L’Assemblée nationale, une maison opaque !

Afriquinfos Editeur
10 Min de Lecture

Idrissa Seck et son parti Rewmi ont décidément le don d’attaquer la majorité parlementaire — à laquelle ils appartenaient jusqu’à il y a un peu plus d’un mois ­—, là où ça fait vraiment mal.

Sans remonter à très loin, on peut citer l’interview accordée par le premier à la Radio Futurs Médias (RFM) à l’occasion du premier anniversaire de l’accession au pouvoir du président Macky Sall.

Ce jour-là, en plus d’avoir raillé les deux banquiers qui officiaient alors à la Primature et au ministère de l’Economie et des Finances, le leader de Rewmi avait aussi dressé un constat d’échec des 12 premiers mois du « yoonu yokkuté ». Il avait déclaré en substance que les changements promis aux Sénégalais par le quatrième président de la République n’étaient pas au rendez-vous. Après lui, le déluge, puisqu’il avait récolté une volée de bois vert de la part des responsables de l’Alliance Pour la République (APR), la principale composante de la majorité présidentielle. Lesquels l’avaient sommé de se taire ou de prendre la porte. Il n’avait fait ni l’une, ni l’autre chose.

- Advertisement -

Quelques semaines plus tard, il avait jeté un gros pavé dans la mare présidentielle en affirmant que, contrairement à ce qu’avaient déclaré les nouvelles autorités à leur prise de fonction, les caisses de l’Etat n’étaient pas vides mais contenaient plus de 400 milliards de francs. Une nouvelle fois, ses « alliés » de l’APR — dans le cadre de la coalition « Bennoo Bokk Yaakar » — lui étaient tombés dessus à bras raccourcis. Et l’avaient considéré à partir de ce moment-là, et plus sûrement depuis sa sortie du 03 avril 2013, comme étant dans l’opposition.

Néanmoins, le maire de Thiès avait entretenu le suspense et maintenu le flou jusqu’au lendemain de la formation du gouvernement de Mme Aminata Touré, lorsque les deux ministres de Rewmi avaient été maintenus dans l’équipe alors pourtant qu’ils étaient en rupture de ban par rapport à leur parti ! Un casus belli pour M. Idrissa Seck qui avait déclaré que MM. Oumar Guèye et Pape Diouf, ses deux ex-ministres, ne représentaient plus qu’eux-mêmes au sein du gouvernement. Quelques jours plus tard, Rewmi officialisait sa sortie de BBY et passait dans l’opposition.

Depuis lors, ce parti ne disait rien et on se demandait  quel mauvais coup il pouvait bien mijoter encore. Eh bien, ce coup est venu sous la forme d’une flèche empoisonnée décochée par Thierno Bocoum, un député encore membre (jusqu’à sa dernière sortie en tout cas) du groupe parlementaire de la majorité à l’Assemblée nationale mais aussi du bureau de ce même Parlement.

Une sortie qui a fait mouche si l’on en juge par les réactions affolées de la Cellule de communication de l’Assemblée nationale qui s’est fendue d’encarts publicitaires pour clouer au pilori Thierno Bocoum, qui est aussi responsable des jeunes de Rewmi, mais… sans répondre à ses interpellations. Il faut dire que Bocoum est le président de la commission de comptabilité et de contrôle de l’Assemblée nationale. A ce titre, il a publié dans les journaux du week-end une déclaration dans laquelle il dénonce le refus de la questure mais aussi du président de cette institution lui-même, de se soumettre au contrôle de la commission pourtant instituée à cet effet par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale ! Aux termes de ce règlement intérieur, cette commission de comptabilité et de contrôle doit recevoir, à la fin de  chaque trimestre, des questeurs de l’institution, un rapport écrit portant sur la situation des crédits et la nature des dépenses engagées.

