Quand Aly est remonté du fond de la mine malienne de Loulo-Gounkoto ce jour de janvier 2025, il a découvert que des soldats étaient descendus sur le site pour emporter les trois tonnes d’or que ses collègues employés et lui d’une compagnie canadienne avaient mis des mois à extraire.
Cet escamotage sur ordre des généraux au pouvoir à Bamako est peut-être l’épisode le plus extraordinaire de l’épreuve de force que 3 dirigeants sahéliens livrent depuis leur avènement à différentes compagnies minières occidentales. Ce 11 janvier 2025, après des semaines de bras de fer avec Barrick Gold, les autorités du Mali ont mis à exécution une ordonnance de saisie des stocks de Loulo-Gounkoto (ouest), l’un des plus importants Complexes aurifères au monde, détenu à 80% par la société canadienne et à 20% par l’État malien.

Aucune image n’a circulé ailleurs que sous le manteau, comme il est courant lors de bien des évènements survenus dans ces contrées reculées et sous ces régimes verrouillés. Les soldats arrivés par les airs au milieu des ouvriers « confisquaient les téléphones de ceux qui tentaient de les filmer », raconte Aly, dont l’AFP a changé l’identité pour lui permettre de s’exprimer. Quand Aly est sorti des galeries, des collègues lui ont montré le cliché de deux hélicoptères en passe de charger l’or et de le transférer vers une Banque de la capitale. Valeur potentielle: entre 250 et 280 millions d’euros, une fortune pour des États parmi les plus pauvres de la planète.
Les autorités réclament des centaines de millions de dollars d’arriérés à Barrick et ont placé en détention quatre employés maliens fin novembre 2024. A peu près, en même temps, elles faisaient arrêter le directeur et deux employés de l’australienne Resolute Mining, puis les relâchaient contre l’engagement de leur employeur à payer 160 millions de dollars.
Auparavant, d’autres industriels comme les Canadiens Allied Gold, B2Gold et Robex ont accepté de revoir les conditions de leur activité et de payer pour régler leurs litiges fiscaux ou douaniers. Les militaires qui ont renversé les Gouvernements en place au Mali, au Burkina Faso et au Niger depuis 2020 imposent une pression démultipliée aux miniers étrangers, surtout occidentaux.
– Faire « briller l’or » –
Il s’agit de rétablir la souveraineté des États sur des ressources naturelles bradées selon eux, et de faire profiter les populations du capital sous leur pied, disent ces nouveaux dirigeants qui ont multiplié les ruptures, avec l’ordre constitutionnel, la France ou la CEDEAO (Communauté des États ouest-africains). Ils veulent faire « briller l’or » pour leurs concitoyens, disent-ils. Ils doivent financer l’effort contre le jihadisme et les crises multiples qui affligent la sous-région.
Au Niger, les autorités ont retiré en 2024 au français Orano le permis d’exploitation d’un gros gisement d’uranium et pris le contrôle de sa filiale locale. Le Niger fournit 4,7% de la production mondiale d’uranium. L’or contribue à un quart du budget national du Mali. Au Burkina Faso, la production aurifère représente environ 14% des recettes du pays, selon les chiffres officiels. La junte burkinabè a réquisitionné en 2023 deux cent kg d’or produits par une filiale du groupe canadien Endeavour Mining pour « nécessité publique ».
Ahamadou Mohamed Maïga, chef d’un Cabinet de conseil dans les industries extractives, salue la dénonciation des « contrats léonins » propices à la fraude fiscale. « Qu’est-ce qui est plus violent? Faire face à des contrats qui nous adossent (acculent) ou saisir un stock d’or parce qu’on veut forcer les négociations ? », abonde Oumar Baba Sy, ingénieur minier malien et Consultant. Les juntes ont réformé leur Code minier. En négociant ou renégociant les contrats, le Mali a dégagé plus de 700 milliards de francs CFA (plus d’un milliard d’euros), disait fin décembre 2025 le ministre de l’Économie Alousséni Sanou.
Les réformes devraient générer « un gain supplémentaire net d’environ 600 milliards de francs CFA » (914 millions d’euros) par an, soit 20% du budget national, disait-il.

– Climat des affaires –
Le numéro un malien, le général Assimi Goïta, assurait en janvier 2025 que les nouveaux revenus avaient permis d’apurer une partie de « la dette intérieure et extérieure et payer des équipements militaires ». Nina Wilén, directrice du programme Afrique de ‘l’Institut Egmont pour les relations internationales’, juge que les nouveaux gouvernants jouent sur du velours vis-à-vis de leurs opinions en poursuivant un « discours souverainiste qui entre dans le narratif de rejet de la plupart des partenaires occidentaux ». Le risque est d’effrayer les investisseurs étrangers, dit-elle.
L’ingénieur Oumar Baba Sy relativise le danger en faisant valoir que d’autres poussent leurs pions au Sahel, comme la Chine, la Russie ou la Turquie. L’effet du tour de vis actuel sera de « court terme », car « de nouveaux partenaires privés arrivent de partout », motivés par la demande de minerais stratégiques, dit-il. « Personne n’a le monopole. Si vous ne voulez pas investir dans ces pays, d’autres le feront », ajoute-t-il.

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