L’avortement, autrefois récriminé est devenu au fil des années un acte légal en fonction des normes sociales de chaque pays. Dans les pays occidentaux, la tendance générale est en faveur du droit à l’interruption volontaire de grossesse.
Dans le droit moderne, la situation est généralement perçue telle que le nouveau-né n’acquiert sa personnalité juridique qu’à la naissance. Avant sa naissance, il n’est donc pas une personne. C’est pour cette raison que la Cour de cassation en France a rejeté à deux reprises la qualification d’homicide (qui suppose la mort d’une personne humaine). Pour elle, « le code civil ne subordonne l’établissement d’un acte de naissance d’enfant sans vie, ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse ».
Cette perception de la chose n’est pas partagée par les pays en voie de développement. L’Afrique est principalement l’une des zones les plus restrictives en la matière ; l’interruption volontaire de grossesse y est généralement interdite à l’exception de la Tunisie, du Cap-Vert et de l’Afrique du Sud.
Au Maroc, la question a suscité un véritable débat social en raison de la dureté de la loi qui rend cet acte passible de plusieurs années de prison.Même la pilule du lendemain n’a été autorisée qu’en 2008.
Une série d’articles du code pénal notamment, de l’article 449 à 458 condamnent vivement cet acte.Seul est autorisé l’avortement dit « thérapeutique », celui pratiqué pour préserver la santé ou la vie de la mère ou de l’enfant. Outre ces cas, la loi est sans appel,elle punit aussi bien la personne qui aide à interrompre une grossesse que la femme qui se prête à cet acte.
Ainsi, quiconque provoque un avortement ou indique les moyens de le provoquer est puni d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 120 à 500 dirhams.
Lorsque la mort en résulte, la réclusion est de 10 à 20 ans avec le double de la sanction s’il est prouvé que le coupable se livrait habituellement à cet acte. Lorsqu’il s’agit d’une personne qui fait partie du corps médical ou paramédical, il peut également être frappé de l’interdiction d’exercer temporairement ou définitivement sa profession et écoper de jusqu’à 30ans s’il y a récidive.
La femme qui s’est volontairement prêtée à un avortement ou qui a utilisé elle-même des moyens qui lui ont été indiqués pour avorter, risque quant à elle, une peine de l’emprisonnement de 6 mois à 2 ans et une amende de 120 à 500 dirhams et peut aller jusqu’à la peine de mort selon l’article 454. L’article 455 punit de 2 mois à 2 ans les complices d’un avortement, notamment les intermédiaires ou les vendeurs de produits abortifs.
Une réalité sociale
Pourtant, malgré les effets dissuasifs de la loi, le phénomène prend de l’ampleur dans le royaume. Des centaines d’interruptions volontaires de grossesses clandestines ont lieu chaque jour, entraînant parfois la mort de la mère. Aucune étude statistique n’existe en la matière mais les documents officiels du ministère de la santé avancent une moyenne de 1.000 gestes d’interruption de grossesse par jour, dans l’ensemble du royaume.
Du côté des organisations locales, on estime entre 600 et 800 le nombre d’avortements clandestins qui ont lieu quotidiennement. 500 à 600 sont effectués avec l’aide de médecins, et 150 à 200 dans des conditions inappropriés, à la maison ou avec des herboristes.
Environ 13 % des cas de mortalité maternelle marocaine sont liés à l’avortement et 35% des Marocaines âgées de 15 à 49 ans y ont eu recours au moins une fois.
Devant l’ampleur de la situation, la société marocaine se mure dans un mutisme total. A cause de la sévérité de la loi, un lourd silence plane dans la société marocaine et un calme pesant, régit le milieu médical. Tout le monde se cache derrière une « peur » face à ce « tabou » social. Des organisations se créent, des personnes dénoncent la pratique mais personne n’ose officiellement élever la voix.Par pudeur, par honte, par ignorance, ou par peur, chacun trouve un moyen pour éviter le sujet qui constitue pourtant un véritable phénomène social.
Des précautions justifiées par la morale, la religion, les codes et valeurs sociaux dans un pays majoritairement musulman ou le mariage est sacré et la virginité de la femme est considéré comme un honneur.
Mais la pratique se poursuit de plus en plus entrainant une horde de personnes «hors la loi».
