La musique, sa portée et l’islam

Afriquinfos Editeur
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<strong style="margin-right:4px;">Sculpteur Carl Milles (1949).</strong>  					Aude à la musique

Chose &eacute;trange que cela. Chose litt&eacute;ralement &eacute;trange que de sentir l&#39;extase monter &agrave; l&#39;esprit quand, en lisant un texte profond, mettons de philosophie ou d&#39;histoire, une musique (ou une chanson) adoucit au m&ecirc;me moment l&#39;humeur tout en impulsant cette excitation de la connaissance dans le sujet qui re&ccedil;oit simultan&eacute;ment, et la musique, et l&#39;&eacute;crit.

En effet, comment se fait-il qu&#39;elle a ce pouvoir surpuissant d&#39;accentuer la contingence actuelle de l&#39;&eacute;crit quand il est lu, c&#39;est-&agrave;-dire de lui donner cette port&eacute;e limit&eacute;e au pr&eacute;sent en ce qui regarde la lecture&nbsp; imm&eacute;diate, comme si rien n&#39;existait autour, sauf l&#39;assimilation profonde d&#39;un savoir appris &agrave; l&#39;instant. Pourtant, au m&ecirc;me moment, ces deux ingr&eacute;dients, mis ensemble, semblent porter la pens&eacute;e non encore exprim&eacute;e ni structur&eacute;e du lecteur &agrave; l&#39;infinit&eacute; de l&#39;univers. Car cette situation n&rsquo;accentue rien moins que l&#39;id&eacute;e immens&eacute;ment cons&eacute;quente qu&#39;une lecture d&#39;un texte est une &eacute;tape, de soi, comme du monde, dans le chemin pluris&eacute;culaire de la connaissance. Et que tant que cet &eacute;crit existera, il en sera toujours ainsi. La musique dit cela en effet &agrave; tout homme &agrave; la recherche de la connaissance et qui appr&eacute;cie simultan&eacute;ment une &eacute;coute musicale.

Mais tout de m&ecirc;me, redevenons terre-&agrave;-terre apr&egrave;s cette r&ecirc;verie &agrave; la fois artistique et philosophique. Revenons &agrave; la religion islamique telle qu&#39;elle est connue sur cette terre. Elle semble interdire la musique, sauf dans deux cadres selon un certain nombre de hadiths rapport&eacute;s, qui sont la c&eacute;l&eacute;bration d&#39;un &eacute;v&eacute;nement important (type mariage ou f&ecirc;tes religieuses), ou pour amortir, par son pouvoir de p&eacute;n&eacute;tration de l&#39;esprit qu&#39;il occupe alors, les durs labeurs que l&#39;homme est oblig&eacute; d&#39;entreprendre dans l&rsquo;am&eacute;lioration, et de son quotidien, et de sa soci&eacute;t&eacute; (voir le lien suivant pour prendre connaissance de l&#39;acuit&eacute; des avis religieux sur la question : http://www.muslimfr.com/modules.php?file=article&name=News&sid=139).

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Comment concilier les deux points de vue : la musique comme source d&#39;impulsion vers la connaissance, chose qui m&#39;est &eacute;vidente dans les id&eacute;es sentimentales qui se m&ecirc;lent, en moi, au s&eacute;rieux de mon esprit, ou la musique comme vecteur du mal sauf en de rares occasions, comme clam&eacute; par l&#39;islam, ma religion ?

Que difficile est une r&eacute;ponse conciliante &agrave; cette question ! Essayons de raison garder pour surmonter la difficult&eacute; et tentons de regarder les choses en face, sans honte de ce &agrave; quoi l&#39;on pourrait aboutir, si tant et nous sommes s&ucirc;rs que nous aboutissons &agrave; la r&eacute;alit&eacute;.

La musique et le mal

Dans notre monde actuel, comme dans l&#39;ancien, beaucoup de fois la musique a pu &ecirc;tre le pr&eacute;texte &agrave; l&#39;amoralit&eacute; du monde. Un seul exemple : &quot;sexe, drogue et rock&#39;n&#39;roll&quot; sont li&eacute;s dans une maxime populaire de notre temps incessamment ass&eacute;n&eacute;e, en tout cas dans notre civilisation occidentale. Et, tandis que beaucoup semblent s&#39;en accommoder, d&#39;autres, non moins nombreux, en sont scandalis&eacute;s &agrave; l&#39;exc&egrave;s…

