Paris va sécuriser le dispositif de Keur Momar Sarr pour six milliards

Afriquinfos Editeur
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Dans quelques semaines, la France va remplacer la conduite défaillante et fournir par subvention non remboursable, six milliards FCFA pour l’acquisition d’une autre canalisation de sécurisation du dispositif de Keur Momar Sarr. Paris entend ainsi renforcer sa présence dans un secteur aussi stratégique que l’hydraulique. Suez Environnement, partenaire technique et sa filiale Degrémont seront son bras armé. Les ambitions de la SDE —adossée à FINAGESTION et à Suez — de prendre le secteur en concession dans cinq ans, retrouvent ainsi de la vigueur.

Après trois semaines de diète hydrique, les Dakarois ont enfin retrouvé l’agréable sensation d’entendre le bruit de l’eau couler des robinets. Mais pour certains quartiers hauts de Dakar, le calvaire continue. Les habitants de certains quartiers allant de Dieuppeul aux Almadies, en passant par les cités de la Foire, sont toujours à la quête du liquide précieux. La faible pression de l’eau les oblige à utiliser tous les expédients et toutes les techniques d’exhaure pour remplir leurs bassines, à des heures matinales ou tardives. Il s’y ajoute que, selon nos informations, la SDE, pour des raisons tout à fait compréhensibles, ne faisait fonctionner que les trois pompes de la station de KMS, les premiers jours de la reprise. Cette mise en service était donc progressive. Mais, depuis la fin de la semaine dernière, la quatrième pompe est en marche.  Le surpresseur de Mekhé, dont le débit dépasse les 6000 m3/ heure pour 22 heures de service est à plein régime. Ce qui laisse augurer, un bon état de service. Sauf …, Dieu nous en garde, un nouvel incident qui n’est pas impossible puisque que la conduite malade n’a été que rafistolée, nous assure un technicien.

Risques maîtrisés ou encadrés

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La réparation de la conduite semble bien tenir en tout cas. Son revêtement, solution provisoire, nous met, pour l’heure, à l’abri d’une nouvelle surprise. Il faut aussi espérer que le « cautère » mis sur la conduite DN 1200 victime d’une déchirure longitudinale et le redressement de la déformation subie par la conduite DN 800 sont suffisamment sécurisés pour que d’autres fuites ne surviennent. La SDE est assez experte dans l’exploitation pour prévenir de telles survenances. Mais les « risques maîtrisés » peuvent être trompeurs et conduire à des incidents d’exploitation, comme ce fut le cas le 12 septembre. Un bon manager doit savoir que le risque, entre autres définitions, c’est le devoir de prendre une décision devant l’incertitude. Un risque n’est jamais maîtrisé. Dans le cas échéant, il n’en serait pas un, puisque tous les paramètres sont maîtrisés. Un risque est encadré et fortement arrimé à ce qu’il est convenu d’appeler le principe de précaution.

On ne peut pas dire qu’en la circonstance, cette approche prudentielle ait été appliquée par les exploitants. Pour le reste, il faut, c’est vrai, dépasser le débat de « chiffonniers» qui consiste, pour l’entreprise française Degrémont, la SONES et la SDE à se jeter la responsabilité  de la casse à la figure. Chacun y a sa part de négligence, même si, force est de le reconnaître, c’est la thèse de l’incident d’exploitation qui est la plus reconnue. La SONES et la SDE ont mis en place un comité de pilotage commun de la crise, dirigé par un talentueux ingénieur de la société de patrimoine,  Conseiller Spécial. Une réunion récemment tenue à la SONES, avec les bailleurs de fonds, a permis de s’accorder et signer, après un bon repas, sur un protocole en six points qui, pour l’essentiel, permettra de sécuriser le service de l’eau.

 Les  informations parcellaires diffusées par notre confrère L’OBS n’ont levé qu’un coin du voile. A la SDE, on dément la paternité du document que le journaliste attribuait à des ingénieurs maison. Ce qui est du reste vrai, car on voit mal comment des agents travaillant pour la société d’exploitation, pourraient tirer des conclusions qui iraient à l’inverse de la position officielle de la Direction Générale de la SDE, mettant en cause la structure de la conduite, donc la SONES.

