Bilan 2011 : Climat sociopolitique relativement stable en zone CEMAC

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Par Raphaël MVOGO

Excepté le Congo, la quasi-totalité des pays de cette région a organisé au moins une élection : présidentielle couplée avec les législatives le 23 janvier en République centrafricaine (RCA), présidentielle le 25 avril et le 8 mai et législatives le 20 février au Tchad, présidentielle le 9 octobre au Cameroun, référendum constitutionnel le 13 novembre en Guinée équatoriale puis législatives le 17 décembre au Gabon.

Directeur de l’Institut de gouvernance en Afrique centrale ( IGAC), organisme indépendant basé à Yaoundé, Cirille Nyeck a noté à Xinhua « un statu quo par rapport à 2010, du point de vue de ces différents rendez-vous électoraux, en termes du fait qu’il n’y a pas eu de conflit majeur qui ait émaillé la vie politique dans la sous-région pendant l’année 2011. Même si on a craint pour la paix sociale, à cause de la contestation pré et postélectorale observée « .

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C’est aussi, de l’avis de cet analyste, un statu quo du point carrément de la dynamique de renouvellement du personnel politique à la tête de l’Etat. « Les acteurs au pouvoir se sont presque tous comportés de la même manière, c’est-à-dire : verrouillage de la Constitution, verrouillage des organes chargés de la gestion des élections, mais aussi utilisation scandaleuse des ressources publiques en période électorale ».

Résultat : les pouvoirs en place, Paul Biya au Cameroun, Idriss Deby Itno au Tchad, François Bozizé en RCA, se sont maintenus en renforçant même leur domination. Mais, nuance Nyeck, « à la décharge des acteurs politiques du pouvoir, il faut peut-être dire que l’opposition n’a pas été en 2011 une vraie force capable de proposer une alternative crédible. Le premier indicateur, c’est le manque d’ingéniosité de la classe politique d’opposition en Afrique centrale ».

Du Cameroun au Gabon, au Congo en passant par la RCA, le Tchad ou la Guinée équatoriale, l’IGAC a réalisé un monitoring ayant débouché sur le constat que la classe politique n’a pas véritablement proposé en termes de contenu idéologique des solutions alternatives crédibles. « Pour ne prendre que le cas du Cameroun pendant l’élection présidentielle du 9 octobre 2011, souligne le chercheur, on est restés sur notre soif à l’écoute et à l’observation des entrepreneurs politiques désireux de conquérir la magistrature suprême ».

Cirille Nyeck est formel : « A l’écoute de leurs (acteurs de l’opposition) discours et de leurs propositions, on n’a absolument rien perçu d’absolument nouveau, capable de créer une adhésion populaire en termes d’offre programmatique, de politiques publiques innovantes, d’idéologie politique susceptible de remplacer la rigueur et la moralisation du président Paul Biya ».

DEFICIT DE LEADERSHIP CONSENSUEL

Comme devenu de coutume en Afrique, contestation et rejet des résultats par les acteurs de l’opposition regroupés dans l’un et l’autre cas en coalitions ont caractérisé l’issue des scrutins présidentiels en RCA et au Cameroun surtout, faisant craindre un basculement du climat sociopolitique.

Les observateurs sont unanimes pour remarquer que, fragilisés par leurs tares structurelles reconnues, les opposants d’Afrique centrale étaient loin de créer l’électrochoc dans la mesure également où au manque d’ingéniosité s’ajoute le manque de ressources humaines et bien plus absurde la pléthore de formations politiques engagées dans la conquête du pouvoir contre des régimes fortement installés.

Près de 800 partis politiques dont près de 250 pour le Cameroun seul, Cirille Nyeck juge que c’est énorme pour les 6 pays de la CEMAC. « Cela ne permet pas effectivement de dégager une lisibilité de l’action ou de l’offre programmatique des leaders politiques. Mais aussi, à côté de cela, il faut noter le déficit de leadership consensuel, c’est-à-dire la mobilisation des forces politiques alternatives autour d’un projet incarné par un leader ».

Dans la plupart des cas pourtant, ce sont des élections, ce qui laisse peu de chances à cette immense faune d’espérer faire la différence. « Si un scrutin est à un tour, il me paraît tout à fait aventurier de penser se présenter 20 candidats contre un candidat qui, de surcroît, est président sortant et dispose avec lui de la machine politico-administrative et même financière de l’Etat », a déploré Nyeck citant l’exemple du Cameroun où le président Paul Biya a fait face à 22 concurrents.