La musique v&eacute;hicule une contre-culture. Cela est vrai dans le rap ou la musique pop. Elle est devenue un march&eacute; mondialis&eacute; ce qui fait que, alors qu&#39;il y a encore quelques ann&eacute;es, d&eacute;passer les fronti&egrave;res signifiait changer d&#39;aire musicale, et rencontrer une sc&egrave;ne chansonni&egrave;re diff&eacute;rente, aujourd&#39;hui, les Top 50 de tous les pays du monde pr&eacute;sentent de plus en plus les m&ecirc;mes classements, et ce, au m&ecirc;me moment, marque de l&#39;instantan&eacute;it&eacute; croissante permise par les outils de communications satellitaires. Une exception &agrave; cela est justement l&#39;exception culturelle, celle d&eacute;fendue par le Canada et surtout la France &agrave; l&#39;OMC. Celle-ci a son pendant dans la musique et la chanson, de telle sorte qu&#39;en France, par exemple, la loi imposant un minimum de productions nationales devant &ecirc;tre mises en &eacute;coute par les stations radios F.M., la sc&egrave;ne fran&ccedil;aise rencontre un public grandissant, m&ecirc;me si la concurrence, et de la musique am&eacute;ricaine, et du t&eacute;l&eacute;chargement ill&eacute;gal, malgr&eacute; Hadopi, est de plus en plus rude.

Cette contre-culture initiale, devient donc, au fil de la popularit&eacute; grandissante accentu&eacute;e par la mondialisation et la technique de diffusion, une norme de culture au sein des populations. La musique, devenue incontournable, fait partie de nos soci&eacute;t&eacute;s dont elle contribue &agrave; constituer les normes et valeurs (l&#39;amour, le culte du corps, la nudit&eacute;, le sexe). Et c&#39;est l&agrave; que le b&acirc;t blesse ! La musique et la chanson, en touchant un large public, ont cette influence que beaucoup d&#39;hommes politiques ou d&#39;intellectuels r&ecirc;veraient de poss&eacute;der. Surtout, elle impulse chez ses auditeurs des marqueurs identitaires compl&egrave;tement d&eacute;connect&eacute;s de ce qu&#39;ont pu ressentir nos anc&ecirc;tres quand ils concevaient le monde. Que l&#39;on songe donc &agrave; ces adolescentes innombrables, qui crient &agrave; tue-t&ecirc;te et perdent la boussole quand elles vont &agrave; un concert du groupe One Direction. Ou quand dans ces hommes et ces femmes qui ne jurent que par leurs chanteurs favoris devenus des idoles, on ne voit autre chose que la perdition de leur vie ici-bas tellement ils passent &agrave; c&ocirc;t&eacute; de ce qui est essentiel pour eux s&#39;ils avaient seulement l&#39;occasion ou l&#39;int&eacute;r&ecirc;t de s&#39;interroger sur leur existence et de ne pas oublier qu&#39;ils sont mortels.

Est-ce donc cela que le secret de la musique populaire ? Un antidote &agrave; l&#39;angoisse de la mort que tout le monde sait in&eacute;luctable mais que l&#39;on tente d&#39;oublier par tous les moyens ? O&ugrave; sont donc les Montaigne et les Ibn Battuta, des mod&egrave;les qui ont su se retirer du monde quand ils sentaient cela n&eacute;cessaire pour se pr&eacute;parer &agrave; la mort ? Mais &eacute;coutaient-ils seulement de la musique ? Ne nous &eacute;garons pas…

Vierge aux Anges, peinture de William-Adolphe Bouguereau (1825–1905)
Vierge aux Anges,
peinture de William-Adolphe Bouguereau (1825&ndash;1905)

Le bon, la musique et l&#39;islam

De notre histoire commune, il est s&ucirc;r que de grands esprits ont su voir en la musique &agrave; la fois du beau, et un outil d&#39;&eacute;l&eacute;vation intellectuelle et spirituelle. Ainsi de ce qui a introduit ce texte et que je sais ressentir, en toute sinc&eacute;rit&eacute;. Ou encore de Mohamed Assad, qui a admir&eacute; les musiques populaires arabes lorsqu&#39;il ne cherchait que la nomade p&eacute;r&eacute;grination perp&eacute;tuelle dans les d&eacute;serts rocailleux ou sablonneux de la p&eacute;ninsule arabique. Il y admirait le son monotone qui ressortait des chants des hommes du d&eacute;sert, espace o&ugrave; l&rsquo;acoustique est particuli&egrave;re du fait de l&#39;absence d&#39;obstacle naturel et donc d&#39;&eacute;cho, ce qui donne un caract&egrave;re net et arr&ecirc;t&eacute; &agrave; toute parole d&eacute;clam&eacute;e (Le chemins de la Mecque, 1976) ! Il y a vu un des aspects, certes non le plus important, mais existant tout de m&ecirc;me, de la grandeur de la nation arable authentique, celle b&eacute;douine ou nomade du d&eacute;sert, qui vivait la foi musulmane simplement, sans besoin d&rsquo;interrogations m&eacute;taphysiques pouss&eacute;es autres que celles donn&eacute;es par la duret&eacute; &eacute;vidente de leur cadre de vie.