Dialogue de sourds

En réalité, ce document, dont nous avons copie, est l’œuvre d’un ingénieur impliqué dans le secteur et qui souhaite garder l’anonymat. Il s’est dit offusqué par ce traitement. Mais, c’est là une autre paire de manches. Cela dit, la SONES a pris les dispositions pour demander des comptes à Degrémont et, éventuellement, supporter les frais de la réparation et d’acquisition de la conduite. L’entreprise installatrice de la station ne l’entend de cette oreille. Le dialogue de sourds engagé entre la SONES et son fournisseur découle certainement de dysfonctionnements communicationnels entre les deux. A la SONES de prendre toutes les mesures pour dépasser cette phase antagonique et de prendre en charge réellement les problèmes d’alimentation en eau. C’est avec elle que l’Etat à signé un contrat de concession de trente ans et un contrat de performance, qui peine à être respecté.

Pour l’heure, tous les esprits sont braqués vers la conduite. La France a mis en selle ses ingénieurs que l’Agence Française de Développement a été chercher à Suez Environnement, le nouveau partenaire de FINAGESTION, propriétaire de la SDE. Une nouvelle conduite en acier devra remplacer la tôle actuelle, en délicatesse. Son coût est évalué, selon nos sources, à 50 millions de francs au plus. La SONES est déterminée à faire payer Degrémont, même si elle avance les premières sommes : 120 millions FCFA pour les deux premières semaines, une cinquantaine de millions pour les semaines d’après, et, probablement, une cinquantaine de millions pour l’achat d’une nouvelle conduite, selon les prévisions faites par un spécialiste. C’est là assurément un lourd fardeau pour une entreprise qui court derrière l’Etat pour des créances de 22 milliards FCFA, et la SDE, pour un reliquat de redevance de 1,7 milliard.

« Madame Courage »

Elle ne pourra en aucun y échapper, car c’est la SDE qui est le trésorier du secteur. Elle a la latitude de débourser quand elle veut ou peut, c’est selon sa trésorerie … et ses humeurs. La SONES compte surtout sur le règlement par croisement de dettes avec l’Etat pour s’en sortir. La directrice générale, surnommée « Madame Courage» entend tout déployer pour éviter la sombre passe des années 2010-2011, pendant lesquelles la SONES a failli mettre la clé sous le boisseau, asphyxiée financièrement par une créance abyssale de 32 milliards FCFA, avec un service de la dette de plus six milliards. N’eussent la main généreuse du vaillant ministre des Finances  d’alors, M. Abdoulaye Diop, et de la compétence des services financiers, le pire était à craindre. Les bailleurs de fonds, l’AFD et la BOAD avait déjà bloqué tous les financements de la SONES. Et la mainlevée a été cher payée.

Financièrement, ce n’est pas du côté de la SONES que la solution définitive va être trouvée. La prise en charge du dossier par le président  de la République a ceci d’intéressant qu’elle permet d’accélérer la solution. Après avoir contacté son homologue français, François Hollande, décidé à venir à la rescousse, le président de la République a obtenu le principe d’une sécurisation du dispositif de pompage et de transport de la station de Keur Momar Sarr. Une nouvelle conduite sera réalisée, pour servir de secours au dispositif actuel. Le montant de cette acquisition est fixé à 6 milliards de francs en … dons. La construction et la pose de la conduire devront prendre encore quelques semaines. Et désormais, Suez Environnement, un des candidats malheureux de l’appel d’offres pour choisir un repreneur stratégique en 1995, va servir de partenaire technique, puisque la SDE depuis qu’elle a été siphonnée par FINAGESTION, n’en avait plus. Elle n’était liée à Suez que pour des raisons commerciales. En effet, elle mettait à profit les avantages commerciaux des achats groupés de Suez pour bénéficier de l’effet d’échelle pour optimiser ses profits en minimisant ses charges d’exploitation.

