviser une relation fluide.
L’Underscore s’introduit ainsi sur le sol béninois, inscrivant le pays sur la carte mondiale du mouvement. En Afrique noire, le Bénin est donc le premier à accueillir cet événement organisé au plan national par Franck Waille, un Français en visite à Cotonou, à travers Lagos où il a travaillé. «Le Bénin, je ne l’ai pas choisi consciemment», confesse-t-il. Ajoutant que «ce n’est peut-être pas un hasard».
Franck Waille a enseigné pendant environ un mois au groupe ‘’Trait d’Union’’ du Centre chorégraphique ‘’Multicorps’’, sis à Cotonou. Il a fait expérimenter à ses apprenants une façon de danser sans chorégraphie prédéfinie. Au même moment, 92 autres groupes (France, Russie, Portugal, Etats-Unis, etc.) entourant la Terre participaient à l’expérience. Suivant la boussole, les danseurs béninois ont fait face, au début, à la Malaisie. Ils ont synchronisé avec Porto Rico à la fin de la danse.
«C’est une première expérience pour moi. Avec mes collègues, on dansait déjà au Centre; en se retrouvant ailleurs, on partage quelque chose de différent. L’énergie de chacun et celle de la Nature, mariées avec l’énergie des autres dans le monde, cela crée quelque chose de génial que j’aime beaucoup», a partagé Hippolyte Tchokponhoué, danseur béninois très ému d’avoir «vécu ce bon moment» de connexion profonde.
Olivia Padonou, elle aussi danseuse et agent de voyage, a bien profité de la pratique. «J’aurais aimé que ça dure plus. J’ai quand même hyper apprécié la connexion qu’il y avait entre nous. On a ressenti encore un resserrage de liens, un petit moment exquis. On sentait vraiment la présence de chacun, et c’est ce que j’ai beaucoup aimé. Personne n’a forcé un sourire, une blague, une danse ou un mouvement. Surtout à la fin, après une petite marche, on était tous debout face à Porto Rico tout comme si on venait d’atteindre un objectif commun. C’était significatif pour moi» !
L’Underscore, un langage sans mots
L’Underscore est une structure de danse improvisée en groupe développée par la danseuse américaine Nancy Stark Smith (1952-2020). Ancienne collaboratrice de Steve Paxton, le fondateur de la ‘’Contact improvisation’’ (1970), elle a contribué à la diffusion de la pratique dont elle est devenue pionnière mondiale dès 1990, grâce à ses performances, enseignements et écrits.
Si la pratique elle-même a 35 ans, Global Underscore, la danse coordonnée à travers le monde souffle ses 25 bougies en 2025.
Elle se déroule tous les 21 juin (ou parfois le 20 juin), au solstice d’été, jour considéré comme le plus long avec la nuit la plus courte de l’année dans l’hémisphère Nord. Silence, attention, écoute, contact et mouvements libres caractérisent cette pratique qui dure généralement entre 3 et 4 heures d’horloge en quatre étapes-clés. Il s’agit de l’introduction verbale, l’exploration libre et sensible, le contact et la clôture.
Hortense Roques, en stage au Centre ‘’Multicorps’’ à Cotonou, a observé les danseurs tout au long de la soirée de l’Underscore Bénin. «Une chose particulière retient mon attention. Ce sont les effets du hasard où il y a des mouvements de chaque danseur ou danseuse qui se répondent alors qu’ils ne sont pas du tout en lien. Si on met en perspective tous les autres lieux où c’est en train de se faire, ça peut être aussi assez étonnant. Le souvenir que ça me laisse, c’est la lumière post-apocalyptique d’aujourd’hui sur les danseurs où on entend le bruit des vagues et le bruit de leur respiration. Cela, c’est beau», a-t-elle partagé, très souriante.
L’Underscore reconnecte le danseur aux autres, mais d’abord à lui-même, à ses mémoires. «Quand j’étais seul et concentré dans mon improvisation, je suis rentré en moi-même et il y a quelques souvenirs du passé que j’ai remémorés. Avec eux, j’ai improvisé, même si j’en avais eu mal. Les autres m’ont aidé à pouvoir sortir ces choses que je n’arrivais pas à sortir depuis très longtemps», a rajouté Hippolyte Tchokponhoué.
Et après?
La danse s’est poursuivie dans la mer avant l’agape du soleil couchant. Une danse avec le monde sans le voir que d’esprit. «Je nage tous les jours, mais je n’avais jamais dansé avec les vagues. C’était vraiment génial», a apprécié Franck Waille, l’organisateur. Il quitte le Bénin bientôt, mais il espère prolonger l’expérience les années à venir.
Une expérience humaine qui tombe à pic dans un monde déchiré par les guerres et diverses crises. «Quand je vois cette danse, je sais que la paix dans le monde est possible. Ça, c’est vraiment le message d’espoir. En dansant, on s’amuse, mais je sais qu’on travaille ainsi pour la paix», résume Franck Waille.
Emmanuel M. Loconon