L’ex-ministre de l’Intérieur gambien Ousman Sonko a écopé mercredi 15 mai 2024 en Suisse de 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité, devenant le plus haut dirigeant jamais condamné en Europe pour des crimes graves au nom de la justice universelle.

Relevant « l’importance de ce verdict dans la lutte mondiale contre l’impunité », le ministre gambien de la Justice a affirmé sur X qu’il « intervient à un moment charnière » alors que la Gambie « passe d’un système de gouvernance autocratique à un système de gouvernance démocratique ». Ousman Sonko, 55 ans, est « coupable d’homicides volontaires répétés, d’actes de torture répétés et de privations de liberté répétées, infractions réprimées au titre de crimes contre l’humanité », a conclu le Tribunal pénal fédéral, à Bellinzone, dans le sud-est de la Suisse.
Il a été condamné pour avoir agi « dans le cadre d’une attaque systématique contre la population », alors qu’il « était un proche de confiance du Président gambien de l’époque Yahya Jammeh, qui a dirigé la Gambie de manière répressive entre 1994 et 2016 ». Il devra verser une réparation aux parties civiles, et sera expulsé de Suisse pour 12 ans, une fois sa peine exécutée.
TRIAL International, à l’origine de la procédure, a qualifié la condamnation d' »historique » et Human Rights Watch de « monumentale », les deux ONG soulignant que « M. Sonko est le plus haut fonctionnaire jamais condamné en Europe pour des crimes internationaux en vertu du principe de la compétence universelle ».
« C’est un verdict extrêmement important au plan international. Le signal donné par le Tribunal pénal fédéral s’adresse évidemment à la Gambie, mais aussi plus largement », a indiqué le directeur de TRIAL International. Le parquet fédéral avait requis la réclusion à perpétuité, pour des crimes contre l’humanité allant de 2000 à 2016, l’accusant d’avoir agi d’abord en tant que membre de l’armée, puis en tant qu’inspecteur général de la police et enfin comme ministre.
– « Déçu » –
La Cour a écarté la prison à perpétuité, ne retenant « pas qu’il s’agit d’un cas particulièrement grave de crimes contre l’humanité », et a classé les charges de viol en tant que crime contre l’humanité. Le parquet « est très satisfait du jugement », a déclaré la Procureure fédérale, Sabrina Beyeler, mais se réserve le droit de faire appel. L’avocat de M. Sonko, Me Philippe Currat, qui avait plaidé l’acquittement, a estimé que « la peine de 20 ans est cohérente avec le jugement de culpabilité » mais a assuré qu’il fera « vraisemblablement » appel.
Il a expliqué que son client ne faisait pas de commentaire, n’ayant pas pu comprendre le verdict en allemand sans traduction. « Je m’attends à ce qu’il soit déçu », a réagi sa fille, Olimatou Sonko, au tribunal. Il avait été arrêté le 26 janvier 2017 en Suisse où il avait demandé l’asile après avoir été démis de ses fonctions ministérielles qu’il a occupées pendant 10 ans, jusqu’en septembre 2016.
En Suisse, c’est la première fois que la notion de crime contre l’humanité – des crimes commis dans le cadre d’une attaque de grande ampleur visant des civils – était abordée en première instance.
– « Heureux »-
« Nous sommes heureux que la responsabilité d’Ousman Sonko dans tout ce qui s’est passé en Gambie et le temps qu’il a passé sous le régime de Yahya Jammeh soit reconnue », a réagi Fatoumatta Sandeng Darboe, partie civile et fille de l’activiste Solo Sandeng, torturé et tué. En Gambie, Samba Jawo, du Centre international pour la justice transitionnelle, a jugé que sa condamnation « est un soulagement pour les Gambiens, en particulier pour les victimes ».
Selon la défense, les conditions du crime contre l’humanité ne sont pas remplies. Elle estime que les faits retenus par le parquet étaient des actes isolés dans lesquels l’ex-ministre de l’Intérieur ne porte aucune responsabilité. Elle considère aussi que certains éléments de l’acte d’accusation échappent à la législation suisse car antérieurs à 2011, date depuis laquelle la Suisse se reconnaît une compétence universelle pour juger certains crimes graves en vertu du droit international. C’est également en 2011 que les crimes contre l’humanité ont été inscrits dans le droit suisse.
Un argument balayé par la cour. En Gambie, le Gouvernement a endossé en 2022 les recommandations d’une commission qui s’est penchée sur les atrocités perpétrées sous l’ère Jammeh, les autorités acceptant de poursuivre 70 personnes, dont M. Jammeh, parti en exil en Guinée équatoriale en janvier 2017.
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