La Justice tchadienne en posture souverainiste pour juger l’affaire Succès Masra

Afriquinfos Editeur
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Le Premier ministre civil de la junte militaire au Tchad, Succès Masra, à un meeting à N'Djamena, le 10 mars 2024, où il a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle.

Des avocats français saisis pour défendre l’ancien Premier ministre et opposant tchadien Succès Masra, placé en détention provisoire cette semaine sur des accusations « d’incitation à la haine » après un massacre, ont affirmé vendredi 23 mai 2025 vouloir obtenir un non-lieu.

« Pour nous, l’urgence, c’est de faire en sorte qu’on puisse obtenir sa mise en liberté et c’est de faire en sorte d’obtenir un non-lieu », a confié l’avocat français Vincent Brengarth, contacté par téléphone, qui a annoncé avoir été saisi de cette affaire avec son compatriote William Bourdon, aux côtés de « (leurs) confrères tchadiens ». Le 14 mai, 42 personnes, « majoritairement des femmes et des enfants », avaient été tuées à Mandakao, dans la région du Logone-Occidental (sud-ouest), selon la justice tchadienne, qui accuse M. Masra d’avoir provoqué ce massacre.

Une source locale ayant requis l’anonymat avait à l’époque évoqué un conflit entre des éleveurs peuls et des agriculteurs ngambayes autochtones sur la délimitation de zones de pâturage et d’agriculture dans le village de Mandakao. Les combats entre éleveurs nomades arabes et cultivateurs sédentaires, qui accusent les premiers notamment de saccager leurs champs en faisant paître leurs animaux, sont fréquents dans ce vaste pays du Sahel.

(Photo archives) Succès Masra, président du parti d’opposition tchadien « Les Transformateurs », devant le siège de son mouvement à N’Djamena, le 8 avril 2021.

Arrêté le 16 mai, Succès Masra, candidat malheureux à la présidentielle de mai 2024, a été placé en détention provisoire mercredi 21 mai 2025 à l’issue de sa garde à vue de près de 8 jours. Selon la Justice tchadienne, M. Masra est le « principal auteur des faits », mais 82 autres personnes ont été arrêtées pour les mêmes motifs. La justice a mis en avant un message audio pour incriminer M. Masra, qui daterait de mai 2023. Selon une traduction française de l’enregistrement en langue ngambaye, il est dit: « Apprenons-nous les uns et les autres à utiliser une arme à feu. Que ce soit fille ou garçon, que ce soit femme ou homme… soyons tous des boucliers protecteurs« .

Mais selon M. Brengarth, « il y a une intention de la part de l’autorité de poursuite, de se saisir de ces événements de mai 2025 comme étant un prétexte pour tenter de trouver un bouc-émissaire ». « C’est une procédure que nous considérons comme étant parfaitement illégale », a-t-il dit, avant d’ajouter: « Cet enregistrement de mai 2023 est utilisé comme un écran de fumée ». L’avocat français, qui a estimé que la question de son déplacement au Tchad « se posera », a annoncé qu’un « ensemble d’arguments techniques » sera « déployé ».

En revanche, les autorités tchadiennes considèrent comme « une ingérence » l’intervention dans ce dossier des avocats français, qui pourraient se voir refuser l’accès au territoire tchadien. Dans un communiqué diffusé jeudi, 22 mai 2025, le ministère tchadien de la Communication avait déclaré: « Il est désormais révolu, le temps où des avocats étrangers pouvaient venir, sous des prétextes fallacieux, influencer ou dicter le cours de la justice dans nos États africains« .

« Le Gouvernement rassure le peuple tchadien que toute la lumière sera faite sur les violences de Mandakao », avait ajouté le ministère. Mais l’Ordre des avocats du Tchad a estimé dans un communiqué vendredi 23 mai 2025 que « la constitution d’un avocat, étranger soit-il, n’a aucune incidence sur la souveraineté de notre pays, sur l’indépendance de la justice tchadienne ». Le texte cite notamment un accord franco-tchadien qui permet la participation d’avocats français dans des procédures judiciaires tchadiennes.

Le Premier ministre civil de la junte militaire au Tchad, Succès Masra (centre), à un meeting à N’Djamena, le 10 mars 2024, où il a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle.

Dans une lettre ouverte publiée ce même 23 mai, plus d’une vingtaine de personnalités de la Société civile ont demandé la libération de M. Masra, dénonçant une « dérive autoritaire » du pouvoir de N’Djamena.

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