Série d’arrestations
En l’espace de 5 mois, cinq médecins ont été condamnés par les tribunaux marocains. L’un d’entre eux a été condamné, il y a un mois, à 10 ans de prison ferme ainsi qu’à 90.000 euros d’amende et une interdiction totale d’exercer la profession. Afin de justifier ces condamnations récentes, le condamné a évoqué un durcissement de la loi. «L’avortement doit se faire dans de bonnes conditions afin d’éviter les décès», a estimé le condamné.
Selon le site tribune d’Afrique qui cite des documents officiels, des centaines de dossiers et de jugements pour des avortements illégaux sont répertoriés à ce jour. Un état de choses contre lesquels certaines associations ou mouvements se sont mobilisés. Ces derniers suggèrent un assouplissement de la loi.
Vague de réactions
En février 2013, le Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles du Maroc (MALI) a lancé une pétition pour libéraliser l’avortement au Maroc.
«Parce que l’avortement clandestin est une cause majeure de la mortalité maternelle. Parce que les femmes ont toujours avorté et continueront d’avorter, parce que l’interdiction de l’avortement n’empêche pas sa pratique dans l’illégalité, parce que l’obligation de poursuivre une grossesse non désirée en fait une grossesse à risque. Parce que notre corps et notre santé nous appartiennent et parce que nous sommes des femmes libres, nous défendons le droit à l’avortement, et demandons l’abrogation des articles 449 à 458 du Code Pénal marocain», pouvait on lire dans le texte. Avec une demande de 2000 signatures, le MALI en a obtenu à ce jour 1917 avec l’espoir d’atteindre très bientôt le nombre voulu.
Le médecin marocain Chakib Chraibi est l’un de ceux qui s’accrochent à cet espoir à travers l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin, créée depuis plus de dix ans.
«Quand une femme veut avorter, elle le fera, quoi qu’il arrive. Alors autant que cela se passe dans des conditions dignes, où sa vie n’est pas en danger.», se justifie t il au micro de RFI.
«La santé, comme la définit l’OMS, dont le Maroc est membre, est un état de bien-être à la fois physique, psychique, et social. Je voudrais qu’on tienne compte du retentissement psychique d’une grossesse non désirée», rappelle le médecin qui n’a pas manqué de souligner que son combat se heurte à l’hypocrisie des autorités.
«Je me suis adressé aux députés, aux représentants religieux, etc. En privé, ils sont d’accord avec moi, mais, en public, c’est une autre affaire, et les choses n’avancent pas. Si tous les gynécologues du pays arrêtaient les avortements, on verrait ce qui se passerait. Leur travail arrange tout le monde », a-t-il laissé entendre.
Un travers de comportement qu’a également expérimenté l’ONG néerlandaise Women on Waves. En octobre 2012, le navire de l’organisation avait accosté au Maroc pour offrir la possibilité d’avorter dans de bonnes conditions. La nouvelle avait été relayée par des médias locaux et occidentaux, mais aucune femme n’avait osé monter à bord.
«On le savait»,avait réagi Ibtissame Lachgar, la Co fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles au Maroc, à l’initiative de ce débarquement. Mais l’essentiel, c’était de lancer un message et de faire la promotion de l’avortement par médicament auprès des Marocaines»,a-t-elle renchéri avant de préciser :«Beaucoup de monde nous soutient sur Facebook, mais il y a peu de courageux quand on organise des rassemblements».
A l’image de Ibtissame Lachgar, les réactions fusent en faveur de la législation de l’avortement.
Le mois dernier, le président du conseil national du PJD, Saadeddine el Othmani, s’est prononcé sur la question. « Il devrait être possible et sans risque de procéder à l’avortement dans les cas de viol, d’inceste ou de malformation avant les 120 premiers jours de la grossesse », a-t-il déclaré sur RFI.
Au sein du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Nouzha Skalli,ex-ministre de la Solidarité, de la Femme et du Développement et actuelle député, s’est également déclaré favorable, à la légalisation de l’avortement dans le pays. Pour elle, « le Maroc est tout à fait prêt à franchir le pas. Il suffit que les acteurs politiques se rendent compte que leur rôle n’est pas de suivre l’opinion publique, mais de l’encadrer. La légalisation de l’avortement est aujourd’hui nécessaire et il faut faire preuve de courage politique pour l’entreprendre ».
En 2012, un référendum a été envisagé sur la loi sur l’avortement. Le ministère de la santé a mis en place à cet effet une commission rassemblant des experts du ministère de la Justice et des représentants du Conseil supérieur des Oulémas.
Mais les spécialistes s’accordent sur le fait que, seul un assouplissement de cette loi pourrait régler la situation.
Larissa AGBENOU