Vendredi dernier, le président de la République a effectué une visite laborieuse dans la banlieue pour vérifier l’état d’avancement des travaux de drainage et de pompage des eaux de pluie et des logements destinés aux sinistrées victimes des inondations.
Une telle initiative, même si elle n’est pas une panacée pour mettre fin à l’enfer des inondations, est très appréciée parce qu’elle dénote une empathie particulière du chef de l’Etat à l’endroit des populations sinistrées. Mais in fine, cette visite n’a pas eu le succès escompté parce qu’elle a été biaisée et détournée de son objectif initial.
Le président de la République, qui a préféré se rendre au Cices, à Grand-Yoff, Dalifort, Tivaouane Peulh et Niague, a annulé les étapes de Wakhinane Nimzatt, Djeddah Thiaroye Kao, Yembeul Nord et Sud, Diamaguène Diacksao, Sicap Mbao… des quartiers qui constituent le véritable épicentre des zones submergées par les eaux torrentielles, au motif que son précieux temps n’était pas suffisant pour parcourir l’ensemble de ces zones englouties sous les eaux stagnantes nauséabondes.
Mais cette fuite masquée du président des quartiers sensibles est due en vérité par la peur morbide d’être hué, accueilli avec des pancartes, des banderoles exprimant des messages de détresse déplaisants, ou d’être submergé par une déferlante de brassards rouges ou de projectiles.
Finalement Macky Sall a préféré, sur conseil de ses services secrets, limiter sa visite aux zones dans lesquelles des responsables apéristes ont fortement mobilisé de soi-disant militants payés pour applaudir et scander à tue-tête des slogans laudatifs.
Ainsi la visite a fini par prendre les allures politiciennes d’une véritable campagne électorale où le président debout dans sa rutilante voiture balançait avec un sourire banania les deux mains en signe de salutations à l’endroit de ces populations facétieusement surexcitées et transportées dans des cars « Ndiaga Ndiaye » et taxi clandos.
Une telle ferveur, un tel accueil chaleureux détonnaient avec la détresse des banlieusards victimes des inondations. On se croyait en pleine campagne électorale avec ces pancartes frappées de « Pour la réélection du président Macky en 2017 », « Un second mandat pour Macky » et autres slogans flagorneurs. Rien que la sape du président laissait croire que ce dernier n’avait pas l’intention de mettre ses pieds dans les eaux fangeuses ni de humer l’odeur fétide qui s’exhalait des eaux de pluies mélangées à celles des fosses septiques.
On ne comprend pas non plus pourquoi le chef de l’Etat, pour visiter les zones inondées, a déployé un dispositif sécuritaire qui n’a rien à envier à celui mis en place lors de la visite du président américain Barack Obama. Le camion lance-à-eau qui était du cortège présidentiel laissait croire à d’éventuelles émeutes.
Où est passée la sobriété qui est le leitmotiv du discours présidentiel ? Le sens et l’esprit de la visite présidentielle tranchaient avec cette armada sécuritaire déployée en banlieue. On ne peut avoir de l’empathie à l’endroit de compatriotes sinistrés en les intimidant avec un arsenal répressif aussi excessif.
Finalement, cette paranoïa sécuritaire a éloigné le président de « ses » populations souffrantes dont il voulait se rapprocher aux fins de compatir à leurs difficultés. A l’arrivée, ces dernières se sont rendu compte que la pseudo-empathie de la délégation présidentielle dissimulait mal une opération de charme et de reconquête d’un vivier électoral qui, chaque jour, à travers ses manifestations, ses sorties médiatiques, exprime son désamour à l’endroit de l’ex-candidat de Bennoo Bokk Yaakaar qu’il a grandement contribué à élire président de la République. La déchirure est béante, la fracture est abyssale entre le président et ses sinistrés.
Comme dans une pièce de théâtre où le scénariste conçoit à sa guise la trame et les différentes péripéties de son histoire, les zélateurs du président lui ont fait voir et entendre ce qu’il voulait bien voir et entendre. Ils ont mobilisé ceux qu’il voulait rencontrer.
Quand la dame Aminata Diallo, heureuse attributaire d’une maison à Tivaouane Peulh ostensiblement mise en gros plan par la Télévision nationale fond en larmes de bonheur en remerciant obséquieusement le président Sall qui l’a sauvée des eaux nauséabondes grâce sa générosité proverbiale, je pense tristement à cette autre dame habitante malheureuse de Boune éplorée montrée par Sen Tv et dont la charmante fillette de trois ans s’est noyée douloureusement dans le cours d’eau qui a pris place dans l’espace de sa maison menacée d’effondrement.
A regarder le reportage féérique de la télévision nationale sur la visite présidentielle qui a mis l’accent sur les 200 nouveaux logements attribués aux banlieusards victimes des inondations et sur les militants de fortune stipendiés pour applaudir et scander des slogans flatteurs, on croirait que tout va dans le meilleur des mondes possibles au Sénégal et que les eaux de pluies stagnantes ne sont que roupie de sansonnet.
La dernière image symbolisée par la dame de Boune, dure à voir, au moment où le président de la République s’enorgueillit d’un Sénégal hyper-liquide, reflète réellement la situation de détresse abyssale de la banlieue. Elle est l’expression d’une catégorie de souffre-douleur de la nation destinée à vivre éternellement les maux collés de manière congénitale aux banlieues. Cette image devait dessiller les yeux du président la République dont l’allergie à la critique et à la désapprobation l’empêche de mesurer la véritable température du calvaire que vivent les populations de la banlieue.
En cassant le thermomètre, on ne va pas baisser la fièvre qui gagne de plus en plus les populations miséreuses et souffreteuses des zones sinistrées. Au contraire, on ne fait que l’accroitre puisque les habitants des quartiers envahis ou engloutis par les eaux ont exprimé leur colère noire parce que considérant les propos du chef de l’Etat leur donnant rendez-vous sine die, comme une morgue et une indifférence notoires à leur souffrance.
Macky Sall qui a communié lors de la dernière campagne présidentielle avec les habitants de la banlieue pour solliciter leurs suffrages précieux afin de régler, une fois arrivé au pouvoir, leur problème primordial que sont les inondations, ne devait pas les fuir par crainte de les voir le huer ou le caillasser. Rien ne l’empêchait de prendre une semaine tout entière et de la consacrer à visiter toutes les zones sinistrées quand bien même des habitants desdites localités lui auraient vomi toute leur colère et insatisfaction de la gestion des inondations.
Il ne sert à rien au président, pour des raisons électoralistes, de jouer au deus ex machina et de s’engager dans des comparaisons futiles, stériles et débiles avec le régime précédent sur la somme des ouvrages réalisés pour lutter contre les inondations. La hantise de voir les eaux engloutir son rêve tenace et obsessionnel de réélection en 2017 ne doit pas le pousser à verser dans la surenchère de la démagogie et de s’engluer dans le fétichisme des chiffres.
La promesse d’ériger d’ici le mois d’octobre 1800 maisons pour reloger les sinistrés parait plus utopique que réaliste. Le Sénégal n’est pas le seul pays à être touché par la calamité des inondations. Il est même un nain comparé à ce qui se passe dans d’autres pays de la sous-région tels que le Niger et le Burkina Faso.
L’essentiel est de tenir un discours de vérité aux populations en détresse – qui ont leur part de responsabilité dans leur malheur – sur ce qui est possible de faire dans le temps et dans l’espace. Et non de se lancer dans une surenchère démagogique.
Serigne Saliou Guèye
« Le Témoin » N° 1135 –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2013)