Ou enfin la musique classique, qui est en fait la musique savante de l&#39;Occident, tir&eacute;e d&#39;une v&eacute;ritable science, o&ugrave; de vrais g&eacute;nies ont d&eacute;ploy&eacute; leurs capacit&eacute;s litt&eacute;ralement exceptionnelles, tels que Beethoven qui, devenu sourd &agrave; partir de 26 ans, n&#39;en composa pas moins ses plus grands chefs d&#39;&oelig;uvre, ou, &agrave; un degr&eacute; moindre mais tout de m&ecirc;me r&eacute;v&eacute;lateur de la grandeur de son esprit, Rousseau, qui, bien que n&#39;y connaissant rien en la mati&egrave;re au d&eacute;part, parce qu&#39;il voulait seulement &ecirc;tre partie du &quot;monde&quot;, et m&ecirc;me si la musique l&#39;int&eacute;ressait, a d&#39;abord &eacute;t&eacute; un v&eacute;ritable imposteur, se pr&eacute;sentant de village en village comme un expert sans l&#39;&ecirc;tre, avant de finir par r&eacute;diger des articles sur la musique dans l&#39;Encyclop&eacute;die de Diderot, ainsi que des op&eacute;ras, dont l&#39;un, jou&eacute; devant le roi Louis XV, atteignit une certaine renomm&eacute;e (les Confessions, publi&eacute;es &agrave; titre posthume &agrave; partir de 1782).

D&#39;o&ugrave; la question lancinante qui me taraude. Dieu interdit-il vraiment la musique ? Je ne puis r&eacute;pondre que de ma simple pens&eacute;e et sans me consid&eacute;rer ni prendre la place d&#39;un savant religieux que je ne suis pas, et que je ne veux pas &ecirc;tre. Si elle est jou&eacute;e dans un endroit o&ugrave; le mal se fait, pourvu que l&#39;on s&#39;entende sur ce que c&#39;est que le mal en islam, il est clair que l&#39;&eacute;l&eacute;vation de l&#39;esprit n&#39;a rien &agrave; y gagner. Mais quand elle suscite la noblesse de l&#39;action et du c&oelig;ur, qu&#39;elle semble initier le mieux chez l&#39;homme, que de la configuration unique de toute composition musicale, il en ressort dans le cerveau humain comme de l&#39;ineffable, de l&#39;impens&eacute; qui excite la pens&eacute;e quand on veut justement penser cet ineffable, cet impens&eacute;…Ne doit-on pas, au contraire, l&#39;encourager pour le mieux qu&#39;elle semble apporter au genre humain ?

Conclusion

Quelle difficile question sur un sujet semble-t-il prosa&iuml;que mais en r&eacute;alit&eacute; si profond du fait m&ecirc;me que les sons musicaux ont d&ucirc; accompagner l&#39;aventure humaine depuis le d&eacute;but ! Et nous, musulmans, il appara&icirc;t que sur ce sujet, comme sur d&#39;autres, il importe de d&eacute;serter l&#39;attitude d&eacute;contenanc&eacute;e pour gagner la pens&eacute;e raisonn&eacute;e et cr&eacute;er les concepts d&#39;&eacute;coute de ce nouveau monde qui est le n&ocirc;tre, et qui, dans son &ecirc;tre m&ecirc;me, est amen&eacute; encore &agrave; plus se mondialiser dans un processus diachronique in&eacute;dit au plus haut point.

Seul Dieu reste le Savant supr&ecirc;me

Adel TAAMALLI
32 ans, ancien &eacute;tudiant en histoire, aujourd&rsquo;hui travaillant dans l&rsquo;organisation de voyages touristiques de groupes pour un tour-op&eacute;rateur &agrave; Aix en Provence