La revanche de Suez

Voilà donc une belle revanche pour Suez, grand rival de SAUR, qui avait acquis le droit d’exploiter et distribuer l’eau au Sénégal, par l’entremise de la SDE. Il revient par la grande porte, alors que SAUR a disparu des tablettes.  Il est vrai que Suez a toutes les raisons de se méfier, depuis son désastre financier en Argentine dans les années 90. Une dévaluation de la monnaie locale lui avait fait perdre beaucoup d’argent, après une énorme perte de change. Cependant, ce retour en grâce confirme bien entendu la mainmise des Français sur un secteur stratégique du Sénégal. C’est pourquoi, la France tient au Sénégal  comme à la prunelle de ses yeux.  Surtout depuis que le terminal à conteneurs du Port de Dakar a échappé au Français Vincent Bolloré, au profit de Dubai Port Word (DPW).                                     

Dans quelques semaines, l’Etat devra confirmer ou non la reconduction du contrat de la SDE dont le principe est acquis. Entretemps, la crise de l’eau du mois dernier est passée par là. Il y a peu de chance que l’Etat revienne sur son engagement. La SDE a suffisamment d’atouts à faire prévaloir pour rester encore dans le secteur les cinq prochaines années. Les bailleurs de fonds (AFD,  BEI, Banque Mondiale…) avaient signé communément un document pour s’opposer à une reconduction automatique de ce contrat d’affermage. Ils ont quasiment imposé à l’Etat une période probatoire d’un an pour permettre à la SONES et à la SDE de négocier un accord, devant servir plus tard d’avenant. C’est qui fut fait. L’avenant n°6 donne à la société d’exploitation de nouvelles obligations en matière d’investissement à la SDE. Cette dernière se frotte les mains, car elle va renforcer sa position d’entreprise de travaux, en plus d’être un distributeur.

Ainsi tombe dans son escarcelle la réalisation de 6000 branchements sociaux, payés au prix du marché, sans appel d’offres, bien entendu. En monnaie sonnantes et trébuchantes, c’est près de cinq milliards de francs qu’elle va engranger et un monopole total sur les renouvellements de réseau au détriment des autres entreprises sénégalaises. En contrepartie, elle s’engagera à réaliser 60 km de réseau contre 17 km équivalent 100 km fonte, qu’elle avait dans les dispositions précédentes du contrat. Elle ne renonce pas non plus à ses grands projets d’investissement dans le dessalement de l’eau de mer, ou la réalisation de nouveaux forages, et même l’érection d’une troisième station à Keur Momar Sarr et, pourquoi pas ?, le doublement de la conduite Guéoul-Keur Momar.

Les atouts de la SDE 

La SDE a un triple atout : la compétence de ses ingénieurs, l’appui financier de FINAGESTION et l’appui technique de Suez Environnement. A ce rythme, on va tout droit vers la concession dont la conséquence immédiate est de rayer la SONES de la carte du pilotage de l’hydraulique. Mais à quels prix… En attendant,  tout le monde dans le secteur attend avec impatience les audits techniques de la panne et le diagnostic organisationnel, financier et social de la SONES. M. Diène Faye,  directeur de l’Hydraulique, est chargé d’en rédiger les termes de références. Aura-t-il le temps d’assister aux conclusions puisque la prolongation  de son contrat de fonctionnaire arrive à échéance en décembre. Très bienveillant envers lui,  le président Macky Sall le maintiendra t-il ne serait-ce-que pour lui permettre de finir sa glorieuse carrière comme ministre de l’Hydraulique, objet de ses rêves ? La SONES devra beaucoup surveiller les TDR du valeureux Diène qui, dès les premières heures de la crise, a imputé sans ménagement la responsabilité à la… SONES. Cette position impulsive incompréhensible pour un des régulateurs du secteur le disqualifie d’emblée et un ingénieur de talent le disqualifie pour cette tâche. De toute façon, la Banque Mondiale a flairé le coup et entend trouver une solution de substitution à ce parti-pris publiquement énoncé. Il se dit que les argentiers du monde, qui tiennent en grande estime la SONES, sont disposés à financer une étude indépendante, confiée à un cabinet indépendant, et qui ne cale pas avec son calendrier sur des rêves politiques.

Aly Samba NDIAYE

Le Témoin, hebdomadaire sénégalais
Édition N° 1140 (OCTOBRE 2013)