Tombouctou (© The Conversation)- Le Mali, pays enclavé du Sahel comptant 25 millions d’habitants, est confronté depuis 2012 à une instabilité importante, marquée par le terrorisme, la démission de l’État et des conflits armés.), marquée par le terrorisme, la démission de l’État et des conflits armés.
Cette année-là, une rébellion touareg a éclaté dans le nord du Mali et le président Amadou Toumani Touré a été renversé par un coup d’État militaire. L’ordre constitutionnel a été suspendu. Les rebelles du nord du Mali ont ensuite pris le contrôle de villes telles que Tombouctou, Gao et Kidal, proclamant un État islamique indépendant, l’Azawad, et imposant la charia.
Ils ont également détruit des sites du patrimoine culturel, dont 14 des 16 mausolées de Tombouctou classés au patrimoine mondial de l’Unesco. La crise a déclenché une intervention internationale, notamment une mission autorisée par l’ONU, qui a repris le contrôle des villes du nord en quelques semaines. Les rebelles islamistes se sont repliés parmi la population civile et dans des zones reculées.
Malgré ces efforts, les violences contre les civils perpétrées par des groupes extrémistes et des milices communautaires se sont poursuivies. En 2023, 8,8 millions de Maliens avaient besoin d’une aide humanitaire. Plus de 375 500 personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays, principalement des femmes et des enfants.
Dans le même temps, l’ancienne colonie française s’est tournée vers la Chine pour obtenir une aide militaire. Entre 2012 et 2013, la Chine a fourni 5 millions d’euros (environ 5,8 millions de dollars américains) en équipement logistique afin d’améliorer la mobilité de l’armée malienne.
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En août 2013, l’Armée populaire de libération du peuple chinois a donné à l’armée malienne des fournitures militaires d’une valeur totale de 1,6 milliard de francs CFA (environ 2,8 millions de dollars américains). La Chine a effectué des dons similaires entre 2014 et 2023.
En tant que chercheur en sécurité internationale et gouvernance mondiale, mes récentes recherches ont analysé l’impact de l’aide chinoise au secteur de la sécurité sur la fragilité du Mali.
L’aide apportée par la Chine au Mali vise à doter le pays de moyens de lutter contre le terrorisme et les insurrections. Mais je soutiens qu’elle pourrait avoir des conséquences imprévues et aggraver la situation du pays.
La forte dépendance vis-à-vis des approvisionnements chinois expose le Mali à des vulnérabilités : perturbations des livraisons, perte de pouvoir de négociation et manque de flexibilité stratégique.
Une défaillance dans la production ou les chaînes d’approvisionnement chinoises, par exemple en cas de retards ou de pénuries d’armes, pourrait déstabiliser davantage la sécurité du pays.
Cette dépendance soulève également des inquiétudes quant à l’influence potentielle de la Chine sur les politiques de défense et les processus décisionnels du Mali. Cela pourrait à son tour renforcer la position du gouvernement militaire malien. La Chine adopte une approche non interventionniste à l’égard des structures de gouvernance des pays avec lesquels elle s’engage. Les espoirs de démocratisation dans le pays pourraient en être affectés.
Ressources naturelles
Le Mali dispose d’importantes ressources naturelles, notamment 800 tonnes de réserves d’or (il est le quatrième producteur africain), du minerai de fer, du manganèse, du lithium et des gisements potentiels d’uranium et d’hydrocarbures.
En 2019, la production d’or a généré 734 millions de dollars américains, soit 9,7 % du PIB du Mali, et fait vivre plus de 10 % de la population.
Des entreprises chinoises, telles que Ganfeng Lithium et China National Nuclear Corporation, ont investi massivement dans le secteur minier malien. Elles participent à un projet de lithium de 130 millions de dollars américains et à l’exploration d’uranium dans les régions de Kidal et de Falea.
Malgré les risques sécuritaires, notamment les attaques contre du personnel chinois en 2015 et 2021, la Chine reste engagée en raison du potentiel des ressources du Mali.
Au-delà de l’exploitation minière, la Chine a investi dans les infrastructures du Mali. Un projet de modernisation ferroviaire de 2,7 milliards de dollars américains relie Bamako à Dakar, facilitant l’exportation de ressources telles que le minerai de fer et la bauxite.