Or, depuis le début de la législature, cette obligation n’a jamais été respectée par le questeur. Lequel a pourtant été interpellé à maintes reprises par le président de la commission, M. Thierno Bocoum, sans qu’il daigne répondre à une seule de ses lettres. De guère lasse, ce dernier s’est tourné vers le président de l’Assemblée nationale lui-même auquel il a adressé copie des lettres envoyées au questeur. Et ce depuis le mois de janvier de l’année en cours. Sans réponse là aussi.

Bref, la commission de comptabilité et de contrôle de l’Assemblée nationale, depuis un an qu’elle est en place, n’a jamais pu exercer son travail de contrôle du budget de l’Assemblée nationale. Et c’est à juste titre que M. Thierno Bocoum considère que ce refus par le questeur et le président de l’Assemblée nationale de se soumettre au contrôle de la commission de comptabilité et de contrôle « est une entorse grave à la transparence et à la bonne gouvernance de la part de la plus haute autorité de l’Assemblée nationale ». Et c’est M. Moustapha Niasse qui en prend pour son grade, lui qui se présente pourtant comme un chantre de la vertu.

Ce refus de se soumettre à tout contrôle est d’autant plus grave que l’Assemblée nationale gère chaque année un budget de 18 milliards de francs mis à sa disposition par le contribuable sénégalais. De l’argent géré dans la plus grande opacité, assurément !

Mais plutôt que de répondre aux interpellations du député de Rewmi et à ses insinuations, le président de l’Assemblée nationale et la questure  ont choisi de bombarder les quotidiens nationaux d’encarts publicitaires payants pour annoncer… la prochaine exclusion de M. Thierno Bocoum de la présidence de la commission de comptabilité et de contrôle. Et ce plus vite que ça, c’est-à-dire dès l’ouverture de la session de l’Assemblée, à l’occasion du renouvellement du bureau.

Nulle part dans la « réponse » de l’institution de la place Sowéto, il n’est dit que sa questure s’est effectivement soumise au contrôle de la commission pourtant prévue par le règlement intérieur ! Au contraire les Sénégalais, médusés, ont eu droit à un cours sur les mécanismes du budget — comme si c’est de cela qu’il s’agissait ! — ainsi que sur une volonté supposée du président de la commission comptabilité et contrôle de « salir » l’institution législative.

Or c’est justement le refus par cette dernière de se soumettre à tout contrôle et de justifier l’argent que lui alloue le peuple sénégalais qui la discrédite davantage encore aux yeux de nos compatriotes !

Rendez-vous compte ! Pour des budgets bien moindres, qui ne font parfois pas un milliard de francs, des directeurs généraux de sociétés nationales croulent sous les contrôles de multiples corps de l’Etat comme l’Inspection générale d’Etat, la Cour des Comptes, l’Autorité de Régulation des marchés publics (ARMP), ou les cabinets privés commis par l’Etat, leur gestion est passée au peigne fin, auscultée, regardée à la loupe et la moindre faute de gestion, ne parlons pas de détournement, est sévèrement sanctionnée. Des directeurs de sociétés nationales ont été envoyés en prison pour des peccadilles.

Or, voilà une Assemblée nationale qui vote les lois de notre pays, y compris celles réprimant sévèrement la mauvaise utilisation des deniers publics, qui gère 18 milliards de nos francs et dont le président et le questeur refusent obstinément de se soumettre à tout contrôle, ne serait-ce qu’interne. Et l’on viendra après ça nous parler d’égalité des citoyens devant la loi, mon œil !

Pour parler de transparence, de bonne gouvernance et de gestion vertueuse, l’Assemblée nationale devrait d’abord commencer par balayer devant sa propre porte, c’est bien le moins. MM. Moustapha Niasse et Daouda Dia doivent répondre aux interpellations de M. Thierno Bocoum, accepter de soumettre leur gestion à un contrôle et non inonder la presse de publicité,  c’est tout ce que veulent les Sénégalais.

Est-ce trop demander à M. le président  et à M. le questeur de notre auguste Assemblée nationale ? Ou alors, ont-ils des choses à cacher ?

Pape NDIAYE

Le Témoin, hebdomadaire sénégalais
Édition N° 1140 (OCTOBRE 2013)