La nouvelle donne diplomatique dans les relations entre la CEDEAO et l’AES

Afriquinfos Editeur
6 Min de Lecture
Le Ministre Malien des Affaires Etrangères Abdoulaye Diop (Dr-Twitter AES Infos)

Lomé (© 2025 Afriquinfos)- Les relations entre l’Alliance des Etats du Sahel et la CEDEAO ont désormais une autre connotation. L’AES entre certes dans une phase d’apaisement et de réalisme avec la CEDEAO, mais ceci ne sous-entend aucunement pas que les Etats du Sahel comptent réintégrer le bloc ouest-africain. C’est la quintessence des propos tenus ce 7 juin 2025 par le ministre malien des Affaires Etrangères du Mali. ‘’Nous entrons dans une phase d’apaisement et de réalisme avec la CEDEAO’, a-t-il confié à New World TV. Mais, ‘’il est clair que les discussions en cours ne visent nullement un retour quelconque’’, a défendu Abdoulaye Diop.

La déclaration d’Abdoulaye Diop n’est pas synonyme de fermeture. Selon lui, l’heure n’est plus à la nostalgie institutionnelle, mais à une gestion pragmatique des désaccords. En remettant les pendules à l’heure, Bamako rappelle à la Cedeao que les règles du jeu ont changé, et que toute coopération future devra se construire sur la base d’une égalité revendiquée.

Le ministre a fait observer que les tensions (qui ne sont pas encore effacées), laissent place à des calculs pratiques. La frontière n’est plus fermée à la discussion, mais la discussion elle-même doit reposer sur des bases nouvelles. Le langage a changé : on ne parle plus d’intégration mais de négociation. Un accord est souhaité, mais pas sur les principes fondateurs de la Cedeao. Il s’agira plutôt de mettre en place des mécanismes précis autour de la libre circulation des personnes et des biens — autrement dit, d’éviter l’asphyxie économique de part et d’autre des frontières.

’Ce qui est envisagé maintenant, c’est un dialogue d’entité à entité. D’une part, la Cédéao qui regroupe douze États membres et l’AES qui regroupe trois États membres’’, a-t-l précisé appelant à trouver un accord rapidement notamment sur les conditions commerciales et la libre circulation des personnes :

 ‘’Il faut regarder les modalités pratiques de ce retrait, comment cela va se traduire concernant la libre-circulation des personnes, le siège des organes, les différents mécanismes à mettre en place pour que ceci puisse se faire de façon organisée et que l’on n’ait pas un désengagement en désordre. Aujourd’hui, beaucoup de pays veulent entretenir une relation de coopération, une relation constructive avec nos pays pour arriver à trouver un accord qui préserve cet espace commercial que nous avons bâti depuis l’indépendance’’, a déclaré le diplomate sur New-World TV.

Le maintien des interdépendances économiques et l’équilibre des pouvoirs

Pour les États de l’AES comme pour ceux de la Cedeao, les interdépendances économiques sont nombreuses et complexes. Les échanges commerciaux, les couloirs de transit, les chaînes d’approvisionnement et même les flux humains rendent impossible toute rupture totale sans conséquences sévères. Donc, parler d’un ‘’deal urgent sur les conditions commerciales’’ revient à reconnaître la nécessité d’un filet de sécurité économique. Loin des discours enflammés sur la souveraineté, il faut éviter que les marchés sahéliens soient isolés ou que les ports du Golfe de Guinée se ferment aux marchandises du Nord.

Le cas du Mali est particulièrement parlant. Pays enclavé, dépendant des routes sénégalaises, ivoiriennes et guinéennes pour ses importations stratégiques, il n’a pas le luxe de rester coupé des grands axes commerciaux. En parallèle, ses voisins du Sud ont eux aussi besoin de maintenir l’accès à certains marchés et à la main-d’œuvre circulante venue du Sahel. De part et d’autre, les économies sont prises dans un tissu serré d’obligations mutuelles. Cela oblige les responsables politiques à réintroduire le pragmatisme dans leurs agendas.

Pendant des décennies, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a représenté le cadre de coopération régionale par excellence, réunissant ses membres autour d’objectifs communs de sécurité, d’intégration économique et de libre circulation.

Pourtant, en 2023, ce fragile édifice a été ébranlé. Face à des sanctions jugées unilatérales et injustes, les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont claqué la porte. Ils dénonçaient une organisation perçue comme inféodée à des intérêts extérieurs et trop peu solidaire des défis sécuritaires endurés au Sahel.

Cette rupture, inédite dans l’histoire de la Cedeao, a donné naissance à l’Alliance des États du Sahel (AES), nouveau bloc régional porté par un discours de souveraineté affirmée et de solidarité sécuritaire. Si la séparation avait été brutale, elle n’a pourtant pas coupé le besoin de dialogue. Car au-delà des divergences politiques, les réalités économiques imposent une reconfiguration des rapports.

Aujourd’hui l’AES évolue vers un statut d’interlocuteur stratégique, au même titre que les onze pays restants dans la CEDEAO. Cette reconnaissance, même tacite, rebat les cartes des dynamiques régionales.

V. A.