Mariage entre femmes en Afrique de l’Ouest : une tradition de pouvoir et d’action en voie de disparition

Afriquinfos Editeur
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Une femme se marie à elle même en Ouganda (Dr-Twitter Krisstoumi)

Rivers (© 2025 The Conversation)- Le mariage en Afrique de l’Ouest a joué un rôle central dans la structuration des sociétés et n’a eu de cesse d’évoluer au fil du temps. Alors que les unions hétérosexuelles traditionnelles dominent les débats, une pratique moins connue mais importante – le mariage entre femmes – existe depuis des siècles.

Dans mes recherches, j’ai examiné cette institution, qui permet à une femme d’assumer le rôle d’un mari en épousant une autre femme. Il existe des preuves de mariage entre femmes dans plus de 40 sociétés d’Afrique de l’Ouest, dont les Igbo du Nigeria, les Frafra du Ghana et les Dahoméens de l’actuel Bénin.

Le principe est le suivant : une femme, souvent riche ou de statut élevé, verse une dot et prend une épouse qui doit porter des enfants. Un homme de la famille ou un partenaire, appelé géniteur, est choisi pour procréer.

Les enfants sont légalement rattachés à l’épouse-cheffe de famille et appartiennent à sa lignée. Cela renforce les structures de parenté et les liens familiaux, élément essentiel au sein des sociétés et clans d’Afrique de l’Ouest.

Contrairement aux unions romantiques entre personnes du même sexe, il s’agit de contrats sociaux. Ils visent à préserver la lignée, à garantir l’héritage et à renforcer l’autonomie économique et politique de la femme.

Les “épouses masculines” acquièrent un contrôle important sur la propriété en assumant le rôle de chef de famille. Cela leur permet de posséder et de gérer des biens de manière indépendante, un droit généralement réservé aux hommes.

En s’assurant des héritiers par l’intermédiaire de leurs épouses, elles garantissent la continuité de leur lignée et l’héritage de leurs biens et de leur statut. Cela consolide leur pouvoir et leur influence à long terme au sein de la communauté.

L’union leur confère également un statut juridique plus important : elles peuvent conclure des contrats, résoudre des litiges et représenter leur famille dans les affaires juridiques, ce qui leur donne encore plus de pouvoir dans une société patriarcale.

Tout cela se traduit par une influence considérable. Les “ »épouses masculines” peuvent occuper des postes d’autorité et inspirer le respect. Elles remettent en question les rôles traditionnels des hommes et des femmes.

Les distorsions coloniales et les nouvelles idées reçues ont créé de l’amalgame sur la signification et la fonction de cette pratique historiquement répandue. Malgré son rôle important, elle a décliné au fil du temps. De plus en plus stigmatisées, les anciennes coutumes sont devenues moins courantes.

Mes travaux visent à réhabiliter la valeur historique du mariage entre femmes. Il permet de comprendre les complexités des systèmes de genre africains, de l’autonomie d’action des femmes et des structures sociales.

Une tradition ancrée dans la parenté et la stabilité sociale

En combinant des entretiens oraux, des recherches dans les archives et des analyses documentaires, j’ai identifié différentes situations dans lesquelles ce type de mariage entre femmes est pratiqué en Afrique de l’Ouest.

À Okrika, dans l’État de Rivers au Nigeria, par exemple, on m’a expliqué qu’une femme mariée qui n’a pas d’enfant mâle dans sa famille est autorisée à épouser une femme pour donner naissance à un fils héritier. Si son mariage ne produit pas de garçon et qu’elle a des moyens financiers, la culture l’autorise à épouser plus d’une femme à condition qu’elle puisse les entretenir, dans le but d’avoir un fils qui perpétue le nom familial.

Lors de mon entretien avec le chef Nkemjirika Njoku, des Mbaise Igbo au Nigeria, il a décrit un autre scénario. Il m’a expliqué qu’en cas de décès d’un homme sans un fils héritier, ses filles peuvent verser une dot pour épouser une femme qui enfantera en son nom. Cela permet d’éviter l’extinction de sa lignée.

De même, chez le peuple Frafra du Ghana, une étude montre comment :

Une femme riche peut épouser une ou plusieurs femmes pour son mari en la prenant en charge financièrement. Ces femmes enfantent en son nom, soit parce qu’elle-même est stérile, soit pour accroître la force de travail au sein du foyer.

Ces récits illustrent la complémentarité du mariage et montrent comment cette pratique offrait aux femmes une réelle influence économique et une mobilité sociale comparable à celle des hommes.

Perturbations coloniales et défis modernes

Malgré le rôle important de la tradition, au cours du 19e siècle, les fonctionnaires coloniaux européens et les missionnaires chrétiens ont mal compris et condamné la pratique.

Influencés par la morale victorienne – rigide et conservatrice, valorisant des rôles de genre stricts et une sexualité normée – ils l’ont assimilée à tort à l’homosexualité et ont cherché à la rendre illégale. Par exemple, en 1882, les autorités coloniales britanniques au Ghana ont criminalisé les relations entre personnes de même sexe. Ces lois englobaient les mariages entre femmes dans cette interdiction, malgré leur enracinement culturel.

La pratique a tout de même survécu, sous des formes plus discrètes

Dans certains cas, les unions ont été subtilement restructurées pour échapper à la répression. Certaines unions ont été présentées comme des partenariats économiques ou familiaux. De nombreuses commerçantes influentes s’en sont servies pour étendre leur réseau et leur richesse.

Parmi les commerçantes de textile hausa-fulani du califat de Sokoto, par exemple, une veuve aisée pouvait épouser une femme pour gérer son commerce. Ainsi, les enfants nés de cette union héritaient de sa richesse.

Subvertir ou renforcer le patriarcat ?

Aujourd’hui, le mariage entre femmes reste mal compris. Certains y voient un renforcement des structures patriarcales; tandis que d’autres l’associent aux relations lesbiennes.

L’influence croissante du christianisme et de l’islam a conduit à sa stigmatisation. Par ailleurs, les systèmes juridiques modernes ne reconnaissent pas les unions, ce qui rend les femmes mariées et leurs enfants vulnérables en cas de litige sur l’héritage.

Les progrès des technologies de reproduction offrent d’autres moyens de procréer, ce qui réduit la nécessité de ces mariages.

À mon avis, cependant, cette tradition reste un système précieux et puissant. Elle met en évidence l’ingéniosité des sociétés africaines dans la création de structures alternatives de pouvoir, de parenté et de sécurité économique, en particulier pour les femmes.

Sur la base de mes recherches, j’ai conclu que le mariage entre femmes est un exemple de la flexibilité des constructions africaines en matière de genre. Le genre n’est pas strictement lié au sexe biologique, mais aux rôles et responsabilités sociales. Les sociétés africaines ont adapté de manière créative le mariage et la parenté pour répondre aux besoins économiques et sociaux.

Bien plus qu’une simple union, le mariage entre femmes a été une affirmation d’autonomie, une stratégie économique et un outil de préservation des lignées.

The Conversation