Géopolitique/Auto-défense en Afrique: VDP, Wazalendo, Blackwater, Wagner… Derrière le patriotisme, les agendas cachés des décideurs

Afriquinfos Editeur
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Kinshasa (© 2023 Afriquinfos)- Face aux agressions extérieures, lorsque l’armée régulière n’est pas en mesure d’assurer la défense des personnes et des biens, ni de maintenir l’intégrité territoriale, la constitution de milice d’autodéfense et de protection a été historiquement un réflexe partagé par de nombreuses communautés, quel que soit l’espace et le lieu.

Lors de la guerre en ex-Yougoslavie par exemple, la Garde territoriale de Bosnie-Herzégovine ou les Forces de Défense territoriale de Croatie ont joué un rôle prépondérant dans le conflit. Le cas des Etats-Unis est encore plus emblématique car le deuxième amendement de la Constitution y consacre le droit pour le citoyen de constituer des milices, sous réserve qu’elles soient «bien organisées». Le droit à se défendre est inaliénable et incontestable. Son exercice peut donc prendre sans nul doute la forme de groupes qualifiés de milice. Néanmoins, il faut noter que certains Etats africains font un usage quel que peu divergent des caractéristiques historiques des milices.

En premier lieu, ces milices sont traditionnellement issues des communautés nationales victimes directes des conflits. Depuis les années 80, le mercenariat est officiellement interdit par les conventions internationales. La présence de militaires étrangers sur le sol d’un pays souverain résulte donc d’accords bilatéraux que chaque partie est théoriquement libre de rompre lorsque la situation ne l’exige plus. Le cadre multilatéral, notamment à travers l’action des organisations internationales permet également de déployer des troupes étrangères dans un pays, sous réserve d’un mandat précis. C’est le cas des forces de l’EAC ou de la MONUSCO en République Démocratique du Congo par exemple. C’est également le cas des Forces d’intervention Rwandaises déployées à Cabo Delgado au Mozambique.

En revanche, l’appel à des sociétés militaires privées étrangères directement actives sur le front est un phénomène récent qui suscite plus de préoccupation qu’il ne résout de problème. La société Wagner en particulier, par son mélange d’influence diplomatique, d’intérêts économiques et de brutalité militaire incarne cette inquiétude en Afrique, par sa présence au Mali, en Libye, au Soudan et en République Centrafricaine.

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Tout comme Blackwater (désormais Academi) l’incarnait d’ailleurs en Irak et en Afghanistan. Dans ces deux cas, le recours à des milices étrangères au fonctionnement et règles d’engagement opaques, sans attache avec le pays et dont les intérêts sont essentiellement économiques est source d’exactions. Pire, il divertit des ressources étatiques déjà limitées des efforts nécessaires pour augmenter les capacités des armées régulières et gagner la paix, sans résultats substantiels, si ce n’est maintenir dans les pays concernés un état de guerre permanent. Et en passant maintenir des Gouvernements à la légitimité remise en cause au pouvoir.

Par ailleurs, dans le cas de la Croatie ou de la Bosnie-Herzégovine évoqué plus haut, comme dans celui des Baltic Home Guards des états Baltes à la chute de l’URSS, ces milices ont constitué les embryons des armées régulières des Etats. C’est faute d’armée indépendante et souveraine que les politiques nationaux et les sociétés civiles ont utilisés ces formes d’organisation pour créer ce qui deviendrait à terme les forces de défense officielles des pays.

Les cas des Wazalendo («patriotes» en kiswahili) en République Démocratique du Congo et des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) au Burkina Faso sont totalement différents. Ceux-ci viennent en appui d’une armée en déroute qui peine à reconquérir les territoires perdus et à y maintenir l’ordre et la paix. Ils sont de fait des supplétifs de l’armée régulière, bien souvent appuyés par elle et adoubés par le pouvoir politique.

Le Vice-premier ministre de RDC, ministre des Affaires étrangères Christophe Lutundula dans une allocution du début de semaine ce 23 octobre en a même fait une quasi-obligation pour tout Congolais. Pourtant, l’Armée congolaise est déjà pléthorique. L’Armée congolaise est déjà forte de plus de 130.000 hommes, plus que tous ces voisins. Et Felix Tshisekedi, faute de programme sur l’emploi, a promis comme seul destin à 40.000 jeunes supplémentaires d’être engagés dans l’Armée !

Comment imaginer alors le destin de ces Wazalendo une fois qu’il n’y aura plus besoin d’eux: un énième brassage dans l’armée comme ce fut le cas pour les milices ou rébellions précédentes, avec le résultat qu’on connait, une armée hétérogène et sans cohésion? Un nouveau programme DDR dont l’efficacité est toujours très contestable, ou une nouvelle révolte des concernés, cette fois contre l’Etat qui n’aura pas su les récompenser de leur engagement?

Enfin, qui peut croire que c’est la force du nombre qui permet à une armée de gagner un combat comme s’il s’agissait de guerres des temps anciens ? En bon capitaine, Ibrahim Traoré le sait mieux que quiconque. Même dans ses dramatiques errements, Felix Tshisekedi en a conscience également. Les enjeux de ces recrutements sont ailleurs.

Ibrahim Traoré doit faire face à une Armée, et en particulier sa composante de gendarmerie qui se bat sur tous les fronts, qui sait que sa stratégie est pour l’instant une marche résolue vers l’échec. Refuser les aides extérieures au motif de flatter les aspirations d’une partie de sa population l’a démuni sur le plan capacitaire.

Les effets d’annonce, la contrainte de la liberté d’information et la communication ne suffisent pas à masquer son incapacité malgré ses promesses à rétablir la sécurité et l’intégrité territoriale. Face à la fronde d’une partie de son armée, il a fait le choix de s’offrir une milice personnelle dont il espère qu’elle lui permettra de conserver le pouvoir en cas de coup dur. La dernière tentative de coup d’état l’a probablement conforté dans cette idée…

En RDC, les Wazalendo, loin de se cantonner à un rôle défensif sont désormais devenus une force offensive qui attaque  les positions du M23 et de son soutien rwandais tout en permettant au Gouvernement congolais de prétendre respecter le cessez-le-feu auquel il s’est engagé. Leur réussite lui amènerait un succès inespéré à la veille des élections. Un échec ne serait pas le sien et pourrait même constituer un prétexte pour ne pas respecter le calendrier électoral et décaler une élection qu’il est loin d’être sûr de pouvoir remporter.

Mais à quel prix? VDP et Wazalendo font déjà face à des accusations d’exactions envers les populations civiles. Qui est capable de dire qu’ils les contrôlent réellement, que des lignes rouges ont été tracées et qu’une sortie de crise est organisée? En réalité, cette stratégie court-termiste s’apparente à celle d’apprentis sorciers.

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