Le montant total de la dette extérieure du Mali envers la Chine n’est pas explicitement mentionné. Mais l’accord de prêt de 11 milliards de dollars américains conclu en 2014 et le prêt de 2,7 milliards de dollars américains accordé en 2016 suggèrent à eux seuls que la dette du Mali envers la Chine pourrait s’élever à au moins 13 milliards de dollars américains. Cela n’inclut pas les prêts destinés à des projets tels que l’autoroute Bamako-Ségou et les ponts de Bamako.
Cette politique a souvent été critiquée comme une « diplomatie du piège de la dette », qui accroît la dépendance des pays bénéficiaires à l’égard de Pékin. Au Mali, je pense que cela risque de renforcer la vulnérabilité économique et d’offrir à la Chine un levier géopolitique.
L’aide de la Chine au Mali dans le domaine de la sécurité
Historiquement, le Mali s’appuyait sur la France pour sa sécurité. Plus récemment, il a fait appel au corps expéditionnaire russe, anciennement connu sous le nom de Groupe Wagner, pour assurer sa sécurité.
En 2011, la Chine a accordé 11,4 millions de dollars américains en dons, 8,1 millions de dollars américains en prêts à taux zéro et un prêt concessionnel de 100,8 millions de dollars américains afin de favoriser la coopération bilatérale.
La participation de la Chine à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), qui a débuté en 2013 avec 395 personnes, a marqué un tournant dans son engagement en matière de sécurité.
Les soldats de la paix chinois, composés d’ingénieurs, du personnel médical et des agents de sécurité, ont réparé des infrastructures, fourni une aide médicale et soutenu les élections de 2013 au Mali.
Leur professionnalisme a été salué par l’envoyé spécial des Nations unies Albert Gerard Koenders pour avoir contribué au bon déroulement des élections.
L’implication de la Chine au Mali a remis en question les approches traditionnelles européennes en matière de maintien de la paix, notamment la stratégie à forte dominante militaire de la France.
Comment l’aide chinoise contribue à la fragilité du Mali
Malgré ces aspects positifs, l’aide chinoise au secteur de la sécurité contribue à la fragilité du Mali de plusieurs manières.
Tout d’abord, son caractère sans condition permet à la junte militaire malienne de consolider son pouvoir sans engager de réformes démocratiques ou de gouvernance.
Ce manque de responsabilité favorise l’impunité des factions militaires corrompues. Et laisse persister les faiblesses de gouvernance et l’autoritarisme.
Deuxièmement, la forte dépendance vis-à-vis de l’approvisionnement chinois soulève des inquiétudes quant à l’influence potentielle de la Chine sur les décisions du Mali en matière de défense.
Cette dépendance excessive à l’égard des solutions militaires risque d’aggraver les conflits et pourrait conduire à des violations des droits humains par les forces de sécurité, comme en témoigne l’augmentation de la violence à l’égard des civils. Elle ne s’attaque pas aux causes profondes du conflit, telles que la cohésion sociale ou la gouvernance locale.
Troisièmement, la dépendance croissante du Mali à l’aide chinoise — tant militaire qu’économique — le rend vulnérable aux perturbations liées aux tensions géopolitiques, aux problèmes de chaîne d’approvisionnement ou aux changements de politique étrangère de la Chine. Cela limite le Mali dans ses efforts de diversification militaire et sa capacité à répondre à l’évolution des menaces.
Enfin, les investissements chinois dans les infrastructures, tels que le prêt de 1,48 milliard de dollars (750 milliards de francs CFA) pour la construction de la ligne ferroviaire Bamako-Dakar, créent une « diplomatie du piège de la dette ».
Ce modèle renforce la dépendance économique et réduit l’autonomie politique, affaiblissant encore davantage la résilience de l’État.
Les solutions
Pour atténuer les risques liés à l’aide chinoise au secteur de la sécurité et promouvoir une stabilité durable, le Mali doit adopter une stratégie multiforme.
Premièrement, il devrait collaborer avec la Chine pour aligner l’aide au secteur de la sécurité sur les approches de sécurité civiles.
Deuxièmement, le Mali devrait diversifier ses partenariats sécuritaires et économiques avec des donateurs tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Troisièmement, des lignes directrices transparentes, élaborées en consultation avec les parties prenantes, devraient évaluer l’impact de l’aide afin d’éviter d’aggraver la dépendance.
Quatrièmement, la participation de la société civile et la publication de rapports réguliers sur l’utilisation et les résultats de l’aide au secteur de la sécurité renforceront la confiance du public.
Enfin, la promotion de l’intégration économique régionale et des liens avec les puissances mondiales renforcera la résilience économique du Mali.
The Conversation