« Finalement, relève-t-il, on a constaté que ces partis politiques se sont carrément contentés d’espérer le soutien de la communauté internationale pour dégager les forces politiques en place. On a entendu au Cameroun des rumeurs de l’intervention de l’OTAN. Il y a même des leaders politiques, comme on l’a vu au Gabon, appeler la communauté internationale à utiliser la force pour les installer au pouvoir ».

Plus basés que résignés, les peuples ont manifesté un faible engouement pour le vote et insensibles aux appels à la révolte des perdants aux abois. Aux yeux des observateurs, cette attitude s’explique surtout par le sentiment d’avoir plus à perdre qu’à gagner dans des confrontations armées. Soit un facteur déterminant dans la préservation de la paix sociale et la stabilité dans les différents pays.

En Guinée équatoriale qui, aujourd’hui, connaît un boom économique extraordinaire, le peuple est effectivement « conscient du fait que le pays est en train de se construire et que l’alternance ou non aujourd’hui dans leur pays ne constitue pas l’enjeu majeur, que l’enjeu majeur est surtout un enjeu économique et qui dit économie, dit investissements. Les investisseurs ont généralement besoin de stabilité pour pouvoir se déployer », commente le directeur de l’IGAC.

Au Cameroun, mis à part les grands projets d’investissement, le recrutement de 25.000 jeunes diplômés dans la fonction publique entrepris par les autorités a constitué, dans un pays qui compte trois millions de jeunes au chômage et où le salaire minium garanti est le plus bas de la région, 28.700 francs CFA contre 70. 000 au Tchad et près de 90.000 au Gabon, « l’élément qui a carrément permis le verrouillage de révolte à l’issue de l’élection présidentielle de 2011 », car, « il a suscité un espoir extraordinaire au sein des familles », à en croire Nyeck.

STABILITE ENCORE TRES PRECAIRE

Mais pour les perspectives, les analyses tempèrent l’optimisme engendré par la consolidation de la reprise économique confirmée de la zone CEMAC. Toussaint Epekou, également chercheur à l’IGAD, estime que « cette stabilité reste encore très précaire, surtout quand on jette un regard sur ce que sera l’année 2012 avec une probable augmentation des prix des denrées de première nécessité alimentaire et de l’énergie ».

Pour lui, « il va falloir que tous les gouvernants imaginent des solutions plus efficaces, définissent des filets de sécurité plus appropriés, bien ciblés pour amortir cet élan de colère que pourraient susciter ces changements à venir. Donc, 2012 sera probablement une année qui va venir produire un certain dépassement au niveau social, au niveau de la contestation, si les politiques n’inventent pas de nouveaux modes de régulation de la vie des citoyens, de la satisfaction de leurs besoins primaires ».

C’est un point de vue partagé par Cirille Nyeck qui renchérit que « cette embellie économique au demeurant va constituer une ressource stratégique importante au service des leaders politiques ou alors une ressource stratégique importante qui pourra constituer une source de conflits. Parce que là où il y a le miel, c’est aussi là où il y a les abeilles ».

Pour s’en convaincre, il rappelle le conflit majeur survenu en Côte d’Ivoire, le poumon économique, en dehors du Nigeria, de la zone CEDEAO (Communauté économique et douanière des Etats de l’Afrique de l’Ouest, ndlr) et la déstabilisation de la Libye qui, elle, constituait le principal bailleur de fonds de beaucoup de pays africains. « Du coup, note-t-il, cette résurgence de conflits dans ces pays a un lien très étroit avec leur potentiel de prospérité économique ».

« Lorsqu’on sait que l’Afrique centrale est une région scandaleusement riche, située dans le golfe de Guinée avec tout ce que cela regorge comme richesse halieutique et pétrolière, avec la découverte dans la plupart des pays d’Afrique centrale des gisements importants de pétrole, il ne nous est pas tout à fait interdit de projeter des risques importants pour cette sous-région, si le management politique au plus haut niveau ne tient pas compte effectivement de l’aspiration longtemps exprimée des citoyens de cette sous-région à avoir un niveau de vie acceptable », conclut alors Nyeck.