Les institutions africaines en perte de crédibilité : voici comment restaurer le lien avec les citoyens

Afriquinfos Editeur
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Photo de famille des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine-UA (DR, UN News)

Depuis une décennie, les citoyens africains manifestent de moins en moins de la confiance envers leurs institutions publiques, selon une étude récente d’Afrobarometer. Les conclusions de cette étude remettent en cause la crédibilité et la légitimité des organes étatiques, notamment, la présidence, le parlement et les forces de sécurité (police) .

Alors que les Africains éprouvent un défiance croissante vis-à-vis des institutions formelles, ils continuent d’accorder leur confiance aux figures traditionnelles et religieuses. Ce contraste soulève des questions sur l’efficacité, la légitimité et la proximité des gouvernants avec les préoccupations des citoyens .

Koffi A. Adaba, l’un des auteurs de cette étude, décrypte dans cet entretien avec The Conversation Africa cette perte de confiance et ses implications .

Quelles sont les principales conclusions de l’étude ?

L’étude menée par Afrobaromètre dans 39 pays révèle une baisse généralisée de la confiance envers les institutions publiques en Afrique sur la dernière décennie. Elle portait sur 11 institutions publiques et types de dirigeants. Il s’agit des dirigeants religieux, du président de la République, des partis politiques de l’opposition, des partis au pouvoir, de l’armée, du Parlement, des conseils municipaux ou communaux, des commissions électorales nationales, de la police, des cours et tribunaux, des chefs traditionnels.

Depuis 2012, la confiance envers la plupart des institutions a diminué, à l’exception de trois d’entre elles. En effet, trois institutions conservent une majorité de confiance : les dirigeants religieux (66 %), l’armée (61 %) et les chefs traditionnels (56 %). En revanche, les institutions politiques – présidence, parlement, police et tribunaux – inspirent peu de confiance, toutes en dessous des 50 %.

Cette tendance varie selon les régions : l’Afrique de l’Est et de l’Ouest affiche des niveaux de confiance plus élevés que l’Afrique centrale, australe et du Nord. À l’échelle nationale, la Tanzanie, le Niger et le Burkina Faso enregistrent les taux de confiance les plus élevés, tandis que le Gabon, l’Eswatini et São Tomé-et-Principe figurent parmi les pays les plus méfiants.

Depuis 2011, la confiance envers le parlement a chuté de 19 points de pourcentage, suivi du parti au pouvoir (-16), du président (-12) et des tribunaux (-10). Malgré la tendance générale au déclin, certains pays comme la Tanzanie, le Togo et le Mali connaissent une hausse de la confiance dans certaines institutions.

Quelle analyse en faites-vous?

La confiance institutionnelle est essentielle à la stabilité politique et au bon fonctionnement des régimes, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires. Même les systèmes autoritaires recherchent une certaine adhésion populaire pour asseoir leur pouvoir. Une institution perçue comme responsable, transparente et efficace est plus susceptible d’obtenir l’adhésion des citoyens. Ces derniers s’attendent alors à des résultats positifs dans leurs interactions avec l’État.

Cette adhésion repose sur la perception de l’efficacité, de la transparence et de l’intégrité des institutions. La baisse de confiance pourrait nuire à la légitimité des gouvernements et nuire au développement, en particulier dans les pays en développement.

Le paradoxe constaté est que les institutions informelles (leaders religieux et traditionnels) et l’armée bénéficient d’un soutien plus fort que les institutions officielles. La confiance envers les dirigeants religieux varie, allant de 34 % en Tunisie à au moins de neuf citoyens sur dix, notamment en Tanzanie (94 %), au Sénégal (92 %), au Nigéria (90 %) et en Éthiopie (90 %).

Cela soulève des questions sur leur rôle dans la gouvernance. La défiance est, en grande partie, liée aux attentes non satisfaites des citoyens vis-à-vis des institutions publiques. Ces dernières devraient être perçues par les citoyens comme impartiales, justes et équitables.

Quels sont les défis que l’étude met en évidence ?

L’idéal serait que les institutions publiques majeures (présidence, parlement, justice, police) inspirent davantage confiance, car elles sont en contact direct avec les citoyens et constituent les piliers de la démocratie. Leur faible niveau de confiance remet en question leur efficacité et renforce le rôle des institutions informelles.

Un autre point clé est la confiance paradoxale envers l’armée : bien que les Africains rejettent les coups d’État, ils continuent de faire confiance aux militaires. Ce qui pourrait expliquer l’acceptation relative des récentes transitions militaires dans plusieurs pays.

Cette perception pourrait s’expliquer par le fait que les citoyens interagissent peu avec l’armée, contrairement à la police, qui est davantage présente dans leur quotidien. Moins exposées aux tensions et aux critiques, les forces armées bénéficiaient ainsi d’une image plus favorable auprès de la population par rapport aux autres institutions.

Quelles sont les solutions pour restaurer la confiance ?

L’étude d’Afrobaromètre révèle une érosion de la confiance envers les institutions publiques en Afrique. Si les institutions informelles conservent une forte légitimité, il n’en demeure pas moins essentiel de restaurer la confiance dans les institutions formelles pour assurer une gouvernance efficace et durable. Pour ce faire, plusieurs pistes peuvent être explorées :

  • Renforcement de la transparence et de l’équité : Améliorer la performance des institutions et lutter contre la corruption pour restaurer la confiance citoyenne.
  • Implication des institutions informelles : Intégrer les dirigeants religieux et traditionnels dans certaines instances de gouvernance, comme les processus de médiation et de justice transitionnelle.
  • Réformes institutionnelles : Clarifier le rôle des chefs traditionnels dans la gestion des affaires publiques pour éviter les interférences politiques et améliorer leur contribution à la gouvernance.
  • Amélioration des services publics : La perception des citoyens repose sur leurs expériences directes avec les institutions. Exemple : interactions avec la police, d’où l’importance d’une administration plus juste et efficace.

Les citoyens accordent leur confiance aux institutions en fonction de leur capacité à être performantes. Les dirigeants doivent prendre en compte cette érosion de la confiance en adoptant des réformes structurelles pour redonner aux citoyens foi en leurs institutions à travers une gouvernance plus inclusive. La confiance est un socle fondamental de la gouvernance et de la démocratie. Sa consolidation doit être une priorité pour les gouvernements africains.

The Conversation